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Oui, il faut évaluer les profs
(et ce sera un progrès pour eux) !
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Tous ensemble, tous ensemble ! Ouais !

Grève dans l'éducation nationale ce mardi. En jeu notamment, l'évaluation des professeurs que la quasi-totalité des syndicats rejette. Une mesure qui pourrait pourtant leur permettre de faire face à un formalisme bureaucratique qui ignore le contexte dans lequel ils travaillent.

Philippe Tournier

Philippe Tournier

Philippe Tournier est  proviseur du lycée Victor Duruy à Paris et Secrétaire général du principal syndicat de chefs d'établissement (SNPDEN-UNSA).

 

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Atlantico : Le projet de réforme de l'évaluation des enseignants soulève la bronca de la quasi-totalité des syndicats de l'Éducation nationale qui appellent ce mardi à une journée de grève et de manifestations.  Le projet de décret propose de confier aux chefs d'établissements l'évaluation des professeurs de l'enseignement secondaire à l'occasion d'un entretien mené tous les trois ans. Le supérieur hiérarchique devrait évaluer la capacité de l'enseignant à faire progresser chaque élève, les compétences dans sa discipline et l'implication dans le projet d'établissement. Etes-vous favorable à cette réforme qui donne un rôle accru au proviseur dans l’évaluation?

Philippe Tournier : Je ne suis pas nécessairement favorable à cette réforme car elle présente des aspects en terme de rémunération, de lien entre l’évaluation et l’avancement, qui ne sont pas pleinement satisfaisants.

En revanche, il n’y a rien d’anormal à ce que la direction de l’établissement, à qui depuis un quart de siècle le code de l’éducation confie la responsabilité de s’assurer de la qualité de l’enseignement donné dans l’établissement, soit présumée être dans la capacité d’évaluer la contribution d’un enseignant au fonctionnement de l’établissement. Le malentendu vient de ce dont on parle quand on parle d '« évaluation ».

Pourtant, d’aucuns objectent qu’il est difficile pour un proviseur spécialiste en histoire, par exemple, d’évaluer un professeur de biologie ?

Il n’est pas en mesure de l’évaluer en tant que biologiste. Mais les directions des établissements évaluent déjà depuis des années tous les autres personnels de l’établissement. Il n’y a plus que les enseignants qui ne sont pas encore dans ce système. Par exemple le personnel infirmier est évalué alors que le directeur ne sait pas faire une piqûre.

En fait, l’objet de l’évaluation n’est pas la compétence technique. Si un professeur de mathématique est évalué, ce ne sont pas sur sa maîtrise de cette science mais plutôt sur sa compétence pédagogique et sa contribution au fonctionnement de l’établissement.

Dans ce schéma-là, l’inspecteur de l’académie aurait-il toujours un rôle à jouer ?

Bien sûr que oui puisque la question de la compétence technique se posera toujours. Dans l’inspection académique, on n’est pas dans l’ordre de l’évaluation. Puisque les enseignants sont recrutés au niveau master et passent en plus un concours donc leurs compétences n’ont pas à être évaluées. Ils sont bons dans leurs domaines disciplinaires.

Les difficultés du système français ne viennent pas de là mais plutôt d’une conception très taylorisée du travail. Les professeurs enseignent en dehors de tout contexte alors qu’on sait aujourd’hui que l’environnement de travail (élèves, collègues, établissement) et les circonstances sociales autour de l’établissement sont des éléments décisifs du métier d’enseignant.

Un proviseur qui évalue des professeurs de son équipe pédagogique ne risque t-il pas de manquer d'objectivité ?

Il n’y a aucun système sans risque. Il y a déjà un risque de favoritisme dans le système actuel. Il n’est ni plus grand ni plus petit. Aujourd’hui l’inspecteur de l’Académie, s’il le souhaite, peut également favoriser un professeur qu’il a consulté pour établir un programme scolaire par exemple. Ce qu’il faut c’est prévoir des modalités de régulation, des recours pour les anomalies. Mais on ne peut pas tout construire sur l’idée que tout le monde chercherait à favoriser des enseignants ou contourner les règles.

Existe-t-il des exemples en dehors de la France sur l’évaluation des professeurs ?

Dans tous les pays où l'on évalue les professeurs, on ne les note plus. Souvent ce ne sont pas les personnels mais les établissements qui sont évalués. On considère que la question du rôle des personnels de l’établissement relève de l’établissement lui-même. Certains pays confient même ces inspections à des organismes extérieurs. Nous sommes l’un des seuls pays au monde où il y a encore des inspections individuelles.

Le décret pourrait, dit-on, faire disparaître la progression de carrière -considérées comme largement mécanique- des professeurs ?

Ce qui compte c’est le différentiel des notes. Donc l’arbitraire peut tout aussi bien exister dans le système actuel que dans n’importe quel autre système, mais c’est moins visible. Selon que vous êtes un professeur noté au plancher ou au plafond, avec un écart de notes extrêmement faible, vous n’avancez pas du tout à la même vitesse puisqu’il s’agit du pourcentage d’une population et non d’une note absolue. Sur une carrière, on peut avoir un écart de progression de 11 ans sur les cas extrêmes. C’est un écart considérable. Comme c’est le différentiel entre les personnes qui compte, une variation infime de notes peut avoir des conséquences considérables. Et ceci sans recours.

Le système actuel est loin d’être un système égalitaire malgré ce que le formalisme apparent laisse croire. Le SNES (Syndicat national des enseignements de 2d degré) l’a d’ailleurs souligné lors d’une de ses enquête montrant que les femmes sont pénalisées par rapport aux hommes du simple fait qu’elles partent en congés maternité. Il faut savoir qu’en 1946, il avait même été introduit pour discriminer et faire en sorte que les fonctionnaires n’évoluent pas à la même vitesse, en somme pour faire une différence entre les gens. C'est toujours le cas aujourd'hui, mais de façon moins apparente. Il n’est donc pas anormal de faire évoluer un système qui a plus d’un demi-siècle.

En quoi l’instauration de ce système au mérite constitue-t-elle une avancée?

Il s’agit déjà d’un système au mérite. Ce qui serait mieux, c’est moins de formalisme bureaucratique dans cet exercice. Il vaut mieux rencontrer quelqu’un tous les trois ans et prendre le temps de discuter avec que de le noter de façon très formelle tous les ans. Et puis, cela va poser la question de la communauté de travail au sein des établissements. Aujourd’hui, on trouve des tas d’individus juxtaposés par hasard dans un même lieu, c’est la conception des établissements scolaires en France.  

Cette absence de sentiment de communauté est un vrai problème en France. Il suffit d’aller voir les établissements des pays voisins pour voir la différence. Chez nous les professeurs se parlent peu et considèrent que faire les programmes est le centre de gravité du métier. Notre système est inefficace : il est l’un des systèmes les plus socialement inégalitaires des pays développés et ceci est alimenté par notre mode fonctionnement.

Propos recueillis par Antoine de Tournemire

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