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Les classes moyennes ont été sacrifiées depuis 30 ans sur l'autel de l'obsession du diplôme
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Néo prolétariat

Dans une France en pleine angoisse sur sa désindustrialisation, quelle place réserve encore aux salariés et employés moyens l'économie de la connaissance qui était sensée assurer notre prospérité future malgré la mondialisation ?

Guy  Minguet

Guy Minguet

Guy Minguet est professeur de sociologie à l’Ecole des Mines de Nantes, chercheur permanent au LEMNA de Nantes, et associé au CGS Paris Tech. Il travaille sur les effets des changements d’organisation, d’action managériale sur la santé des salariés ; sur les régimes de conception exploratoire et d’innovation intensive ; sur la biomédecine, la production collective autour des nouvelles technologies et des pratiques médicales

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Une société post- industrielle, synonyme d’économie de la connaissance, se caractérise par un mode de production qui repose sur une technologie informationnelle en réseau et la mondialisation.

Depuis le début des années 80, le développement de cette société a entraîné l’essor de métiers et de catégories qui occupent l’espace intermédiaire dans l’appareil productif. On y identifie des infirmières, techniciens, conseillers bancaires, professeurs du primaire et du secondaire, éducateurs, mais aussi des positions élevées, comme les hauts cadres, médecins, avocats, professeurs du supérieur, chefs d’entreprise.

Avec la crise actuelle, deux mutations profondes des couches moyennes se sont révélées.

Tout d'abord, avec la mondialisation, les classes moyennes sont devenues moins homogènes qu'elles ne l'étaient auparavant : il existe différentes franges de la société française qui ne jouissent plus des mêmes possibilités sur le marché du travail, pour le logement, la culture, la santé. Certains, dans les couches moyennes hautes, sont (encore) immunisés contre les risques du chômage, de la précarité, des délocalisations. D'autres en revanche, chez les couches moyennes modestes, connaissent les soucis de salaires bloqués, les menaces sur l’emploi, les prix de biens incontournables (se loger, se nourrir, se soigner, s’instruire, se transporter) à la progression plus rapide que les revenus.

En second, nos sociétés aiment à se parer de l’image séduisante "d’économies de la connaissance ", qui ont su, grâce à leur intelligence, se libérer des emplois pénibles et peu attractifs, ceux qui demandent du muscle et non de l’intellect. Nous serions ainsi dotés d’un « avantage comparatif » par rapport aux pays pauvres cantonnés dans le rôle d’usine du monde, selon une division du travail gage d’efficacité (on aura reconnu les credos de l’économie classique). C’est sur la base de cette représentation, mot d’ordre et idéologie plus que réalité avérée, que l’OCDE a défendu les politiques de développement de l’enseignement supérieur, en évoquant comme preuve tangible de ladite économie de la connaissance cet allongement des scolarités. Cette représentation incluait la valorisation des filières généralistes et le discrédit des filières technologiques, la promotion du tertiaire et le dédain de l’industrie. L’entrée dans les classes moyennes reposait sur un mythe : en poussant leur scolarité le plus possible, les individus se donnaient les moyens d’avoir des emplois gratifiants, des salaires corrects, de grimper dans l’échelle sociale ou de s’y maintenir, de consommer les accessoires de l’internet et les produits importés.

Or, la réalité actuelle est lourde de désillusion en raison du lien qui se défait d’un côté entre longues études et insertion professionnelle, de l’autre entre préférences d’orientation et réalités de l’emploi. Prenons l’exemple, d’une cohorte d’élèves en terminale. Pour un jeune qui cherche à s’orienter, tiraillé entre ses capacités et ses envies, entre les recommandations professorales et parentales, les conséquences de son choix sont exorbitantes. Ce n’est pas du tout la même chose pour l’insertion et le devenir ultérieur que d’opter pour une filière à fort rendement en terme d’employabilité ou par infortune, une filière à faible rendement. Soyons concret ; la réussite aux épreuves de médecine, de soin infirmier, d’ingénieur comme l’accès aux filières technologiques ou professionnalisantes procure une sérieuse chance d’obtenir le triplet emploi/métier/revenu; a  contrario, la réussite (assurément aussi difficile) à des filières scientifiques, littéraires, sociales, tertiaires ne garantit aucunement la possibilité d’en goûter les fruits et ceci nourrit la frustration car les attentes s’élèvent avec la durée. Pour ce dernier cas, on l’a crûment dénommé « Le nouveau prolétariat intellectuel » ou « la précarité diplômée ».

Au final, les classes moyennes ont prospéré dans une période de plein emploi, de possibilités d’ascension sociale par le double mécanisme de la réussite scolaire et d’entreprises en croissance. Ces ingrédients ne sont plus présents comme tels. Pour avancer, il importe de se défaire de nos images pétrifiées et des stéréotypes sur le travail (noble/vil), sur la distinction fausse travail manuel/travail intellectuel, sur l’homogénéité mythique de l’enseignement supérieur, sur la disparition présumée des activités manufacturières, ou la désaffection envers la technique, la fabrication. Il nous faut accepter avec humilité et réalisme qu’après tout il existe d'autres voies de parcours professionnel que celles des diplômes et des filières différentes mais d’égale dignité pour une vie bonne.

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