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Pourquoi les données qu'enregistre votre voiture sur vous intéressent tant les géants du web
©Reuters

K2000

Les données collectées lorsque les conducteurs conduisent semblent mener à une ruée vers l’or pour Google et Apple. En réaction, certains constructeurs automobiles, comme Renault, développent leurs propres systèmes internes et applications.

Alain Goudey

Alain Goudey

Alain Goudey est conférencier, chercheur et professeur en marketing sensoriel, digital et technologies disruptives. Il a beaucoup travaillé sur la question robotique.

Son site : http://alain.goudey.eu/

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Atlantico : Les données collectées lorsque les conducteurs conduisent semblent mener à une ruée vers l’or pour Google et Apple, ce qui pousse les constructeurs à tout faire pour empêcher les conducteurs d’utiliser leurs produits. Pourquoi les données liées à la conduite et aux habitudes de conduite suscitent-elles autant d'intérêt pour des sociétés comme Google ou Apple ? Quelles valeurs ont-elles ?

Alain Goudey : Nous vivons actuellement dans une société où la technologie est dictée exclusivement par la donnée. Quasiment tous les éléments connectés génèrent de la donnée. La démarche derrière cela vise à optimiser l’utilisation des appareils du consommateur.

Premièrement, du côté des industriels, il y a de nombreux intérêts, dont l’optimisation de leur offre et de leur service grâce à la collecte de données.

Le deuxième intérêt est de permettre à ces sociétés d’aller sur des business modèles un peu plus innovant car avec les données de millions de personnes, ils peuvent très bien identifier des situations ou des comportements plus vertueux par rapport à des comportements qui le seraient moins.

Troisièmement, l’élément le plus à court terme pour des sociétés comme Apple et Google serait la monétisation de ces connaissances et de ces comportements.

De nombreux constructeurs comme Ford, Chevrolet, BMW ou General Motors ont développé des systèmes internes dans leurs voitures et des applications permettant à la fois d'empêcher Apple et Google d'accéder aux données de l'utilisateur ou de la voiture. Pourquoi s'insurgent-ils contre Apple et Google ? Quel est le risque pour ces constructeurs ? 

Je pense que la voiture de demain sera ni plus ni moins un IPad avec un moteur et quatre roues. Si on adopte cette vision-là, on se rend bien compte que le métier de constructeur automobile subit un gros changement : il était jusque-là davantage tourné sur le design, l’aérodynamisme, la qualité du moteur et tout ce qui relève de la partie mécanique. Mais on constate ces dernières années que les voitures sont de plus en plus équipées d’ordinateurs de bord. La problématique visant à interconnecter la voiture au numérique est donc venue naturellement et a poussé les constructeurs automobiles à faire un choix. Soit le constructeur reconnaît que l’environnement numérique du conducteur est détenu majoritairement par des sociétés comme Google et Apple, à travers leurs produits (Smartphone, ordinateurs etc…). Soit le constructeur peut essayer de mettre une barrière à l’entrée pour bloquer les systèmes de ces acteurs-là.

Une majorité de constructeurs a fait le choix de développer son propre système, comme Renault R-Link. On peut se demander si ce choix implique une volonté de lutter contre la remontée des données chez Apple et Google. Pour cela, je ne dispose d'aucune réponse mais on peut être sûr que cela implique un niveau de complexité assez important pour eux puisque le développement numérique de type informatique ou d’application n’est pas leur cœur de métier originel. Cela leur permet de mettre une barrière à l’entrée des géants du numérique, mais comme ce développement n’est pas leur cœur de métier, l’expérience utilisateur n’est pas toujours la plus optimisée. Il y a donc un vrai arbitrage à mette en place pour les constructeurs automobiles ainsi qu’un questionnement sur comment gérer l’évolution de l’activité automobile pour passer de la mécanique à l’électronique traditionnelle, à quelque chose qui relève davantage de la gestion de données et du développement de système informatique.

C’est quelque chose que l’on constate avec Tesla par exemple, qui a une conception très différente de l’automobile. Quand on grimpe à l’intérieur d’une de ses voitures, on se rend bien compte que la notion de capteurs et d’environnement numérique est au cœur de la préoccupation de l’habitacle rien qu’en voyant la taille de l’écran sur le tableau de bord.

Cette bataille qui divise les constructeurs automobiles et les géants technologiques Apple et Google profitent-elles aux consommateurs ? Comment peuvent-ils espérer conserver leur vie privée des grandes compagnies ?

A court terme, je ne suis pas certain. Lorsqu’un constructeur choisit de configurer l’électronique de sa voiture, l’utilisateur doit lui aussi reconfigurer tout son environnement numérique à l’intérieur de la voiture. Je crois que l’idéal pour le consommateur serait que la technologie devienne transparente et que l’environnement numérique puisse le suivre où qu’il soit, aussi bien dans son domicile qu’à son lieu de travail ou même dans les temps de trajet, ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui chez les constructeurs qui ont fait le choix de créer leur propre système. On reproche beaucoup à des sociétés comme Apple et Google d’être hégémonique sur le sujet de la donnée et de la question numérique. Et donc l’avantage de ces systèmes autonomes, c’est la possibilité de voir naître une alternative.  Pour ne pas faire apparaître de données auprès des grandes sociétés comme Google, il ne faut pas du tout utiliser leurs services. Ce qui est d’autant plus difficile que Google détient 50% des régies publicitaires par exemple. Une des plus grosses difficultés est le manque d’information des individus.

L’aspiration de ces données n’est pas forcément mauvaise en soi, simplement il faut savoir maîtriser les données qu’on accepte de livrer. De nombreux services comme Google, Amazon, Apple ou Facebook sont quasiment gratuits et c’est une aberration que de nombreuses personnes pensent que ces services puissent être gratuit pour être gratuit. Il y a forcément une contrepartie, c’est-à-dire l’aspiration et la collecte de données de la part de ces entreprises-là, qui sont libres de les monétiser. C’est important d’informer les gens de ces pratiques et d’adopter des comportements en cohérence avec ça. C’est l’éternel problème des conditions d’utilisation qui font plusieurs dizaines de pages et que personne ne lit. Officiellement, l’information de l’utilisation des données est accessible mais il y a un décalage. Elle est accessible mais personne n’y accède.

Des systèmes alternatifs de voitures connectées comme l'Internet Car d'Ali baba offrent-ils des solutions contre le caractère intrusif de Google et d'Apple, ou, au contraire, accentuent-ils cette tendance ?

Un acteur automobile comme Ali baba est similaire à Amazon. Comme je le disais plus tôt, la question concernant la société contrôlée par la gestion de la donnée dépasse largement le cadre du secteur automobile. On est dans une volonté de rationaliser les décisions et l’ensemble du quotidien. On s’interroge beaucoup sur l’aspect normatif de la donnée et sur la rationalisation de comportement de société. Je pense que la voiture Ali baba ou Tesla aura un fonctionnement de la donnée qui lui permettra d’améliorer leurs offres et leurs services, voire proposer des business modèles innovants. Après tout, on peut très bien imaginer que Google ou Ali baba puissent proposer avec leurs voitures un système d’assurance qui soit basé sur le comportement, jugé vertueux ou non, du conducteur.

Qu’est-ce qui pourrait les empêcher de faire ça ? Rien, car ils possèdent les données. La vraie question importante autour de l’approche normative, c’est l’utilisation qui va en être faite. Si on est dans une utilisation éthique et utile pour optimiser le service, cela peut être pertinent pour le consommateur. Mais si on est dans un comportement opaque, visant à juger du comportement vertueux du conducteur, qui fixe cette limite-là ? Si on imagine qu’Ali baba fixe les règles d’un comportement vertueux, est-ce que ces règles seront les mêmes pour la Google car ? Au final, on peut fixer autant de normes qu’il y a d’entreprises qui maîtrisent ces données.

Propos recueillis par Thomas Gorriz

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