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Ces rebelles syriens pro-occidentaux que les Russes "détournent" à grands coups de dollars
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THE DAILY BEAST

Une brigade entrainée et armée par les Etats-Unis est déçue par la politique de Washington et trouve le soutien russe de plus en plus attirant.

Michael Weiss

Michael Weiss

Michael Weiss est journaliste pour The Daily Beast.

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Copyright The Daily Beast Auteur Michael Weiss

Le gouvernement russe essaie de recruter des rebelles syriens entrainés et équipés par les Etats-Unis pour faire la guerre à Daech. C’est ce que déclare le chef d’une importante brigade d’Alep, soutenue par le Pentagone.

Dans une interview exclusive avec le Daily Beast, Mustafa Sejry de la Brigade Liwa al-Mu’Tasim a affirmé qu’il avait personnellement rencontré des représentants russes sur la frontière syro-turque il y a une dizaine de jours. Il s’est vu offrir "un armement illimité" pour combattre à la fois Daech et Jabhat Fatah Al Sham, le nouveau nom d’Al Qaida en Syrie. En échange, la brigade Mu’tasim devrait désormais faire allégeance à Moscou plutôt qu’à Washington.

Sejry essaie clairement d’utiliser cette offre pour faire pression sur les Américains afin d’obtenir plus de moyens et de soutien mais il n’est pas certain que cela réussisse. (Le Pentagone et le Commandement central des armées n’ont pas répondu aux questions du Daily Beast). Pendant ce temps, les Russes susurrent des mots doux aux oreilles des rebelles.

Les rebelles ont cependant des doutes sur ce changement d’alliance (et de dépendance) envers Moscou car en faisant cela, ils rejoindraient l’allié le plus important de leur ennemi juré dans cette guerre triangulaire. Selon Sejry, les Russes auraient assuré "n'être lié par aucun agenda politique. Tous ce que nous voulons, c’est le retour à 2012 avec un gouvernement et une opposition"

"Honnêtement, je n’aurais jamais pensé travailler avec les Russes, surtout après les atrocités qu’ils ont commises et les massacres contre les miens" dit Sejry. "Mais ce changement, c’est la faute des Américains".

Sejry est maintenant à Istanbul où il doit poursuivre les pourparlers avec les Russes. Il a également laissé entendre que ces pourparlers étaient facilités par le gouvernement turc, qui se rapproche désormais du Kremlin après une période d’hostilité entrainée par l'affaire de l’avion militaire russe Su-24 abattu par l’armée turque. Le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui a récemment survécu à une tentative de coup d’Etat par des militaires, doit rencontrer Vladimir Poutine à Moscou le 9 août.

Sejry n’a pas voulu donner le nom de son interlocuteur russe pour ne pas mettre dans l’embarras ce potentiel nouvel allié, s’il décidait vraiment d’abandonner les Américains. Mais il répète ce que le Kremlin dit, à savoir qu’il est "plus qu’un ami dans la lutte contre Daech" et que "les Américains ne font pas sérieusement la guerre contre les groupes terroristes".

Il est de plus en plus séduit par cette idée depuis ce qu’il décrit lui-même comme une année et demie de soutien américain anémique et de promesses non tenues. Il dit aussi que le "parrain américain" ne semblait pas particulièrement inquiété par les jeux de pouvoir d’un gouvernement étranger.

Sejry dit avoir parlé de l’offre russe à deux de ses contacts au sein de l’armée américaine, tous deux des capitaines. Aucun n’est revenu vers lui avec une réponse, ce qui n’a fait qu'augmenter sa frustration.

"On demande depuis longtemps à parler à de vrais décisionnaires du Pentagone, pas à des seconds couteaux" dit-il.

Comme l’a déjà rapporté le Daily Beast, la relation entre Sejry et l’armée américaine est tendue. Lui et son contingent de 1000 rebelles – les seuls à une époque à pouvoir prétendre au programme d’équipement et d’entrainement du Pentagone – avaient menacé de retirer leur candidature en raison des conditions très strictes imposées par le CENTCOM (Central Communication) pour l’utilisation de l’armement américain. Comme par l’exemple de ne l’utiliser que contre Daech et non pas contre l’armée de Bachar Al-Assad et les alliés du régime.

Cependant, ces tensions se sont dissipées. Sejry a non seulement rejoint le programme mais y a excellé malgré les insuffisances institutionnelles.

D’autres camarades de la première promotion des "Nouvelles Forces Syriennes" ont été kidnappés par Jabhat Al Nusra, l’ancien nom d’Al Qaida dans la région. Comme l’avait rapporté The Daily Beast, le commandant de la deuxième classe, admis mais non formé, vendait des armes au groupe terroriste en échange d’un passage vers le nord de la Syrie.

La brigade Mu’tasim demeure l’une des plus fiables pour lutter contre le terrorisme. Dans un rapport à la Jamestown Foundation de Washington, Nicholas A. Heras décrit Sejry comme "une étoile montante de l’opposition syrienne armée" qui a savamment su nouer des contacts à la fois avec les rebelles anti-Assad et la coalition anti Daech, faisant ainsi de la brigade Mu’tasim une des plus réputées du pays – et un trophée convoité par les Russes.

Basée à Marea, la brigade a dû attendre des livraisons de provisions et d’équipements essentiels alors que cette ville dans la province d’Alep était assiégée par Daech en juin et que tous les accès terrestres étaient soit aux mains des djihadistes, soit aux mains d'autres alliés des Etats-Unis mais néanmoins rivaux sur le terrain : les Forces syriennes démocratiques, à dominante kurde. Ce fut donc une première pour le CENTCOM que d'autoriser des avions américains à larguer des munitions et des vivres à la brigade Mu’Tasim, leur donnant ainsi la possibilité de remporter une contre-offensive contre Daech dans d’autres villages.

Sejry avait espéré que ce pont aérien de la dernière heure, appuyé par des frappes aériennes sur les positions de Daech, créerait un précédent et une base pour un soutien renforcé des Américains. Mais il ne s'agissait que d'une opération unique.

Sejry affirme qu’ils n’ont été payés que sporadiquement pendant les 18 mois de leur mission dans le cadre du programme militaire américain. "Ces trois derniers mois, nous n’avons reçu qu’un mois de salaire".

De plus, un bonus promis après une période de six mois n’a jamais été versé. "Quand nous avons signé le contrat avec les Américains, nous avions demandé 500 dollars par soldat en plus de l'assistance pour les soldats blessés ou morts au combat. Ils ont accepté de payer 250 dollars par soldat les six premiers mois, en disant que nous en aurions 250 de plus les six mois d’après. Nous avons reçu uniquement les 250 dollars et aucune aide pour les soldats blessés ou tués. Et ça, c’est quand ils nous payaient, ce qui était rare".

Depuis qu’ils ont brisé le siège de Daech il y a deux mois, la brigade Mu’tasim n’a toujours pas reçu d’équipements de rechange. "Nous avons perdu beaucoup de mitrailleuses et de véhicules à tourelles. On ne peut pas les réparer ou les remplacer".

C’est pour ces raisons que la proposition russe est alléchante, dit Sejry. "Nous nous sentons trahis. Maintenant, de nouvelles options sont sur la table".

Malgré un accord russo-américain – accord qui aurait été proposé par Barack Obama mais qui aurait été accueilli avec beaucoup de scepticisme par des spécialistes du Moyen Orient et des experts du département d’Etat américain - pour des frappes conjointes sur des cibles terroristes désignées en accord avec les deux états-majors, les Russes ne se gênent pas pour dénigrer les Américains tout en tentant de recruter leurs agents.

"Ils disent : "nous sommes plus dignes de confiance. Regardez comment nous avons soutenus Assad depuis tout ce temps. Et regardez les Américains. Vous ne pouvez pas leur faire confiance, ils ne vous soutiennent pas, les gars. Nous, nous serons à 100% avec vous".

Un ex diplomate américain, qui a travaillé à Moscou en pleine Guerre froide, a ri lorsque The Daily Beast lui a demandé de commenter cette situation. C’est une situation typique, dit-il. "Les Soviets essayaient déjà de recruter des alliés américains, surtout dans les pays en voie de développement où la concurrence était féroce. Regardez l’Angola durant la guerre civile. Les Russes utilisaient les armes, l’argent et tout ce qui était dans leurs moyens pour attirer nos alliés dans leur orbite".

Il y a cependant une différence, note l'ancien diplomate : cela avait le don d’énerver les Américains auparavant. Ils se battaient vigoureusement pour que cela n’arrive pas et faisait la même chose auprès des Soviets.

"Ce que nous voyons dans les films hollywoodiens où les Américains soutenaient tous les opprimés, c'est du cinéma et rien de réel" dit Sejry. "Il ne semble pas y avoir de futur avec les Américains".

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