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Comment celui que l'on surnommait le Gros à Nancy est devenu le légendaire Platoche
©Capture d'écran / NBC

Bonnes feuilles

Comment l'ancien numéro 10 virtuose est-il tombé de son piédestal ? Meilleur joueur français de tous les temps selon de nombreux spécialistes, Michel Platini avait parfaitement réussi sa reconversion. Après la chute de son mentor, Sepp Blatter, au printemps 2015, le président de l'UEFA devait, c'était écrit, lui succéder à la tête de la FIFA... De son enfance lorraine à la crise de la FIFA et au récent scandale des Panama Papers, l'enquête de Jean-Philippe Leclaire révèle les facettes les moins connues du triple Ballon d'Or. Extrait de "Platoche, gloire et déboires d'un héros français", de Jean-Philippe Leclaire, aux éditions Flammarion 1/2

Jean-Philippe Leclaire

Jean-Philippe Leclaire

Jean-Philippe Leclaire est rédacteur en chef à L'Equipe. Il est notamment l'auteur de "Platini, le roman d'un joueur (éditions Flammarion, 1998), récompensé par le prix du Meilleur livre de sport cette année-là. Il vient de publier "Platoche, gloire et déboires d'un héros français" (éditions Flammarion, 2016).

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La période qui court de l’automne 1975 au printemps 1976 marque pour Michel Platini un véritable tournant : sa première saison complète au plus haut niveau. Il dispute trente-cinq matchs et marque vingt-huit buts avec Nancy, auxquels il faut ajouter neuf sélections et deux réalisations en équipe de France « Militaires », « Espoirs » et « Olympiques ». Ces cadences infernales avec match tous les trois jours, affinent la silhouette et renforcent la musculature de l’ex-dégonflé du spiromètre. Si à Nancy, par habitude, tout le monde ou presque l’appelle encore le Gros, le reste de la France se familiarise peu à peu avec les exploits de celui qui deviendra bientôt Platoche ou la Platine.

Après avoir largement participé à la qualification de l’équipe de France olympique pour les Jeux de Montréal, Michel Platini reçoit même sa première convocation pour la « vraie » équipe de France, la A, entraînée par un tout nouveau sélectionneur, nommé quelques jours plus tôt, un certain Michel Hidalgo.

Le jeudi 25 mars à 12 h 45, un taxi laisse Platini devant l’entrée du domaine La Forestière à Saint-Germain-en-Laye. Le nouveau venu pose son sac à la réception puis pénètre un peu intimidé dans la salle à manger. Les quinze autres joueurs convoqués par Hidalgo sont là, en train de terminer leur repas, et l’arrivée du retardataire fait à peine se tourner quelques têtes. D’un rapide coup d’œil, Platini constate qu’autour de la table, peu de visages lui sont familiers. Le Nancéen connaît le Sochalien Gérard Soler, et surtout les Nantais Maxime Bossis et Loïc Amisse appelés en même temps que lui sous les drapeaux. En revanche, pour le petit nouveau de l’équipe de France, les grands anciens comme Marius Trésor, Albert Emon ou Henri Michel ne représentaient jusque-là que des inconnus aux noms glorieux, des adversaires de prestige croisés au hasard des matchs disputés avec Nancy.

En cette avant-veille de week-end, La Forestière affiche complet, et les Bleus doivent se serrer. Michel Platini se trouve donc surpris d’avoir à partager la même chambre que son capitaine Henri Michel. La cohabitation entre le jeune et l’ancien se passe moyennement bien. Grâce aux privilèges que lui confè- rent ses quarante-six sélections en équipe de France, le plus capé des Bleus a en effet l’habitude de dormir seul. Qu’un problème de surréservation lui impose un compagnon de chambrée, soit ! Mais que le nouvel arrivant se comporte comme un ouragan de poche, et là, Henri Michel manque vraiment de perdre son célèbre flegme nantais. « J’avais toujours des chambres très rangées, impeccables. Et lui débarque, met ses chaussures sur le lit et s’allonge par terre pour lire le journal. Je n’avais jamais vu ça ! »

Depuis une dizaine d’années, la vie de l’équipe de France A ressemble à la chambre d’Henri Michel : propre, ordonnée, mais sans la moindre fantaisie. Incapables de se qualifier pour les deux phases finales de la Coupe du monde en 1970 au Mexique et en 1974 en Allemagne, plusieurs générations de Bleus ont vécu et vivent toujours dans l’ombre tutélaire des « Anciens de Suède » (Kopa, Fontaine, Piantoni) qui avaient glorieusement atteint la demi-finale du Mondial 1958.

L’arrivée comme patron des Tricolores, à l’automne 1973, du Roumain Stefan Kovacs, encore auréolé de ses succès avec l’Ajax d’Amsterdam, avait brièvement laissé espérer un certain renouveau. Mais après trente mois d’essais infructueux (trentetrois joueurs ont débuté en sélection !), Kovacs quitte à son tour l’équipe de France. Ses adieux officiels le 16 novembre 1975 coïncident avec une nouvelle sinistre soirée de football. La France et la Belgique font match nul 0-0. « Des matchs comme celui-là, on voudrait vite les oublier et ne pas avoir à en parler cent sept ans, tellement ils sont désolants, insipides et énervants », écrit Jean-Philippe Réthacker pour L’Équipe. Le journaliste n’aurait plus qu’à se jeter du haut du Parc des Princes refait à neuf si, le même jour, l’équipe de France « Espoirs » n’avait triomphé à La Louvière de son homologue belge sur le score plus enthousiasmant de trois buts à deux. Cette victoire des Dropsy, Janvion, Lopez, Bossis, Bathenay et autres Platini ou Zimako redonne un peu le moral à Réthacker qui conclut ainsi : « Kovacs va partir, sans avoir pu trouver l’hommemiracle. Michel Hidalgo, héros du chapitre qui va suivre, le cherchera à son tour… Peut-être se trouve-t-il aujourd’hui du côté de La Louvière, avec ces Espoirs qui peuvent eux nous consoler. Peut-être s’appelle-t-il Platini et peut-être naîtra-t-il au printemps… »

Quatre mois plus tard, cette prophétie des jours sombres se réalise. Le soir du match contre la Tchécoslovaquie, Michel Platini montre toujours le même culot. À la soixante-treizième minute de jeu, suite à un corner, le milieu de terrain tchèque Jaroslav Pollak commet une obstruction sur le Français Patrice Rio. L’arbitre belge, M. Rion, siffle un inhabituel coup franc indirect dans la surface de réparation. Mains sur les hanches, Michel Platini s’avance, bientôt rejoint par son capitaine Henri Michel. Habituellement spécialiste de ce genre d’exercices, le Nantais va devoir partager son coup franc comme il avait déjà partagé sa chambre. « Tu me la passes, et je marque… », lui glisse en effet le jeune Platini. La balle, très brossée, s’élève au-dessus du mur puis retombe juste sous la barre. But et stupeur dans le Parc ! Ivo Viktor, l’un des meilleurs gardiens d’Europe, inaugure la future longue liste des malheureux portiers internationaux battus « sur un coup franc de Platini ». Michel Hidalgo, lui, façonne déjà l’une de ses formules footballistico-imagées qui le rendront si populaire. « Non seulement Michel sait tout faire, mais en plus, il ose tout faire », confie-t-il dans les vestiaires, satisfait de lui-même et de ce match nul 2-2 contre les champions d’Europe. À l’autre bout de la pièce, près des douches, les journalistes se pressent autour de Michel Platini. « Qu’avez-vous pensé après avoir marqué le but1 ? » demande Dominique Grimault du journal France-Soir. Pas du tout intimidé par les micros, le Nancéen affiche le grand sourire du potache qui vient de réussir une bonne blague et en prépare déjà une autre. Il fixe dans les yeux l’auteur de la question et répond sans se démonter. « À quoi j’ai pensé ? Au roquefort. Au roquefort d’abord ! »

Extrait de "Platoche, gloire et déboires d'un héros français", de Jean-Philippe Leclaire, publié aux éditions Flammarion Pour acheter ce livre, cliquez ici

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