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Enlevez le gel anti-bactérien de vos valises ou sacs à main : pratique pour se laver les mains en toutes circonstances, il peut aussi être très dangereux pour la santé
©Reuters

Terrain glissant

En été, le gel antibactérien en séduit plus d'un : il est pratique, donne une sensation de frais, et sent (plus ou moins) bon. Pourtant il ne doit pas être utilisé régulièrement et par n'importe qui. Ses composants chimiques pourraient causer des irritations cutanées, et sur le long terme, des problèmes de santé plus graves. Explications.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : En voyage, il est d’autant plus pratique. Glissé dans un sac, il s’utilise à tout moment, et sans eau. Le gel-antibactérien est une aubaine pour ceux qui veulent annihiler rapidement les microbes. On appelle aussi ces gels "hydroalcooliques", pourtant ses composants ne se limitent pas seulement à de l’eau et de l’alcool : le triclosan, un produit synthétique chimique trouvé dans le détergent ou encore les semelles de chaussures, fait partie de l’équation. À quels risques se confronte- t-on lorsque l’on se frictionne les mains avec ce gel antibactérien ?

Stéphane Gayet : Que sont les produits hydroalcooliques pour les mains ? Les produits hydroalcooliques pour les mains (PHA) sont à l’origine d’une véritable révolution dans le domaine de l’hygiène des mains en milieu de soins. Il est utile de préciser que l’hygiène n’est pas la propreté, mais la prévention des infections essentiellement par des mesures d’interruption de la transmission des agents infectieux entre deux personnes. Les PHA sont de deux types : les solutions hydroalcooliques (SHA), fluides et donc peu visqueuses ; les gels hydroalcooliques (GHA), visqueux et donc moins fluides. Les GHA tendent aujourd’hui à s’imposer face aux SHA en raison de leur plus grande commodité. Le premier PHA a fait son apparition à la fin des années 1980. Si ces produits d’hygiène des mains ont mis des années pour faire leur place en raison de nombreuses réticences de la part des hygiénistes, ils sont aujourd’hui considérés comme les produits de référence et de première intention pour la désinfection des mains. Il faut souligner le fait que l’hygiène des mains est la clé de voûte de l’hygiène en milieu de soins. C’est en effet par les mains que la très grande majorité des microorganismes passent d’une personne à l’autre, d’un support inerte à une personne et d’une personne à un support inerte. Il est incontestable que la généralisation de l’utilisation des PHA en milieu hospitalier est à l’origine de la réduction du nombre d’infections à staphylocoque doré, bactérie pathogène par excellence et dont la transmission s’effectue essentiellement par les mains.

Qu’est-ce que le triclosan ?

Le triclosan — ou 5 — chloro-2- (2,4-dichloro- phénoxy) — phénol — est un composé organochloré proche des chlorophénols. Il est connu sous les noms commerciaux Irgasan DP 300 ou Irgacare MP. C’est un produit chimique à action désinfectante qui est connu depuis de longues années et très utilisé. Comme beaucoup de produits à action désinfectante de faible coût, il est utilisé à la fois comme désinfectant et comme conservateur. Il faut en effet savoir que le développement bactérien est à l’origine de l’essentiel des processus de dégradation des composés organiques. D’où la large utilisation de ces produits comme conservateurs dans beaucoup de matières composites. Lorsque l’on utilise un tel produit pour son action cette fois désinfectante, on augmente considérablement sa concentration. De fait, on trouve le triclosan tant dans des produits ménagers (liquide pour la vaisselle…), des textiles, des matières plastiques que dans des produits de soins (solutions nettoyantes et désinfectantes, dentifrices, antiseptiques, produits hydroalcooliques pour les mains…). Il est du reste considéré comme un pesticide aux États- Unis d’Amérique. Sur le plan de sa toxicité, c’est un perturbateur endocrinien avéré. Il est également responsable de dermite allergique de contact à type d’eczéma et d’urticaire. Il a de plus une toxicité pour le foie et le système nerveux (comme les phénols en général). La Commission européenne en date du 27 janvier 2016 (décision d’exécution 2016/110) a décidé de le considérer comme une substance non approuvée pour entrer dans la composition des produits biocides de type I, c’est-à- dire destinés à l’hygiène humaine.

Quels sont les risques liés à l’utilisation des produits hydroalcooliques pour l’hygiène des mains ?

Officiellement, ce sont des produits très bien tolérés. De fait, étant très largement utilisés, on constate que leur tolérance à court terme est très bonne. Les cas de dermite allergique de contact sont rares. Il est indéniable que ces produits sont mieux tolérés que les solutions moussantes qu’ils ont remplacées. À côté du triclosan, l’alcool isopropylique ou isopropanol est également très utilisé ; il est surtout à l’origine d’irritations cutanées. D’autres constituants peuvent provoquer des réactions, comme l’hexaméthylène guanidine, la chlorhexidine et les ammoniums quaternaires. Mais répétons-le, ces réactions cutanées sont très rares eu égard à la large utilisation de ces produits. Mais c’est la toxicité à moyen et surtout long terme qui reste incertaine. Leur absorption par la peau est très faible, mais elle n’est pas nulle. Une toxicité à long terme sur le foie, le système nerveux ou les glandes endocrines ne peut pas être exclue dans l’état actuel de nos connaissances. Il faut quand même retenir que leur apport en hygiène des soins a été considérable et que, quoi qu’il en soit à long terme, leur rapport "bénéfices sur risques" apparaît au demeurant excellent.

À l’origine les gels hydroalcooliques étaient utilisés dans le milieu hospitalier, que ce soit pour les lavages chirurgicaux ou pour faire gagner du temps aux médecins, entre chaque examen. Cet usage dans le milieu hospitalier est-il toujours d’actualité ? Peut-on réellement en recommander un usage vulgarisé ? Devrait-on le retirer du marché ?

Ces produits hydroalcooliques pour la désinfection des mains se sont imposés dans les établissements de soins au cours des années 1990, car ils sont à la fois plus efficaces, plus commodes, plus rapides et mieux tolérés que les solutions moussantes utilisées auparavant et nécessitant un rinçage et un essuyage. Il est incontestable que le nombre de dermites liées au lavage des mains (mouillage, savonnage, rinçage et séchage) a beaucoup diminué depuis la généralisation de l’utilisation des produits hydroalcooliques (PHA). Étant donné que leur emploi est rapide et commode, l’observance des gestes d’hygiène des mains a augmenté chez les professionnels de soins (c’est-à- dire qu’ils se désinfectent les mains plus souvent qu’avant). Parallèlement, le nombre d’infections liées aux soins a baissé, surtout celles dues à des staphylocoques dorés. Cet intérêt majeur des produits hydroalcooliques (PHA) à la place du traditionnel lavage des mains est toujours pleinement d’actualité. Le lavage des mains reste néanmoins nécessaire lorsque les mains sont manifestement souillées (poisseuses ou visiblement sales). S’agissant de l’utilisation des PHA chez les professionnels de soins, ce sont toujours les produits que l’on recommande en première intention, pour les raisons qui ont été indiquées plus haut. Du reste, le ministère chargé de la santé oblige les établissements de santé à compter leurs consommations de produits hydroalcooliques pour les mains et à calculer un indicateur rapporté au nombre de personnels soignants dans chaque secteur d’activité. Cet indicateur ICSHA (indicateur de consommation de solutions hydroalcooliques) constitue l’un des éléments obligatoires du tableau de bord de la lutte contre les infections liées aux soins, faisant lui-même partie de l’ensemble des indicateurs pour l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins (IPAQSS). Ainsi, en milieu de soins, les produits hydroalcooliques pour l’hygiène des mains restent des produits phares dont la place est primordiale dans la lutte contre les infections. Les soignants paramédicaux et médicaux sont surveillés régulièrement dans le cadre de la médecine du travail. Mais l’utilisation large de ces produits par le grand public suscite plus de réserves. La multiplicité des produits hydroalcooliques à destination du grand public rend difficiles les contrôles de leur composition. Des accidents se sont produits aux États-Unis d’Amérique avec de tels produits parfumés à la fraise ou à la framboise et ingérés accidentellement par de jeunes enfants que l’on a dû emmener dans un service d’urgence. Par prudence, ils doivent être éloignés des enfants en bas âge et utilisés avec parcimonie chez la femme enceinte. Ils ne doivent pas être utilisés sur des mains abîmées, sièges de plaies, d’irritations ou d’une dermite. Il faut également rester raisonnable dans leur utilisation, certaines personnes à tendance obsessionnelle étant tentées de les utiliser de façon forcenée. Mais il n’est certainement pas question de retirer ces produits du marché, au contraire, étant donné les grands services qu’ils rendent. C’est en revanche vers un encadrement et un accompagnement de leur utilisation par le grand public qu’il convient d’œuvrer : ce ne sont pas des produits miraculeux à tout faire, il est impératif de donner des consignes précises pour éviter leur abus et leur mésusage.

Que peut-on substituer aux gels hydroalcooliques pour se laver les mains efficacement et sans danger ?

Il convient de préciser que les produits hydroalcooliques (PHA) ne lavent pas les mains, mais les désinfectent. C’est pourquoi ils ne sont pas utilisables quand les mains sont manifestement poisseuses ou visiblement souillées de différentes manières possibles. Il n’est pas logique de se frictionner les mains avec un PHA puis de les porter à sa bouche, ce qui amènerait à ingérer du produit, bien qu’en quantité minime. Bien sûr, on n’a parfois pas le choix, par exemple lorsque l’on mange sans point d’eau permettant de se laver les mains. Mais en dehors des milieux de soins, le lavage des mains à l’eau et au savon reste bien sûr pleinement d’actualité.

Propos recueillis par Victoire Barbin Perron

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