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Mais qui a volé ces 5 chefs d’oeuvres de Francis Bacon ?
©REUTERS/Toby Melville

THE DAILY BEAST

Les cinq toiles de Francis Bacon volées dans l'appartement d'un ancien amant à Madrid sont toujours introuvables.

Lizzie Crocker, copyright The Daily Beast (Traduction Victor Salama)

En juillet dernier, cinq tableaux de Francis Bacon ont été volés au domicile d’un banquier, au centre de Madrid. Les voleurs ont désactivé l’alarme avant de se frayer un chemin vers le 4ème étage où se trouve le loft de de José Capelo, 59 ans, qui était à Londres au moment des faits.

Ils se sont échappés avec un butin d’environ 28 millions de dollars en portraits et paysages. Ces tableaux avaient été légués à José Capelo à la mort de Bacon. Ni le concierge ni les voisins n’ont remarqué quelque-chose d’étrange ce jour-là. C’est le genre de cambriolages silencieux et sans traces que l'on peut imaginer en voyant des films comme "L’affaire Thomas Crown".

Sept mois ont passé avant que les enquêteurs ne découvrent une piste. En février, des détectives privés britanniques ont relayé un e-mail anonyme avec une photo de l’un des tableaux volés. Quand la police scientifique a identifié la caméra qui avait pris la photo, ils ont trouvé la trace d’un suspect. En mai, la police espagnole a publié un communiqué annonçant l'arrestation de sept suspects en lien avec le vol. La Police n’a pas donné le nom des suspects, ni d’informations sur les tableaux. Ils n’avaient même pas été retrouvés.

Cette affaire semble avoir déconcerté les polices locales et internationales. Mais c’est parce qu’il y a beaucoup d’éléments déconcertants. Comment se fait-il qu’un vieux banquier, qui n’est pas un collectionneur d’art et dont le nom est inconnu sur le marché, possède cinq toiles de Francis Bacon dont "Trois études pour Lucian Freud", tableau qui a ensuite établi un record mondial lors d’une enchère en 2013 à 142,405 millions de dollars ? Comment un vol aussi sophistiqué a-t-il été élucidé grâce à un procédé aussi simpliste qu’un e-mail anonyme qui a permis de pister une bande de voleurs maladroits ?

José Capelo a rencontré Francis Bacon dans les années 1980 dans une fête londonienne chez Sir Frederick Ashton, chorégraphe au Ballet de l’Opéra Royal. Les deux se sont rencontrés grâce à Barry Joule, un ami proche de Bacon. Le peintre avait 78 ans à l’époque et s’est entiché de José Capelo, âgé de 35 ans. Capelo avait un tempérament diffèrent des autres hommes que Bacon avait aimé – des "brutes", selon la description qu’il en lui-même faite à son ami de toujours et biographe, Michael Peppiat.

Dans sa copieuse biographie, Michael Peppiat se souvient de l’artiste parlant de José Capelo comme d’un homme raffiné : "Ce qu’il y a de merveilleux, c’est que d’habitude je tombe uniquement sur des brutes, mais avec José, qui parle toute les langues connues sur cette terre, je peux parler de tout." Quelle chance alors que Capelo ait été "bien membré. Presque trop bien membré" Bacon s’extasiait. "Il était physiquement épris de lui" a déclaré Peppiat au Daily Beast depuis sa résidence à Paris. "Et Capelo était fasciné par le brio et l’aura de Bacon, mais il y avait une énorme différence d’âge entre eux."

Peppiat déjeunait souvent avec Bacon et Capelo à Londres lorsqu’ils étaient très amoureux. Il dit dans ses mémoires s'être senti comme un chaperon, qui "essayait de s’extraire de leurs rendez-vous amoureux, mais aucun des deux hommes n’acceptait qu’il s’en aille, même si ma présence ne les a jamais empêché de roucouler." Il n’a jamais vu Bacon flatter un homme autant que Capelo. "Tout l’acide qui était tant présent avant avait complétement disparu de son système" dit Peppiat. "Son amour (pour José) n’était probablement pas une bonne chose pour sa peinture. Ça l’a calmé et apprivoisé et l’a rendu étonnamment bienveillant. Il a toujours eu des périodes passagères de bienveillance mais là, sa dureté était pacifiée". Mais l’âge avancé de Bacon et sa mauvaise santé (il était asthmatique) ont fait fuir José Capelo. "Je crois que toute cette histoire était un peu tragique" dit Peppiat à propos de leur romance.

En avril 1992, Bacon est parti pour Madrid dans l’espoir de reconquérir José Capelo, et ce malgré sa mauvaise santé et contre l'avis de son médecin. Quatre jours après son arrivée, il était transporté à la Clinique Ruber, spécialisée dans les problèmes respiratoires. Il y a passé 6 jours en soins intensifs avant d’y mourir d’un arrêt cardiaque. Selon une de ses infirmières, personne n’est venu lui rendre visite, même pas Capelo. Elle a dit à Peppiat que Bacon ne voulait voir personne. José Capelo était encore moins bien disposé. "Il n’y avait aucun moyen de le contacter" dit Peppiat. "Et je sais que même si j’avais réussi à le joindre, j’aurais été face à un mur. José n’aime vraiment pas parler de ses relations amoureuses". En effet, il a quasiment tout nié de la conversation publiée entre l’artiste et Barry Joule. Conversation dans laquelle Bacon disait avoir légué quatre millions de dollars à José Capelo. Joule à fait fuiter l’enregistrement au London Times en 2014 en disant que Bacon lui avait donné la permission de rendre publiques leurs conversations après sa mort.

En 2013, un tableau intitulé "Un portrait de José Capelo" a été vendu dans une galerie renommée en Suisse. Capelo a également posé pour un triptyque de 1991 exposé au New York Museum of Modern Art même si Bacon raconta à Joule que Capelo lui avait demandé de peindre par-dessus son visage sur le tableau. José Capelo a insisté auprès du Times que ces conversations étaient "pleines de mensonges et d’inexactitudes". Il a assuré "qu’il n’avait aucune envie de profiter de cela", faisant référence à sa relation avec Bacon. "Pourquoi le ferais-je maintenant ? Je n’ai pas envie de faire partie de ça".

Quant aux commentaires de Joule, Capelo a refusé de commenter au-delà de "Je n’ai pas beaucoup de respect pour ses opinions, ses points de vue et son approche des choses… Je crois que j’ai le droit d’avoir une intimité et j’entends la préserver". D’après El Pais, deux ans après la mort de Bacon, José Capelo a acheté l’appartement qui a été cambriolé en juillet.

Beaucoup a été dit sur les personnages violents et sadiques qui ont attiré Bacon dans le passé, comme Peter Lacy et George Dyer, qui se sont tous deux suicidés. C’étaient des muses sombres et violentes qui ont symbolisé la période "grotesque" du travail de Bacon. Pourtant, on sait peu de choses sur le dernier grand amour de l’artiste. Bacon a-t-il rencontré Capelo à Madrid avant d’être amené en urgence à la clinique ? Pourquoi Capelo ne lui a-t-il jamais rendu visite sur son lit de mort ? A-t-il simplement respecté le vœu de Bacon, comme semble le suggérer l’infirmière ? (Nous n’avons pas pu joindre M. Capelo pour cet article).

Depuis ce vol, leur relation est peut-être encore plus voilée de mystère qu'auparavant. Capelo lui-même est devenu une source d’intrigues. Il est tentant d'interpréter ses déclarations, disant ne pas vouloir "profiter" de leur relation. Etait-ce une pique envers John Edwards, le précédent amant de Bacon qui gérait les affaires de l'artiste après sa mort (John Edwards lui-même est mort en 2003) ? Ou bien est-ce un sentiment sincère de la part d’un homme qui a un goût pathologique du secret ?

La Police Nationale espagnole n’a pas pu être contactée pour commenter l’enquête en cours. Les gestionnaires des affaires de Bacon n’ont pas non plus voulu commenter le vol des cinq tableaux. La valeur totale des tableaux peut sembler insignifiante par rapport aux prix atteints dans les ventes aux enchères par d'autres tableaux de Bacon. Mais la plupart d’entre nous s’intéressent moins aux chiffres qu’aux histoires qu’il y a derrière ces tableaux. Et si José Capelo a son mot à dire, ces histoires ne sortiront pas de sitôt.

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