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Quand Snapchat détourne ses propres règles en permettant à des victimes d’abus sexuels de témoigner à visage couvert
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Technologie

L'outil social numérique à la mode présente de nombreux avantages novateurs afin de briser le mur du silence.

Utilisateurs, "starlettes" devenues nouveaux riches, investisseurs et désormais media, l'application pour mobile Snapchat a le vent en poupe. Tout comme l'entreprise qui est derrière, en pleine croissance et qui réalise de nombreuses levées de fonds. Parmi ses fonctionnalités les plus populaires, Snapchat propose de raconter une histoire en messages vidéo, qui disparaissent au bout d'un certain temps. Le programme propose donc de se filmer soi-même, en appliquant des "filtres" graphiques, sous la forme de dessins, sur son visage, pendant l'enregistrement. Casques, lunettes, couronnes, masques de fête, l'utilisateur peut ainsi ressembler, au choix, à un corsaire des mers, à un charmant félin, ou encore à une reine de beauté.

Entretien avec un dragon

(Crédit Photo : Facebook)

C'est cette fonction qu'un journaliste du quotidien Indien Hindustan Times, Youssouf Omar, a choisi pour interviewer des victimes d'abus sexuels, dans un pays où ils sont fréquents. Le but : recueillir le plus de témoignages possibles, et ainsi sortir d'un silence devenu trop habituel en de pareilles circonstances, et généralement difficile à rompre. Entre incrédulité abusive des forces de l'ordre, honte de l'humiliation subie, représailles de proches ou du milieu professionnel peu de temps après l'acte, les victimes ont tendance à se cloîtrer dans la souffrance et le secret.

Lire aussi : Inceste et agressions sexuelles : pour comprendre pourquoi les victimes attendent parfois si longtemps pour dénoncer les faits

Protéger son identité en cas d'agression sexuelle reste essentiel, notamment afin de ne pas se faire repérer et traquer par le bourreau, si ce dernier court toujours.

L'enquête de M. Omar a été réalisée pour l'association d'escalade new yorkaise "CLIMB", qui lutte contre les abus sexuels.

C'est ainsi que l'on voit des témoins révéler leur expérience traumatisante avec, par exemple, le visage animé d'un dragon crachant du feu entre deux phrases, ce qui les rend méconnaissables, tout en conservant leurs expressions faciales, et leur assure qui plus est la confiance du caractère éphémère des messages de Snapchat. Souvent, les victimes sont aussi hésitantes envers la presse, ne pouvant faire confiance à 100% à un interlocuteur qui leur promet que leur visage sera flouté, ou qu'il n'altèrera en rien leurs propos. 

"Enregistrer avec un masque a donné (aux victimes, ndlr) un sentiment de légitimité, et l'assurance que je ne serai pas en mesure de montrer leur visage, plutôt que de faire confiance à un journaliste qui leur dit 'Oui oui, nous allons vous flouter après'. Ils sentaient qu'ils avaient le pouvoir, et surtout le contrôle de leur récit.", explique Youssouf Omar.

(Crédit Photo : Facebook)

"Avec l'utilisation de la caméra interne du smartphone, c'est comme si l'on parlait à un miroir", ajoute-t-il.

"Ils ne racontaient pas leur histoire à moi ou à une caméra, ils se voyaient simplement dans un téléphone, et se rappelaient leurs expériences – ce qui donnait un caractère très personnel et sincère à leur récit.", conclut le journaliste du Hindustan Times.

+900% d'augmentation viols en Inde ces quarante dernières années

Les agressions sexuelles constituent un problème récurrent et croissant dans le pays du sud de l'Asie, frappé par la pauvreté, l'insécurité et la montée des conflits entre religion hindoue et islamique. Selon le National Crime Records Bureau (NCRB), l'agence gouvernementale indienne responsable des statistiques judiciaires, citée par un article du quotidien britannique The Guardian de 2013, les viols ont explosé de plus de 900% ces 40 dernières années en Inde, ce qui rendrait presque inaperçue l'augmentation de 250% des assassinats sur les soixante dernières années dans le pays.

L'attention médiatique et l'émotion nationale avaient atteint leur paroxysme en Inde en 2012, avec "l'affaire du viol collectif de New Dehli", où la mort d'une étudiante de 23 ans fut érigée en symbole d'un problème de société devenu majeur dans cette région du globe. Le 29 décembre 2012, Jyoti Singh avait succombé à ses blessures, treize jours après avoir été agressée puis violée par six hommes à bord d'un bus d'où elle fut finalement jetée après le crime.

Bien sûr, toutes les vidéos que Youssouf Omar a filmées ont été immédiatement publiées sur son compte Snapchat, mais il a réussi à les sauvegarder afin de les réutiliser sur d'autres réseaux sociaux.

Un maigre espoir pour toutes les victimes de viol à travers le monde. Le journaliste du Hindustan Times prévoit d'utiliser encore cette technique pour interroger toujours plus de victimes d'agression sexuelle :

"Tout le monde continue de voir Snapchat comme un outil de rencontres, en essayant désespérément de comprendre comment obtenir plus d'abonnés sur son compte. Mais très peu de gens réalise que ça peut être aussi un puissant outil de création de contenu, avec tous les ingrédients que les 'natifs' du digital (ceux nés peu de temps avant l'apparition d'Internet, ndlr) adorent, que ce soit la possibilité d'ajouter des filtres, d'ajouter du texte au bas des vidéos, ou d'ajouter des 'émoticônes' qui véhiculent des émotions que nous ne pouvons pas transmettre avec des mots", a-t-il déclaré.

En décembre prochain, le reporter couvrira la prochaine ascension de l'association CLIMB contre les abus sexuels, prévue sur le plus haut sommet de l'Afrique, le Kilimandjaro.

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