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Pourquoi le cardinal Vingt-Trois n'est pas allé trop loin lors de l'homélie en hommage au prêtre assassiné à Saint-Étienne-du-Rouvray
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Tempête dans un verre d'eau

Lors de son homélie prononcée lors de la messe de Notre-Dame de Paris en hommage au prêtre assassiné à Saint-Etienne-du-Rouvray, Monseigneur André Vingt-Trois a dénoncé le "silence des élites devant les déviances des mœurs et législation de ces déviances". Des propos qui ont provoqué une vive polémique non justifiée.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Lors de son homélie prononcée lors de la messe de Notre-Dame de Paris en hommage au prêtre assassiné à Saint-Etienne-du-Rouvray, ce jeudi 28 juillet, le cardinal André Vingt-Trois a dénoncé le "silence des élites devant les déviances des mœurs et la législation de ces déviances". Cette déclaration de cet ancien opposant à la loi Taubira a fait débat, certains y ont vu une attaque contre le mariage homosexuel et l'homosexualité elle-même. Que pensez-vous de cette polémique ? Les propos du cardinal étaient-ils maladroits compte-tenu du contexte ?

Bertrand Vergely : On peut comprendre la vive émotion que ces propos ont pu susciter dans une partie de l’opinion pour qui la notion de déviance des mœurs sonne de façon particulièrement conservatrice. Cela dit, reportons-nous à l’homélie de Monseigneur André XXIII. De quoi est-il question ? De quatre choses. 1) Du crime abominable qui a été commis et qui est indigne d’une religion quelle qu’elle soit. 2) De la seule réponse à apporter à ce crime, à savoir l’espérance et non la désespérance. 3) De la difficulté de notre société à entendre aujourd’hui cette notion d’espérance en raison de la crise morale et spirituelle qu’elle traverse. 4) De la nécessité d’être plus fort que cette crise en se souvenant que pour le christianisme, Dieu aime tous les hommes malgré tout et au-delà de tout. Quand on l’envisage dans sa globalité, dans cette homélie, qu’y a-t-il de choquant ? Rien. Celle-ci ne dit rien d’aberrant ni de scandaleux. En ces temps qui pourraient pousser à la désespérance, n’est-il pas essentiel de ne surtout pas désespérer ? Et ce, malgré tout ce qui peut nous y pousser en raison non seulement des attaques que notre société subit de l’extérieur mais de ses dissensions internes ?

Ayons la patience d’écouter Monseigneur André XXIII jusqu’au bout, son homélie n’a rien de choquant. Isolons en revanche la phrase où il est question de déviance. Il est clair qu’elle ne peut que choquer certaines sensibilités. Le terme "légalisation de certaines déviances" a fait penser au Mariage pour tous. Est-il sûr que c’est cela qui a été visé ? Il y a quelques années, Nicolas Sarkozy a été insulté en public. Ayant porté plainte pour injure au chef de l’État, sa plainte a été considérée comme irrecevable sous prétexte qu’insulter le chef de l’État n’est plus considéré aujourd’hui comme un délit mais comme une manifestation légitime de la liberté d’expression. Quand tel est le cas, comment ne pas avoir l’impression que l’on est en présence d’une "déviance légalisée" ? Ce qui pose une question de fond. Notre société ne renonce-t-elle pas parfois à éduquer ? Et ce renoncement ne provient-il pas d’un désespoir latent ? Des jeunes Français partent aujourd’hui faire le djihad en Syrie. Ne sont-ils pas l’image d’un certain échec de notre éducation ? Je me demande si ce n’est pas ce que Monseigneur André XXIII, que l’on sent quelque part blessé dans son amour pour la France, a tenté de dire.

Lors de cette homélie, le cardinal a fustigé le manque de courage de nos sociétés, qui nous paralyse face à Daesh. La polémique vise-t-elle à étouffer le message de Monseigneur Vingt-Trois ?

Nous vivons dans un monde où il est difficile de dire la vérité en nommant les choses. Cela tient à notre passé et notamment aux conflits idéologiques qui traversent notre société. La France a été très marquée par la guerre d’Algérie et la question de la décolonisation. À cette occasion, la gauche a pour une part pris parti pour le FNL et les Algériens musulmans contre la France. Cela a laissé des traces dans les mémoires et notamment le fait de considérer le musulman comme l’opprimé, celui que l’on colonise, que l‘on exploite, que l’on humilie. D’où de la part de la gauche une vision quelque peu manichéenne opposant d’un côté le bon, à savoir le musulman opprimé, au méchant, le Français de droite et catholique.

Aujourd’hui, cette opposition demeure inconsciemment présente dans les esprits. Notre société a du mal à admettre que, dans certaines de ses composantes, l’islam puisse être l’oppresseur et non l’opprimé. Elle a du mal à reconnaître que venir dans un pays pour y semer la terreur et égorger est un acte de guerre et qu’il faut se défendre. Elle continue de penser que le mal sur la Terre est le fait du christianisme en raison des croisades, de l’Inquisition et des guerres de religion. En ce sens, oui, il faut du courage aujourd’hui en France pour oser dire la vérité, à savoir que l’islam a un problème avec la violence et que le terrorisme qui aujourd’hui ensanglante le monde ainsi que les musulmans eux-mêmes, victimes eux aussi de cette violence, n’est pas le fruit du hasard. Comme me le disait récemment un ami musulman : "Que les Français anti-racistes arrêtent de dire que le terrorisme n’a rien à voir avec l’islam. Tant que nous ne verrons pas notre propre violence, tant qu’on nous empêchera de la voir au nom de l’anti-racisme, nous ne pourrons pas évoluer". En ce sens, oui, la polémique qui a lieu aujourd’hui ne favorise pas la vérité. Lors des attentats contre Charlie Hebdo, souvenons-nous, de quoi a-t-il été question ? De savoir si on allait manifester aux côtés de Marine Le Pen ou pas. Résultat : à quoi a-t-on assisté ? À une tentative de transformer la marche silencieuse en mémoire des victimes de Charlie Hebdo en manifestation anti-Front national, les terroristes étant assimilés au passage à des nazis et les marcheurs de la Manif pour tous à des djihadistes. En ce sens, il est regrettable que la gauche ait décidé d’amplifier les propos de Monseigneur André XXIII et que celle-ci ait adopté le ton de l’invective. Quelle leçon de dignité elle aurait pu donner en soulignant discrètement son désaccord avant d’appeler au recueillement ainsi qu’à la gravité ! La bêtise n’est pas simplement le fait de ceux qui la disent. Elle est aussi le fait de ceux qui la relèvent en lui donnant une importance qu’elle ne mérite guère.

Que révèlent ces polémiques à un moment où la République devrait être solidaire de l'Eglise catholique ? 

Je pense que la France a été unanimement horrifiée par le meurtre abominable de Saint-Étienne-de-Rouvray. Si notre pays a derrière lui une longue tradition anticléricale, il n’est pas anticlérical au point de souhaiter que l'on égorge les prêtres et les chrétiens. La République est-elle pour autant aux côtés de l’Église catholique ? On n’en est pas encore là. Ce que la polémique révèle ? D’abord l’extrême nervosité d’un certain nombre de responsables politiques qui devraient être calmes et qui se révèlent être à cran. Ensuite, autre révélation, l’immaturité morale et spirituelle. Franchement, les propos de Monseigneur André XXIII méritent-ils qu’on en fasse une affaire d’État ? Notre pays est bien éprouvé en ce mois de juillet. L’urgence est-elle de polémiquer ? N’est-elle pas plutôt d’aider moralement notre pays qui en a bien besoin ?

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