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La vraie raison pour laquelle la génération Y a moins de relations sexuelles que ses parents n'a rien à voir avec la morale (et rien de joyeux)
©Reuters

15 ans de porno derrière eux

Une étude publiée par le journal Archives of Sexual Behavior met en évidence le fait que les représentants de la génération Y (18-24 ans) auraient beaucoup moins de relations sexuelles que la génération X ou la génération Z. Explications.

Michelle  Boiron

Michelle Boiron

Michelle Boiron est psychologue clinicienne, thérapeute de couples , sexologue diplomée du DU Sexologie de l’hôpital Necker à Paris, et membre de l’AIUS (Association interuniversitaire de sexologie). Elle est l'auteur de différents articles notamment sur le vaginisme, le rapport entre gourmandise et  sexualité, le XXIème sexe, l’addiction sexuelle, la fragilité masculine, etc. Michelle Boiron est aussi rédactrice invitée du magazine Sexualités Humaines

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Atlantico : Selon une étude du CDC (Center for Disease Control), le pourcentage d'étudiants ayant eu plusieurs partenaires a chuté de 19% en 1991 à 12% en 2015, et environ 15% des personnes entre 20 et 24 ans n'ont pas eu de rapports sexuels depuis leur 18 ans en 2015, contre seulement 6% au début des années 1990. Quels sont les ressorts sociologiques, culturels ou sexuels pouvant expliquer que la génération Y ait moins de rapports et de partenaires que les représentants des générations précédentes ou suivantes ? 

Michelle Boiron : Cette étude américaine n’est pas forcément transposable en France. On peut néanmoins constater que depuis la libération des mœurs de 1968 avec le fameux "interdit d’interdire", on est entré dans une ère de sexualité débridée, permissive, surtout pour les femmes qui avaient été contraintes depuis tant d’années à une sexualité subie et dont la liberté sexuelle était réduite à sa plus simple expression. Ces quelques décennies de liberté totale où les tabous ont "sauté" est concomitante avec l’arrivée de l’accès généralisé et omniprésent de l’informatique et à son cortège de mondes virtuels qui ont pris une place significative, sinon prépondérante, dans nos vies. Les jeunes en particulier ont trouvé un moyen d’expression et une facilité d’accès permanente à un monde virtuel. Ce monde concerne désormais tous les domaines de la vie et notamment celui de la rencontre et du lien, auparavant créé dans le monde réel, et aujourd’hui remplacé par la rencontre virtuelle, organisée et codée sur Internet. De la virtualité à la réalité, il y a parfois tout un monde… Quelques années en plus, quelques rides, quelques kilos effacés par le photoshop et la première rencontre peut tourner à l’usurpation d’identité ! Sans parler du statut social et marital escamoté pour avoir une chance d’être sélectionné.

Certaines applications permettent même de ne pas se déplacer et de contacter la "biche" la plus près du domicile. Celle-ci, si elle est d’accord va même se déplacer chez celui qui l’a sollicitée. Ces sites pourvoyeurs de chair humaine ont créé un leurre d’accès à de vraies rencontres ou sont venus alimenter un circuit de sexe à la demande sans clairement le dire. Ils donnent du rapport sexuel une image déshumanisée, dissociée de toute émotion.

A cela se sont ajoutés les sites pornographiques avec l’orgasme sans avoir à se déplacer, dans une passivité totale, un confort "peinard" sans risque apparent. Or précisément les risques sont là : celui de la désocialisation, mais aussi celui de la difficulté dans la vie réelle de retrouver une excitation convenable indispensable à l’acte sexuel ; le plus dommageable étant celui de l’addiction à la pornographie que l’on ne voit pas venir, contrairement à l’alcool on n’ingère rien ! On comprend alors qu’une vague de puritanisme qui s’est déjà manifestée aux Etats Unis arrive aussi en France. Les conduites extrêmes conduisent souvent à la réaction et à des comportements extrêmes également, avant que la tendance ne s’inverse comme on le constate dans cette étude. Après le trop, le moins. C’est ainsi que l’on retrouvera des comportements d’abstinence délibérés, avec ou sans support religieux, comme réponse réactionnaire aux "abus" des sexualités débridées.

Quel est le lien entre cette baisse et notre rapport à la technologie et à la pornographie ?

Notre société aujourd’hui avec son arsenal de tentations conduit l’humain à osciller entre deux mondes opposés : d’un côté, le monde virtuel qui lui est servi sur un plateau et dans lequel il ne cesse de plonger en s’isolant, et de l'autre, le monde réel qui exige de lui trop de performance, trop de réussite, diktat de l’idéal inatteignable. Dans ce contexte réel, cruel, s’est insérée, dans la pratique, la pornographie qui est devenue en quelques décennies un fléau pour la relation sexuelle. "On" ne l’a pas vu venir. A partir des smartphones et autres tablettes, un monde entier s’est ouvert qui est en train de modifier en profondeur les comportements sexuels. La jouissance à la carte en quelques clics est devenue le must. A partir du porno sur Canal Plus le samedi soir, somme toute marginal, est arrivé comme un tsunami toute une filmographie pornographique élaborée à la carte assouvissant toutes les formes de sexualités, de fantasmes les plus basiques aux perversions les plus hard. Or, une société anxiogène conduit chaque être à trouver son "médicament" pour se déstresser… Le film porno en est un mais par analogie avec une drogue, il peut créer un comportement addictif pour certains êtres prédisposés, par la rapidité de l’excitation et l’intensité des émotions ressenties avec l’orgasme garanti (du moins au début) qui procure un plaisir, un apaisement, facilitateur d’activation des circuits de la récompense. Jusque là tout va bien sauf pour ceux de plus en plus nombreux qui basculent vers un comportement compulsif, vers une recherche de plus en plus sophistiquée jusqu’à ce qu’ils ne ressentent plus aucun plaisir… Ils deviennent alors soumis aux exigences du cerveau qui réclame des images pour alimenter les circuits neuronaux et la chimie cérébrale.

L’étude américaine constate que les jeunes de cette tranche d’âge privilégient les écrans au détriment de la relation avec des personnes réelles, ce qui est en train d’arriver en France. Après un temps passé sur leur tablette (remarquez comme le temps passe vite), le reste du temps disponible est consacré soit aux études, soit à leurs hobbies. La recherche de leur épanouissement personnel ne laisse pas beaucoup de place à la rencontre réelle avec une personne.

Que peut nous dire cette baisse de rapports et de partenaires sexuels sur notre rapport à la sexualité et aux relations amoureuses dans notre société ?

On peut mentionner les 3 points suivants, sans pourtant que la liste ne soit exhaustive :

Le fléau de la pornographie et les sites de rencontres sont en partie responsables de la modification des comportements sexuels. Un patient se confie sur sa pratique des sites de rencontre : "C’était addictif, dès que j’avais couché avec une fille, j’avais envie de partir. Je me disais que ce soir-là, j’aurais mieux fait de rester chez moi à regarder un film porno, j’ai perdu une soirée, dépensé de l’argent pour rien… Alors que seul à la maison…" On mesure alors dans ces propos l’investissement que requiert la relation à l’autre, qu’elle soit sexuelle ou relationnelle, et pourquoi un certains nombre de jeunes aujourd’hui ne sont plus prêts à l’investir. Un livre comme "L’amour dure 3 ans" (Frédéric Beigbeder, Folio, Gallimard, 2001) a aussi contribué à ôter l’espoir qu’une relation amoureuse puisse perdurer.

La passivité est, me semble-t-il, une deuxième raison qui explique en grande partie la baisse du nombre de rapports sexuels réels, précisément parce que la relation sexuelle exige que les partenaires soient actifs : depuis la séduction jusqu’au passage à l’acte, on doit poser une série d’actes qui engagent, stimulent, motivent, et conduisent à la récompense sexuelle. L’acte sexuel lui-même exige que l’homme soit actif puisqu’il pénètre la femme. Cela ne veut pas dire que la femme est passive ; c’est juste physiologique. En revanche, un homme qui se masturbe devant un film porno est la plupart du temps avachi sur un canapé à "mater" des images : en dehors du geste actif manuel qu’il exerce sur son pénis, il est totalement passif. On voit bien à quel point on est loin de l’action de l’acte sexuel avec une partenaire, tant et si bien que les sexologues conseillent aujourd’hui de simuler, par des mouvements du bassin, la situation de relation sexuelle pour palier à l’excès dévastateur de la passivité !

Le troisième point est la part de la revendication féminine et son exigence de jouissance qui rend l’homme vulnérable car il se trouve face à un challenge de réussite comme celui qui est exigé de lui dans son cadre professionnel. Il faut être le meilleur partout ; il faut arriver, y compris dans l’intimité, à rendre des comptes sur la performance exigée. Aujourd’hui, les magazines nous dictent nos conduites. L’acte sexuel doit aujourd’hui ête une prouesse. L’orgasme féminin n’est plus simulé mais exigé, voire revendiqué. La jouissance vaginale devient la panacée et la jouissance clitoridienne une récompense de seconde zone. Les femmes d’aujourd’hui ont appris à connaitre leur corps et elles savent s’en servir. Elle "exigent" donc de l’homme autre chose. Extrait d’une consultation où la femme ne jouissait pas avec son partenaire : "Moi en 2 secondes je me doigte et j’atteins l’orgasme en moins d’une minute !".

C’est là la limite du dispositif où tout est permis alors que le désir et l’excitation sont plutôt régis par l’interdit. La contradiction entre la liberté permissive sans bornes et le regard de la société qui dicte les conduites sexuelles pour être épanoui et atteindre le bonheur dans une relation durable, est clivant. L’exposition de notre intimité est-elle compatible avec des pratiques sexuelles débridées ? On peut comprendre que pour certains jeunes le repli sur soi soit une solution mais sur la durée, cela ne peut pas être satisfaisant. C’est pourquoi la tendance à revenir dans un monde réel se profile. L’amour retrouverait-il ses lettres de noblesse et la qualité des relations sexuelles l’emporterait-elle sur la quantité de rapports et la recherche de la performance ? La difficulté est de trouver le juste milieu entre le monde virtuel et le monde réel sachant qu’un retour en arrière est impossible et que la réalité des écrans et des possibilités qu’elle ouvre est un progrès incontestable, et que la sexualité peut trouver une harmonie entre ces deux mondes. Le sexe pur et dur et la relation sexuelle amoureuse, même s’ils sont difficiles à atteindre, peuvent se croiser si l’on a conscience des mécanismes en jeu. Les études sur le cerveau nous montrent que "contrairement à ce que l’on pourrait attendre, le désir sexuel n’est pas lié à l’activation des mêmes régions du cerveau que l’état amoureux. Si dans les deux cas, le circuit du désir est activé, chacun de ces comportements est associé à un but différent ; ainsi que la recherche du plaisir procuré." ( La Chimie des sentiments, p.109, Pr Bernard Sablonnière, JC Gawsewith, 2012) .

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