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Finance post-Brexit : vous pensiez que le diable habitait à la City, vous allez découvrir qu’il était surtout installé en France et en Allemagne....
©Reuters

Bouc-émissaire

Le Brexit, une occasion de réformer enfin le système bancaire européen ? Si l'on peut penser que la sortie du Royaume Uni devrait favoriser une vision moins immédiatement favorable à la dérégulation du secteur bancaire, il n'en est rien. En effet, en termes de régulation bancaire, et notamment de séparation des activités au sein des banques, les Français et les Allemands sont encore moins-disant que les Britanniques.

Gaël Giraud

Gaël Giraud

Gaël Giraud est directeur de recherche au CNRS, et directeur de la Chaire Energie et Prospérité (Ecole normale supérieure, Ecole Polytechnique et Ensae). Après deux années passées au Tchad, où il fonde un centre d'accueil pour les enfants de la rue de Sarh, Gaël Giraud a travaillé quinze ans comme chercheur en économie théorique, au cours desquels il a aussi exercé l'activité de consultant scientifique auprès de banques d'investissement. Il a publié quatre livres, dont le dernier s'intitule Illusion financière, (éditions de l'Atelier, 2013). Enfin, Gaël Giraud est religieux jésuite. 

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Atlantico : Selon certains commentateurs, le Brexit représenterait une opportunité de corriger le système bancaire européen et d'instaurer des mesures en faveur d'une plus grande régulation, ce qui n'a pas été fait en 2008. Qu'en pensez-vous ? L'absence de régulation du système bancaire européen au lendemain de la crise de 2008 est-elle imputable aux Britanniques ?

Gaël Giraud : Le Brexit pourrait changer les choses dans la mesure où les Britanniques ont une vision du monde axée autour de la mobilité du capital (c'est là-dessus que la prospérité de la Grande-Bretagne s'est construite). En 1976, un an après l'entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté économique européenne, le pays a dû faire appel au FMI car il était en voie d'effondrement économique. Ce qui a permis à la Grande-Bretagne de garder la tête hors de l'eau depuis lors, c'est Londres et uniquement la City. Londres est devenue la grande plateforme du recyclage des pays ayant des excédents commerciaux (l'Allemagne, la Chine…). Londres a donné un semblant de prospérité à une partie de la Grande-Bretagne mais toute la société britannique n'en a pas profité, loin s’en faut. Une partie de la population britannique est restée sur la trajectoire de 1976 : désindustrialisation massive, précarité, chômage de masse. C'est majoritairement cette Angleterre-là qui a voté pour le Brexit.

On peut penser que la sortie du Royaume Uni devrait favoriser une vision moins immédiatement favorable à la dérégulation du secteur bancaire mais à la réflexion, je n’en suis pas du tout convaincu, et ce pour plusieurs raisons. La première, c'est que les Britanniques ont vu certaines de leurs grosses banques faire faillite en 2008, contrairement à la France. BNP-Paribas, la Société Générale, BPCE-Natixis et le Crédit Agricole étaient virtuellement en faillite en décembre 2008 mais l’Etat les a sauvées in extremis avec l'argent du contribuable et un usage judicieux de la garantie publique, ce qui leur a permis de passer l'hiver en évitant la faillite. Seule Dexia s’est effondrée, ce qui est déjà énorme (cela a quand même coûté 12 milliards d’euros, à ce jour, aux contribuables franco-belges, sans compter les 80 milliards de garantie publique consentis par la France sur cette banque défunte). Les élites françaises n'ont donc pour l'instant pas le sentiment d'avoir eu à payer très cher pour nos banques. A l'inverse, les Britanniques, eux, ont déjà payé pour Northern Rock, et ont connu une panique bancaire. Au fond, les Britanniques sont plus allants pour la régulation bancaire que les Européens continentaux. D'ailleurs, sur la question de la séparation bancaire (la séparation entre banques d'investissement d'un côté et banques de crédit et de dépôt de l'autre), les Britanniques sont allés plus loin que les Français. La France a mis au point une fausse séparation qui ne sépare rien (la loi Moscovici-Berger) alors que les Britanniques ont mis en oeuvre une séparation partielle qui cantonne les filiales des banques spécialisées dans la spéculation. Les Allemands ont également fait une fausse loi de séparation mais qui, à la différence de la nôtre, menace tout de même de sanctions pénales les banquiers fraudeurs. Français et Allemands se sont battus pour que la directive Barnier (de l'ancien commissaire européen au marché intérieur et aux services), inspirée de l’excellent rapport Liikanen, soit vidée de son contenu et qu'il ne puisse pas y avoir davantage de loi de séparation bancaire au niveau européen. En réalité, pour ce qui est de la réglementation bancaire, je crains que le Brexit ne soit pas une bonne nouvelle pour l'Europe puisqu’Allemands et Français sont encore moins-disant que la Grande-Bretagne.

Quelles sont les principales réformes qui devraient être mises en place pour une plus grande régulation bancaire ?

Premièrement, il faudrait étendre la taxe sur les transactions financières. Sur cet aspect particulier, le Brexit peut constituer une bonne nouvelle dans la mesure où les capitaux s'évaderont moins à Londres. Il devrait donc être plus facile de se montrer plus audacieux sur une telle taxe. Deuxièmement, il est urgent de séparer les banques mais il est encore moins probable qu'une telle avancée ait lieu après le départ de la Grande-Bretagne (comme je l'ai expliqué précédemment). Troisièmement, comme l'Union bancaire est insuffisante (j'y reviendrai), il faudrait relever les exigences de fonds propres imposées aux banques. Les exigences actuelles, instaurées dans le cadre prudentiel dit de Bâle III, sont très insuffisantes.

Quels sont les risques si de telles mesures ne sont pas instaurées ? 

Le risque est que nous soyons confrontés à un nouveau krach financier d'amplitude encore plus grande que celui de 2008. Il possible que le secteur bancaire italien s’effondre car c'est actuellement le secteur bancaire le plus fragile d’Europe. Monte Dei Paschi, en particulier (l’une des plus anciennes banques du monde) est une banque-zombie entièrement sous perfusion de la Banque Centrale Européenne. On a aussi un mastodonte comme la Deutsche Bank dont la taille du bilan est encore plus grosse que celle de BNP Paribas et qui est considérée par le FMI comme la banque européenne représentant le plus gros risque systémique du continent. (Outre qu’elle est impliquée dans un nombre invraisemblable de scandales financiers.) En France, les banques sont très exposées : nous sommes le seul pays au monde à avoir 4 banques “mixtes” (i.e., qui mélangent spéculation de marché et activité bancaire traditionnelle) présentant un risque systémique. Le fait qu'elles soient mixtes signifie qu'elles mettent en danger les dépôts de leurs déposants parce que leurs opérations de spéculation sur les marchés internationaux ont lieu au sein de la même institution. Le jour où un krach bancaire se produira, la France sera très fragilisée du fait de ses 4 banques systémiques.

Il est très vraisemblable qu'une grosse faillite bancaire italienne ait des répercussions sur les autres pays de la zone euro soit par le canal des liens capitalistiques entre banques (par exemple avec une banque française comme la BNP), soit à cause de l’exposition de la banque faillie sur les marchés de dérivés financiers, soit parce que les marchés financiers paniquent, soit parce que la BCE est obligée d'enregistrer des pertes colossales pour sauver les banques italiennes et éviter la catastrophe. (Et sans doute y aura-t-il un peu de tout cela en même temps.) Si la Banque Centrale de Francfort enregistre des pertes, d'après les Traités européens, les Etats de la zone euro sont contraints de la recapitaliser. Les fonds propres de la BCE sont petits (moins de 100 milliards d’euros, comparables à ceux de BNP-Paribas par exemple), ce qui signifie que c'est le contribuable européen qui devra payer. Dans un rapport que j’ai remis au Parlement européen l’an dernier (1), j'ai calculé l'impact macro-économique d'un krach bancaire de même amplitude que celui de 2008 en tenant compte de la mise en place de l'Union bancaire européenne. La conclusion que j'ai tirée de ce travail de recherche est édifiante : une grande majorité des institutions bancaires à risque systémique de la zone euro seraient en faillite (dont probablement, de nouveau, les 4 grands groupes bancaires français) et cela coûterait au bas mot 1000 milliards d'euros de PIB à la zone euro en 2 ans (soit la moitié du PIB français). Désastreux. 

(1) G. Giraud et Th. Kockerols, “Making the European Banking Union Macro-Economically resilient”, rapport pour le Parlement Européen, 2015. http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2015/558771/EPRS_STU(2015)558771_EN.pdf

Quelle est la conscience du risque qu'un krach bancaire se produise ?

La conscience est à mon avis très aiguë. Beaucoup de hauts fonctionnaires européens soupçonnent que nous sommes assis sur une bombe à retardement, mais ils se sentent démunis dans la mesure où nombreux sont ceux qui sont persuadés que prendre une décision défavorable aux banques pourrait justement provoquer le pire (c'est ce que les banques leur disent). Du coup, ils prient simplement pour que le pire n'arrive pas. Or la vraie réponse à une faillite bancaire, c'est la nationalisation de la banque : l'Etat nationalise la banque, sécurise les dépôts, évite autant que possible l’implosion du portefeuille d’actifs dérivés financiers, et fait assumer les pertes de la banque par les actionnaires et les principaux créanciers (et non par les déposants ou l’Etat). L’Angleterre l’a fait pour Northern Rock en 2008, sauf sur le dernier point. Même chose pour l’Irlande et la quasi-totalité de son secteur bancaire, lequel a fait naufrage en 2010. L’Islande, en revanche, a eu la sagesse de refuser de rembourser les dettes de ses banques nationalisées (lesquelles avaient accumulé sept fois le PIB islandais sous forme de dette privée) dues aux non-résidents. Personne ne sait exactement avant d’avoir essayé quel impact la répudiation des dettes d’une banque faillie peut avoir sur l'économie, mais les banques ne cessent de répéter à la Commission européenne et au Parlement que, si la décision était prise de faire payer les créanciers plutôt que les contribuables, ce serait Armageddon. Or selon moi, c'est la seule solution qui permette d’éviter la ruine de l’Europe. 

Certains fonctionnaires européens estiment qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter parce qu'on a mis en place l'Union bancaire européenne. Pourtant cette dernière ne nous protège pas.

L'Union bancaire européenne a 3 piliers :

 1) La supervision des banques européennes par la BCE. Mais ce pilier est vacillant parce que l’Allemagne, par exemple, refuse que la BCE mette son nez dans les affaires de ses Landesbanken (qui ont de nombreux problèmes). Berlin tente de négocier un statut privilégié qui vide une partie du pouvoir de supervision de la BCE.

 2) L’Asset Quality Review (un audit systématique des banques) et les stress tests (tests de résistance aux risques extrêmes) de la BCE. Contrairement à ce que leur nom suggère, ces tests ne sont pas du tout construits d'après la logique des tests de résistance des matériaux en génie mécanique. En ingénierie, on multiplie les chocs et on regarde à quel seuil d’intensité du choc le matériau finit par céder. C’est la limite de rupture que l'on cherche à connaitre. Les tests de la BCE ne sont malheureusement pas construits dans cette logique : une unique intensité de choc est choisie et on regarde quels “matériaux” survivent ou non à cette amplitude ; mais on ne cherche pas à évaluer le seuil de résistance de toutes les banques. L'endroit où l'on met le curseur de l’unique choc que l’on va étudier a donc un enjeu politique considérable. Etant donné une crise dont l’intensité aura été choisie de manière peu scientifique, on pointe du doigt les mauvaises banques et les bonnes banques. On accrédite alors l'idée selon laquelle les banques qui survivent à ce choc-là survivront à n'importe quel choc raisonnable. C’est évidemment une erreur de logique élémentaire. Les derniers stress tests de la BCE ont été calibrés de manière à stigmatiser les banques italiennes et de sorte qu’aucune banque française et allemande ne fût pointée du doigt. C’est un peu comme si l’on avait dit : “Pour une vague de 15,5 mètres, voici les ports de la côte atlantique qui survivent”. Certes. Mais quid d’une vague de 16 mètres ? Pourquoi n’a-t-on pas étudié cette option ? Pourquoi, par exemple, l’intensité des chocs considérée dans les derniers stress tests de la BCE est-elle 4 ou 5 fois inférieure au krach de 2007-2009 ?

  3) Un fonds de résolution européen doit être abondé par les banques dans lequel il est prévu que l'on puisse puiser en cas de faillite bancaire afin de mettre en oeuvre un processus de résolution bancaire (c’est-à-dire de sauvetage d’ une banque). C'est a priori une très bonne idée. Sauf que ce fonds ne sera en pleine activité qu'en 2023 (nous avons toutes les chances d'assister à un krach bancaire bien avant), et ne pèsera que 55 milliards d'euros alors que le bilan d'une banque comme BNP pèse 2000 milliards d'euros tandis que son exposition aux actifs financiers dérivées est supérieure à 20 000 milliards (plus de 10 fois le PIB français). Un fonds de 55 milliards pour 2023, c'est un petit gobelet pour éteindre les cendres après l'incendie mais certainement pas une lance à incendie. Hélas, j’ai montré dans mon rapport que, même si l’on multipliait par dix la taille de ce fonds, ce serait encore insuffisant pour faire face à un typhon financier de la taille de 2008. Ce n’est donc pas de ce côté-là qu’il faut attendre des solutions, d’autant que les banques feront tous pour s’exonérer d’avoir à abonder ce fonds.

En conclusion, l'Union bancaire est défaillante sur son premier pilier, trop politique pour être rigoureuse sur son deuxième et gravement inefficace sur son troisième.

Une autre solution, en revanche, émerge très clairement : réhausser le ratio prudentiel de fonds propres. Martin Hellwig, un économiste respecté outre-rhin, et Anat Admati, de Stanford, ne cessent de répéter depuis de nombreuses années, qu’il faut revenir aux ratios qui prévalaient avant le début de l’aventure de dérégulation financière entamée dans les années 1980 (2) : de 10 à 20% (au lieu de 3% aujourd’hui). Et ils ont raison : les simulations du rapport montrent que cela permettrait effectivement de protéger les banques, et donc le contribuable, contre une prochaine tempête. La plupart des banques y sont opposées parce que cela réduirait à néant les perspectives de gains fabuleux qui ont fait leur prospérité depuis trente ans. Le métier de banquier redeviendrait ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un métier terne, discret, au service de la “vraie vie” qui se joue dans l’économie réelle. Les banques prétendent aussi que de tels ratios leur interdirait définitivement de prêter à l’économie réelle et provoquerait l’asphyxie de cette dernière. C’est faux pour au moins deux raisons : d’abord, elles ne prêtent déjà plus à l’économie réelle, dès aujourd’hui, car elles ont conservé dans leurs bilans beaucoup trop de créances douteuses héritées des folles années qui ont précédé (et engendré) le désastre de 2008. Ensuite, 2008 a montré qu’en cas de houle, ce sont justement les banques les plus capitalisées qui résistent et continuent de faire leur métier. Multiplier par 5, en quelques années, le ratio de fonds propres des banques européennes rendrait notre secteur bancaire beaucoup plus sûr, et ferait disparaître une rente spéculative qui est aussi l’une des deux racines, avec la bulle immobilière, de l’explosion des inégalités en Occident depuis trois décennies. 

(2) Cf. The Bankers' New Clothes: What's Wrong with Banking and What to Do about It, Princeton University Press, 2013. 

Les Européens ne sont donc pas préparés à gérer les conséquences d'un krach financier ?

Non seulement l'Union bancaire est complètement insuffisante mais en réalité, tout a été fait pour que ce soit le contribuable qui paie la note en cas de nouveau maëlstrom financier. L'Union bancaire stipule en effet qu’actionnaires et créanciers ne seront jamais mis à contribution au-delà de 8% du bilan de la banque. On présente parfois cela comme une avancée, mais si on réfléchit, cela veut dire que l'on a mis un plafond sur les montants que l'on peut exiger des créanciers : au-delà de 8%, on n'ira plus chercher les créanciers pour finir d’éponger les pertes mais les déposants et les contribuables. Dans mon rapport, j'ai montré que si un choc de même amplitude que 2008 se produisait, les contribuables seraient nécessairement mis à contribution de manière massive. C'est donc de nouveau le citoyen qui va devoir payer la facture bancaire. Qui plus est, en 2015, faute de pouvoir disposer des données suffisantes pour le faire, j’ai été contraint de négliger le volet des chambres de compensation (clearing houses) qui centralisent les transactions financières internationales. Ces “chambres” privatisées ont considérablement réduit les appels de marge qu’elles exigent sur chaque transaction (ces appels leur fournissent un matelas de protection qui permettra de solvabiliser une opération en cas de défaillance de l’une des contreparties), afin d’être plus “compétitives” et d’augmenter leur profit. Conséquence : il est possible qu’en cas de krach analogue à celui de 2008, ce qui n’est pas arrivé il y a huit ans survienne cette fois-ci, à savoir la faillite d’une chambre de compensation. Alors, ce serait véritablement l’apocalyspe… Cette fois, le seul moyen de se prémunir consiste à nationaliser ex ante ces chambres (ou les placer sous la tutelle d’une instance publique internationale) et à les contraindre à augmenter de nouveau leurs appels de marge. En espérant qu’il ne soit pas déjà trop tard. 

Propos recueillis par Emilia Capitaine

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