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Bienvenue dans l'univers incompréhensible français du remboursement des médicaments
©REUTERS/Srdjan Zivulovic

Bonnes feuilles

À partir d'exemples précis, Étienne Caniard nous invite à une réflexion sur ces enjeux majeurs des politiques de santé, dont le principal objectif est de développer une médecine plus efficace, c'est-à-dire, enfin, une médecine plus humaine. Pour un autre regard sur la santé, un État régulateur et des acteurs responsabilisés. Extrait de "Mieux soignés demain !", d'Etienne Caniard, aux éditions du Cherche midi 2/2

Etienne Caniard

Etienne Caniard

Étienne Caniard a occupé de nombreux postes à responsabilités, au sein, notamment, du Haut Comité de la santé publique, de l’Assurance Maladie et de la Haute Autorité de santé. Il a piloté les États généraux de la santé et est l’un des artisans de la loi sur les droits des personnes malades. Il est président de la Mutualité française.

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Le médecin dépendant de l’information des laboratoires

Nous sommes face à un millefeuille incompréhensible ; il est temps de revenir à un système simple, lisible. Car il ne l’est pas : certains médicaments en vente libre sont remboursables, alors que d’autres à prescription obligatoire ne le sont pas. Il y a cinq niveaux de service médical rendu (SMR) qui servent à déterminer les taux de prise en charge, qui ne sont que quatre. Revenir déjà à deux ou trois taux de remboursement permettrait d’avoir une évaluation plus rigoureuse, avec une distinction plus nette entre les différentes catégories. À quoi correspond la différence entre ces cinq niveaux aux yeux d’un médecin, d’un patient ? Comment un financeur peut-il moduler son intervention pour tenir compte de la qualité ? Une mutuelle qui voudrait de façon rationnelle différencier la prise en charge des médicaments à SMR positif, même faible, de ceux pour lesquels il est insuffisant en ne remboursant pas ces derniers ne peut le faire.

En effet, dans la catégorie des médicaments remboursés à 15% – la seule information dont disposent les mutuelles est le taux de remboursement, elles ne connaissent pas le nom du médicament – cohabitent deux niveaux de SMR. Que faire devant cet enchevêtrement de taux de remboursement – qui peuvent en outre varier selon le malade, s’il est en « affection de longue durée » ou non –, devant des statuts différents, certains médicaments étant accessibles en pharmacies de ville, d’autres réservés à l’hôpital, devant des prescriptions obligatoires ou non, indépendantes des taux de remboursement ? Il n’y a plus aucune cohérence, et le médecin n’a plus de repères sur l’utilité ou l’efficacité réelle des médicaments ; il devient ainsi de plus en plus dépendant de l’information reçue des laboratoires.

C’est précisément à la fois parce que le médicament est porteur de progrès et qu’il n’est pas un produit anodin qu’il faut revenir à quelques principes fondamentaux. C’est un produit qui soigne. Mais parce qu’il a une action sur l’organisme, il peut aussi entraîner des effets négatifs ; il faut que le bénéfice de son action l’emporte sur les risques. C’est l’objectif de l’évaluation qui doit être faite, dès l’autorisation de mise sur le marché : objectiver le progrès médical et la balance bénéfice/risque.

Ensuite, s’agissant du remboursement, c’est aux pouvoirs publics de simplifier le dispositif, de rendre l’évaluation plus compréhensible et donc plus accessible aux médecins, de prendre acte du progrès en déremboursant, voire en retirant du marché, les produits obsolètes. Sur ce point, on connaît les arguments employés par l’industrie pharmaceutique pour maintenir le remboursement de produits dépassés : ils mettent en avant le risque de report de la consommation sur des produits plus chers, déclinant ainsi l’idée qu’ils ont peu à peu imposée – il ne peut y avoir de problème de santé sans réponse médicamenteuse !

Pourtant, des exemples inverses existent dès lors que des décisions courageuses sont prises. Les veinotoniques font partie des rares médicaments qui ont été déremboursés lors des réévaluations opérées au début des années 2000 ; la presse avait largement relayé les craintes d’un report sur d’autres produits beaucoup plus dangereux et chers… Quelques années après, on peut constater que l’on ne prescrit pratiquement plus de veinotoniques en France et que ce sont plutôt des réponses non médicamenteuses qui ont pris leur place avec plus d’efficacité. Il n’y a aucune raison que cela ne soit pas vrai dans beaucoup d’autres situations. Cessons de nous faire peur avec ce risque de substitution qui conduit à maintenir un remboursement pour des produits qui n’ont plus d’intérêt thérapeutique.

De la même façon, il convient de faire attention à une diffusion excessive de l’innovation, toujours plus chère mais pas toujours réelle. Une nouvelle molécule est à l’étude pour lutter contre le cholestérol. Appelée « antiPCSK91 », elle suscite les plus grands espoirs chez les industriels, qui espèrent renouveler le succès des statines, apparues il y a une trentaine d’années et qui commencent à tomber dans le domaine public, donc à être moins rentables pour les fabricants, puisqu’elles peuvent être copiées. On ne peut que se féliciter de ce nouveau progrès, puisqu’il permettra d’apporter une réponse à des patients qui ne peuvent être soignés par les statines…

Mais ce progrès pose pourtant de nombreuses questions. À qui faudra-t-il prescrire cette nouvelle classe thérapeutique, qui nous est annoncée comme devant coûter 100 fois plus cher que les statines ? Aux patients les plus à risques, atteints de formes familiales sévères ? À ceux sur lesquels les statines échouent ? Bien évidemment! Mais comment résister à l’inévitable pression qui accompagnera l’arrivée de ces nouveaux produits ? Le risque est bien sûr de les prescrire aussi à des patients pour lesquels les médicaments actuels, beaucoup moins chers, donnent de bons résultats.

Dans de telles situations, les laboratoires oublient leur discours sur l’« effet report » utilisé en cas de menace de déremboursement : ils portent au contraire l’idée qu’il faut qu’un maximum de patients profitent des dernières molécules, et donc prescrire en première intention le médicament qui est le plus efficace. La notion de report des prescriptions vers des médicaments plus chers est bien pratique pour les industriels : on la présente comme un danger pour l’équilibre des comptes de l’assurance maladie afin de ne pas supprimer des remboursements et maintenir des situations de rente, mais elle est la bienvenue lorsqu’un nouveau produit plus cher leur permet d’augmenter leur chiffre d’affaires…

Mais comment reprocher à l’industrie pharmaceutique la recherche d’un maximum de profit dans la mesure où les règles qui régissent la politique du médicament permettent de tels comportements et ne favorisent pas les pratiques vertueuses ? Il est difficile d’imaginer un acteur privé se souciant davantage de l’intérêt général que de son propre résultat lorsqu’il peut faire autrement.

Pour autant, je me refuse à regarder l’industrie pharmaceutique d’une manière univoque. L’industrie pharmaceutique est une industrie à l’origine de progrès thérapeutiques importants et spectaculaires. C’est probablement le médicament qui a le plus fait progresser le système de santé dans les dernières décennies.

L’on peut admettre que ce progrès ait un coût, mais non tolérer une politique qui privilégie les situations de rente par rapport à l’innovation. Il faut favoriser l’investissement dans la recherche, sortir d’une politique de court terme qui sacrifie la vision industrielle au profit d’un pilotage financier. Les plus lucides – ou les plus francs – parmi les patrons de l’industrie pharmaceutique reconnaissent souvent que la recherche de performance passe désormais surtout par la gestion financière, voire par des fusions qui répondent davantage à une logique d’optimisation fiscale qu’à une stratégie industrielle.

Le rapprochement entre Pfizer (50 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2014) et Allergan (13 milliards d’euros de chiffre d’affaires la même année) annoncé à l’automne 2015 en est un excellent exemple : un observateur faisant preuve de bon sens économique pourrait s’étonner de l’absorption de Pfizer par Allergan compte tenu de la taille de chacun… jusqu’à ce qu’il découvre que ce montage permet l’installation du siège social du nouveau géant à Dublin, avec, à la clé, une réduction considérable de l’impôt sur les résultats !

Extrait de Mieux soignés demain !, d'Etienne Caniard, aux éditions du Cherche midiPour acheter ce livre, cliquez ici

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