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Comment la domination masculine dans le sport (et ailleurs) en est venue à obliger les femmes à prouver leur sexe biologique lors de certaines compétitions
©Lingerie-sport.com

Bonnes feuilles

La compétition sportive est-elle aussi ouverte aux femmes qu'on le pense ? Est-elle même faite pour elles ? Rien n'est moins sûr. Certes la quasi totalité des disciplines sportives se sont féminisées et les sportives sont de plus en plus médiatisées ; mais alors pourquoi des sportives sont-elles contraintes de passer des tests de féminité, donc de prouver qu'elles sont des femmes ? Extrait de "Des femmes et du sport", d'Anne Saouter, aux éditions Payot 2/2

Anne Saouter

Anne Saouter

Anne Saouter est anthropologue et s'intéresse à la question de la production des corps sexués dans les pratiques sportives. Elle a écrit "Etre rugby : jeux du masculin et du feminin" et est également l'auteur du livre "Des femmes et du sport (éditions Payot), en 2016. 

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La violence du modèle 

Même si l’école impose la mixité, en EPS comme ailleurs, elle est aussi le lieu de reproduction d’un modèle masculin qui demeure le référentiel. Ce modèle est d’autant plus difficile à remettre en question par une institution qui a vu, dès les années 1990, la mise en place d’outils d’évaluation tels qu’on pouvait les retrouver dans le monde concurrentiel et agressif de l’entreprise. Performance, excellence, réussite et compétitivité, sont autant d’injonctions qui font référence à l’idéal-type d’une masculinité toute puissante.

Dans son étude sur le système punitif au collège, Sylvie Ayral montre combien cet idéal type participe à faire d’une violence, physique ou symbolique, et bien que sanctionnée, une source de pouvoir, un apprentissage relevant du « curriculum caché ». Elle raconte comment les garçons instrumentalisent la punition pour renforcer leur identité masculine, et comment l’institution scolaire consacre finalement une masculinité stéréotypée.

Comme lorsqu’elle punit les garçons pour des faits visibles tout en disant d’eux qu’ils ont le courage et l’honnêteté de faire les choses en face, pendant que les filles, sournoises et vicieuses, feraient leur coup en douce. Comme quand les filles ou les enseignantes ignorent des propos sexistes ou obscènes parce qu’on leur répondra, ou qu’elles sont elles-mêmes persuadées, qu’à cet âge ce sont les hormones qui s’expriment.

Est-ce au nom de cette « fatalité » qu’une asymétrie dans les comportements est légitimée, alors même qu’elle mériterait d’être le point de départ pour penser des actions de prévention ? Ainsi s’interroge Sylvie Ayral, mettant en exergue le résultat éloquent d’enquêtes statistiques menées auprès de plusieurs établissements scolaires, du collège rural au collège privé, en passant par les quartiers « chics » : 75,7 % à 84,2 % des élèves punis sont des garçons et 84,2 % à 97,6 % le sont pour violence sur autrui.

Une quinzaine d’années avant elle, le criminologue Robert Cario dénonçait le même aveuglement face à l’expression de la violence : « Les femmes résistent au crime. Incontestablement. Les chiffres disponibles, malgré leurs imperfections notoires, sont très explicites. Et ce constat, à l’énoncé sans doute racoleur, est durable. Très curieusement, une telle résistance, si positive, ne semble intéresser personne. […] Alors est-ce la crainte de devoir reconnaître que les femmes sont plus sociables, plus altruistes, plus douces… ‒ que les hommes ‒ qui empêche la poursuite d’études scientifiques, rares tout au long de ce siècle et en France pour le moins, sur les mécanismes qui déterminent une telle bénéfique résistance à l’agressivité dirigée contre autrui ? […] En ce domaine comme en de nombreux autres, la domination masculine s’étale, ambitieuse au point d’ignorer (ou de feindre d’ignorer) l’essentiel : les femmes résistent au crime. »

Sans évidemment tomber dans le déterminisme biologique, des études plus récentes se sont intéressées à cette question de la violence chez les hommes et chez les femmes. Cependant, la science ne fait pas toujours loi, surtout en ce domaine. Ce qui fait le quotidien de la vie en société reste indubitablement dépendant du modèle séculaire où la force des hommes ne doit pas défaillir, quitte à en accepter des expressions déviantes.

Et c’est bien l’une d’elles qui est banalisée, ou ignorée, quand l’institution sportive exige d’athlètes féminines d’apporter la caution biologique de leur sexe véritable, du moins ainsi défini par les besoins de la compétition. Car on ne saurait prendre le risque de confondre performance masculine et performance féminine sans prendre celui de dissoudre la hiérarchie entre les sexes.

Pour mener sa police de genre, le champ sportif bénéficie, encore et toujours, de l’appui de la science médicale qui, à côté d’indéniables progrès en faveur du bien-être de l’humanité, fournit les moyens les plus élaborés pour gouverner les corps.

Extrait de Des femmes et du sport, d'Anne Saouter, aux éditions Payot. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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