La réglementation européenne des nouvelles biotechnologies végétales : au cœur des enjeux <!-- --> | Atlantico.fr
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Le débat sociétal sur les OGM (ici, du maïs) s’est donc déplacé vers d’autres cibles biotechnologiques pour lesquelles les enjeux réglementaires sont, plus que jamais, cruciaux pour l’avenir de l’agriculture française et européenne.
Le débat sociétal sur les OGM (ici, du maïs) s’est donc déplacé vers d’autres cibles biotechnologiques pour lesquelles les enjeux réglementaires sont, plus que jamais, cruciaux pour l’avenir de l’agriculture française et européenne.
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Tribune

Le débat sociétal sur les OGM s’est déplacé vers d’autres cibles biotechnologiques pour lesquelles les enjeux réglementaires sont, plus que jamais, cruciaux pour l’avenir de l’agriculture française et européenne.

Catherine Regnault-Roger

Catherine Regnault-Roger

Catherine Regnault-Roger est professeur des Universités émérite à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour (E2S UPPA) et membre de l'Académie d'agriculture de France et de Académie nationale de Pharmacie.

 
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Faute d’OGM cultivés en France, ce sont aujourd’hui des variétés de tournesol ou colza tolérantes à un herbicide obtenues par mutagenèse induite, qui font l’objet de campagnes d’opinions orchestrées. Elles sont qualifiées d’"OGM cachés" par quelques ONG "vertes" bien connues pour leurs positions de refus des progrès biotechnologiques en agriculture[1]. Depuis peu, ces associations ciblent également les nouvelles techniques végétales d’obtention de plantes appelées NPBT (New Plant Breeding Techniques) qui génèreraient, selon elles de "nouveaux OGM"[2]. L’appellation OGM vise à susciter l’opprobre dans les esprits, afin de demander leur interdiction dans l’Union européenne. Le débat sociétal sur les OGM s’est donc déplacé vers d’autres cibles biotechnologiques pour lesquelles les enjeux réglementaires sont, plus que jamais, cruciaux pour l’avenir de l’agriculture française et européenne.

Une réglementation européenne sur les OGM obsolète

Dans l’Union européenne, seules des variétés obtenues par transgénèse font l’objet d’une règlementation OGM spécifique. Cette réglementation repose sur la directive 2001/18/CE et a été mise en place dans les années 2000, à un moment où on pouvait se demander si, en vertu du principe de précaution, les plantes génétiquement modifiées présentaient un danger ou un risque pour la santé ou l’environnement. Les dossiers à constituer pour la demande d’autorisation en termes d’expérimentations préalables, de scenarios à élaborer pour évaluer des risques putatifs, de dispositifs de surveillance post-commercialisation, sont lourds et coûteux. Dans ces conditions, seules quelques grandes sociétés agro-industrielles multinationales qui ont une assise financière importante peuvent de fait en supporter la charge[3].

Cette réglementation apparaît aujourd’hui inadaptée et disproportionnée par rapport aux risques puisque les recherches conduites au cours des deux dernières décennies démontrent que la culture de ces plantes génétiquement modifiées (PGM), dans le respect des bonnes pratiques agricoles, ne présente pas plus de toxicité et d’écotoxicité que celle des plantes conventionnelles ; mieux, qu’elle s’accompagne d’améliorations phytopharmaceutiques et de la biodiversité, ou encore de la qualité sanitaire des récoltes. C’est ce que les trois Académies nationales américaines de Sciences, Médecine et Technologies ont conclu dans un épais rapport paru en avril 2016, après l’analyse de plus de 1000 publications scientifiques sur les cultures produites par génie génétique.

De nouvelles techniques d’obtention variétale : très récentes et très anciennes 

Ces nouvelles techniques sont à la fois très récentes et très anciennes. Très récentes comme par exemple la CRISPR/Cas 9 (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats) développée depuis 2012 qui combine les effets d’une enzyme et d’un acide ribonucléique. Mais aussi très anciennes puisque cette nouvelle technique et aussi plusieurs de ces nouveaux outils biotechnologiques ont la particularité de pouvoir provoquer des mutations induites. Les mutations sont un phénomène naturel qui a permis depuis les origines de la vie de faire évoluer les espèces pour une meilleure adaptation à leur environnement. L’espèce humaine, comme toutes les espèces, est l’objet de multiples mutations. Ces mutations sont utilisées en création variétale depuis presque un siècle maintenant avec le succès que l’on connaît. Mais au lieu d’être le fruit du hasard, elles sont dirigées par les généticiens-sélectionneurs qui choisissent les caractères à donner à la variété qu’ils veulent développer. Des qualités comme par exemple une meilleure résistance à un agent pathogène ou à un manque d’eau. Les outils de sélection génétique se sont améliorés au fil des décennies. Avec les NPBT, la modification génétique devient plus précise et moins aléatoire. En augmentant la précision de la modification opérée, elles limitent les effets techniques non intentionnels et permettent de gagner du temps dans la mise au point d’une nouvelle variété.

•       Quelle réglementation leur appliquer ?

Comme toute découverte, ces nouveaux outils vont connaître des phases de perfectionnements technologiques, celles qui accompagnent les balbutiements des innovations et conduisent à les améliorer à l’usage. Cependant le devenir de ces nouvelles techniques repose non seulement sur ces améliorations technologiques mais aussi sur la réglementation qui leur sera appliquée. Le débat se situe sur le statut réglementaire qui sera accordé dans l’Union européenne aux variétés obtenues par ces nouveaux procédés. Doivent-elles être considérées comme de "nouveaux OGM" ou comme des plantes conventionnelles ?

La question se pose en effet car nombre de ces techniques produisent des plantes dont on ne peut distinguer biologiquement si elles ont été produites par une sélection conventionnelle ou par une de ces nouvelles techniques. Il apparaîtrait donc difficile d’appliquer à ces variétés, qu’on ne peut différencier biologiquement, une réglementation différente de celle appliquée à toute nouvelle variété en vue d’une inscription au Catalogue officiel des plantes cultivées, ce qui autorise leur commercialisation. Celle-ci est subordonnée à des tests consistant à vérifier "la distinction, l’homogénéité et la stabilité" (épreuves DHS) de la nouvelle variété ainsi que sa "valeur agronomique, technologique et environnementale" (épreuves VATE). Chaque année, le GEVES (Groupe d’étude des variétés et des semences) en France évalue en moyenne plus d’un millier de variétés candidates parmi lesquelles seules 30 à 40 % satisfont aux épreuves DHS/VATE qui constituent un filtre rigoureux pour la mise sur le marché des nouvelles variétés.

•        Une réglementation défendant les intérêts de l’agriculture européenne

L’enjeu réglementaire est important pour les filières semencières de l‘Union européenne. En effet, certaines des nouvelles biotechnologies comme la CRISPR/Cas9 sont faciles à mettre en œuvre et ne nécessitent pas de gros moyens financiers, à tel point qu’on la qualifie de "biologie de garage"[4].

Imposer une réglementation de type OGM pour les variétés obtenues par ces nouvelles techniques et qu’on ne peut distinguer de celles obtenues par sélection conventionnelle, reviendrait donc à priver des PME européennes des outils les plus modernes du développement technologique, car elles n’auront pas les moyens de financer de lourds et coûteux dossiers de surveillance post-commercialisation OGM et la mise en œuvre de cette surveillance. Serait-ce d’ailleurs justifié au regard des risques pour la santé et l’environnement encourus ?

Avec un recul de 20 ans de culture des plantes génétiquement modifiées sur une superficie mondiale d’environ 180 millions d’hectares, les risques sanitaires et environnementaux de ces plantes génétiquement modifiées sont aussi tangibles que les armes de destruction massives irakiennes ! Ils n’existent que dans l’imaginaire de certains pour mieux asseoir leurs visées politiques et sociétales. En revanche, dans le contexte d’une mondialisation très compétitive, il importe que l’Union européenne préserve les intérêts de son agriculture et sa capacité d’innovation en autorisant les nouvelles techniques d’obtention de plantes avec une réglementation appropriée, proportionnée aux risques véritables et non à des risques chimériques.



[1] Parmi lesquelles Les Amis de la Terre, la Confédération paysanne, France Nature Environnement, Greenpeace, le Réseau Semences Paysannes etc.

[3] Catherine Regnault-Roger Produits de protection des plantes : innovation et sécurité pour l’agriculture durable, Lavoisier (2014), pp 294-302

[4] OPECST, audition publique du 7 avril 2016, Les enjeux des nouvelles biotechnologies : la modification ciblée du génome avec CRISPR-Cas 9, http://www.senat.fr/opecst/, consulté le 8 avril 2016

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