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Espagne, Italie…..ces lieux de villégiature qui bénéficient du report de vacanciers dû à la crainte du terrorisme
©Reuters

Risque faible

Alors que le tourisme en France devrait stagner voire légèrement régresser durant cet été 2016, les chutes seront catastrophiques au Maroc (- 47%), en Tunisie (- 80%) et en Turquie (- 73%) du fait de la crainte d'attentats terroristes. Un contexte qui devrait profiter à l'Espagne, au Portugal, à l'Italie ou encore à la Grèce.

Jean-Michel  Hoerner

Jean-Michel Hoerner

Professeur de géopolitique et auteur d'un livre récent, Tourisme et mondialisme, publié chez Balzac Éditeurs avec le concours de l'IEFT-IDRAC en novembre 2013.
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Atlantico : Quelles sont les zones touristiques prisées des Français qui sont ou on été récemment les plus touchées par des actions terroristes dans le monde (Tunisie, Turquie, France etc…) ? Comment cela se traduit-il (chiffres à l'appui…) en termes de réservations et de séjours dans ces pays cet été ?

Jean-Michel Hoerner : Les zones méditerranéennes sont évidemment les régions touristiques les plus touchées par le terrorisme depuis quelques années et ce sont surtout elles qui pourraient être visées dès cet été. Cependant, on n’oubliera pas de citer la ville de Paris, voire celle de Bruxelles, frappées par des attentats très meurtriers. Les raisons sont partout sans ambiguïté : des islamistes sèment la terreur dans l’Europe de l’Ouest et les pays touristiques méditerranéens, dont notamment la Turquie. Ils ne sont que quelques milliers mais leur détermination reste exemplaire : ils vilipendent les loisirs, le bain public des femmes dénudées et, par-dessus tout, ils condamnent des civilisations qui refusent le principe selon lequel Allahu akbar (Allah est le plus grand). Certes, l’islamisme dépend de beaucoup de facteurs, ce qui signifie que l’évolution d’une partie de la société musulmane et l’émergence notamment de Daech, l’État islamique, s’inscrivent dans un contexte géopolitique particulier. 

On peut circonscrire ce mouvement à certains immigrés musulmans vivant en Europe, en soulignant le rôle majeur de la seconde génération… Autrement dit, il est logique que ces terroristes, souvent assez jeunes, s’en prennent aux fondements des sociétés occidentales voire à celles, extérieures, qui les soutiennent, donc en définitive à l’industrie touristique. Les bords de la Méditerranée, qui accueillent quelque 300 millions de touristes par an – le quart des visiteurs touristiques internationaux dans le monde – et même près de 30 millions de croisiéristes, situés majoritairement au sein de pays de culture musulmane, sont donc naturellement les plus visés. Alors que le tourisme en France devrait stagner voire légèrement régresser durant cet été 2016 – on a déjà enregistré une baisse de 15% en Île-de-France courant novembre 2015 – les chutes seront catastrophiques au Maroc (- 47%), en Tunisie (- 80%) et en Turquie (- 73%). On souligne ainsi que le quartier de Sultanahmet d’Istanbul est vidé de ses visiteurs malgré ses 7 000 hôtels… On assiste donc à la refondation de l’économie touristique de l’Europe et de la Méditerranée. 

Quelles sont dès lors les destinations sur lesquels s'orientent les Français qui auraient naturellement souhaité se rendre dans ces pays mais craignent le terrorisme (ex : Portugal, Espagne, Amérique du sud etc…) ? Dans quelles proportions ? Y a-t-il des différences entre les choix alternatifs des touristes français selon leur profil sociologique (âge, CSP, etc.) ?

Il faut rappeler le poids du tourisme dans l’économie française, soit plus de 7% du PIB et, peut-être, évoquer quelques bases. Ainsi, c’est la France qui accueille le plus de visiteurs étrangers dans le monde, soit 85 millions : on en prévoit 100 millions à l’horizon 2020 ; on rappellera qu’ils passent au moins une nuit sur le territoire. Toutefois, au niveau des recettes, notre pays ne se situe qu’au quatrième rang, derrière les Etats-Unis, l’Espagne et la Chine. Le terrorisme n’est pas seul en cause dans ce bilan, car beaucoup de touristes, presque le tiers, ne font que traverser notre territoire sans y effectuer de substantielles dépenses. Cependant, la revalorisation du tourisme français, comme souvent ailleurs dans les pays riches, pourra se faire dans les grandes villes comme Paris. Or, à l’heure du terrorisme actuel, il s’agit sans doute d’un handicap, comme on le constate au niveau des nouveaux palaces qui ne font pas le plein.

Dans cette mutation qui pénalise les États touristiques méditerranéens, il faut évoquer le succès notoire de l’Espagne, du Portugal, de l’Italie et même partiellement de la Grèce, où les musulmans sont peu nombreux et les attentats idoines assez rares. Ainsi, on attend 72 millions de visiteurs étrangers en Espagne dès 2016, dont 36 millions cet été, ce qui constitue une hausse de 4% liée à la sortie de crise de l’Europe, à la chute du prix du pétrole favorable au trafic aérien, et bien sûr à l’instabilité géopolitique des autres pays méditerranéens. D’autres régions sont également bien situées, comme la Thaïlande, le Japon (qui accueille plus de Chinois), l’Île Maurice, les Caraïbes, etc. Lorsqu’on évalue les dépenses touristiques dans le monde, soit plus de 8 000 milliards de dollars, on ne souligne pas assez le rôle du "tourisme de classe" (mon ouvrage avec Catherine Sicart, chez Balzac Éditeur, Le tourisme, une affaire de classe). En effet, et c’est l’une des raisons de la condamnation du tourisme par les islamistes, 15% de la population de la planète ou près d’un milliard – les classes moyennes supérieures – sont concernées et expliquent en partie la crise actuelle.

Malgré les attaques terroristes de 2015 en France, comment se porte globalement le tourisme dans notre pays ? Dans quelle mesure demeure-t-il une destination prisée par les touristes ? Vers quels autres pays s'orientent ceux qui craignent désormais de séjourner à Paris ?

Selon Nidal Raffali (2015, Annales du tourisme dirigées par Catherine Sicart et Jean-Michel Hoerner), plus que les pays qui sont dans la même zone, "l’Arabie saoudite est considérée comme un pays fermé au tourisme (même s’il) reste principalement axé sur la religion". Cependant, beaucoup de Saoudiens vont à l’étranger et l’Arabie saoudite accueille plus de 15 millions de visiteurs par an, notamment en raison du pèlerinage de la Mecque. Cependant, malgré ses 155 000 lits et plus encore d’appartements meublés, ce pays "est considéré comme un pays fermé au tourisme selon la Saudi Commission for Tourism and Antiquities", dans la mesure où malgré plus de deux cents festivals, le pèlerinage et les musées sont évidemment tournés vers l’islam. Raffali nous donne des renseignements très intéressants. Selon les Oulémas, il y a "plusieurs types de voyages : le voyage organisé pour commercer ; le voyage de devoir qui consiste à visiter les lieux saints (…) Le voyage de la femme sans mahram (homme de la famille) est interdit (alors que le voyage en général) fait l’objet de fatwas ou avis juridiques".

On cite ce travail d’une doctorante marocaine parce que le terrorisme islamiste pourrait s’atténuer un jour et le tourisme, actuellement largement prohibé dans les pays concernés, pourrait lui-aussi évoluer assez favorablement. Autrement dit, des raisons liées à l’écologie pourraient peut-être un jour devenir plus déterminantes. Certes, la question de la femme reste au cœur du débat sur le tourisme en milieu musulman mais on peut aussi imaginer que cette activité, portée par les classes aisées, puisse finalement s’imposer partout. L’industrie touristique repositionne les classes sociales et peut très bien redéfinir les données géopolitiques du monde. Dans cet objectif, la France qui vient de réussir l’Euro de football, confirmera sans doute son rôle dans l’harmonie des peuples qui demeure un fondement touristique.

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