Toute la construction monétaire européenne repose sur une conception étroite et erronée de la monnaie<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Toute la construction monétaire européenne repose sur une conception étroite et erronée de la monnaie
©

Indépenbanque

Partant d'une analyse sans concession des erreurs qui ont abouti à la crise actuelle de l'euro, Michel Aglietta ouvre le débat : comment sortir de cette spirale descendante ? Extraits de "Zone Euro : éclatement ou fédération" (2/2).

Michel Aglietta

Michel Aglietta

Michel Aglietta est professeur de sciences économiques à l'université de Paris Ouest Nanterre et conseiller scientifique au CEPII et à Groupama-Asset management.

Il est le co-auteur avec Guo Bai de La voie chinoise (Odile Jacob, 2012) et de nombreux autres ouvrages sur la Chine.

Voir la bio »

Toute la construction monétaire européenne repose sur une conception étroite et donc erronée de la monnaie, appelée monétarisme. Selon cette conception, la monnaie est neutre vis-à-vis des phénomènes économiques réels. Ajouter la qualification neutre à long terme ne change rien.

Si la monnaie est neutre, cela veut dire que la mission exclusive des banques centrales est de maintenir la stabilité du pouvoir d’achat de la monnaie que l’on définit comme étant l’inverse d’un indice conventionnel de prix, construit statistiquement pour mesurer l’inflation. Si l’on suppose que la monnaie est neutre, on en déduit que le maintien d’un taux d’inflation faible en permanence (expression pratique de la stabilité des prix) garantit ipso facto la stabilité financière.

D’après le credo de tous les banquiers centraux et des dirigeants politiques avant la crise financière, la préservation de la stabilité des prix (qui a été réalisée au-delà de toute espérance dans les années 2000) était nécessaire et suffisante pour que le développement du crédit sous l’impulsion des banques internationales mène à l’allocation optimale du capital. Puisque la monnaie est postulée neutre selon cette doctrine, l’objectif de la banque centrale s’exprime par une cible d’inflation à satisfaire pour, comme l’a répété des centaines de fois l’ex-gouverneur Jean-Claude Trichet, « ancrer les anticipations d’inflation à long terme ». Elle n’a rien d’autre à faire, elle n’est responsable de rien d’autre.

Comme son mandat n’entre en contradiction avec aucun autre objectif de politique économique, la banque centrale peut bénéficier d’une indépendance absolue. C’est pourquoi le traité de Maastricht a conféré à la BCE un statut véritablement extraordinaire. Contrairement à toutes les autres banques centrales du monde, sa légitimité n’est fondée sur aucune souveraineté politique. Elle est véritablement déterritorialisée. Elle ne doit même pas dialoguer avec les gouvernements ! Il n’existe donc aucune possibilité que la zone euro ait une régulation macro économique reposant sur une combinaison réfléchie des instruments budgétaires et monétaires. La BCE opère seule dans un splendide isolement et la politique budgétaire n’existe pas. Le budget agrégé des pays n’est que le résultat ex post des choix budgétaires complètement non coopératifs des pays.

La seule manière pour l’Europe de concevoir l’interdépendance est semble-t-il de superposer à cet attelage hétéroclite une limite arbitraire et uniforme de déficit public, appelé « pacte de stabilité et de croissance ». Il n’est pas surprenant qu’une telle conception de la monnaie ne résiste pas à une crise financière majeure. Celle-ci démontre d’une manière cinglante que la stabilité des prix, au sens de la norme d’inflation, n’implique en aucun cas la stabilité financière. On le savait depuis bien longtemps. Seul l’intégrisme de l’ultralibéralisme qui a balayé le monde occidental à partir des années 1980 a pu le faire oublier dans son délire du dénigrement de l’État. C’est un déni de l’Histoire.

La Banque d’Angleterre a conquis sa position de prêteur en dernier ressort dans le système financier à la suite de la crise financière dévastatrice de 1867. La Réserve fédérale américaine a été créée en 1913 parce qu’il a bien fallu tirer les leçons de la terrible crise de 1907, où la dépendance du système financier américain aux prêts britanniques a montré ce qu’il en coûtait de ne pas avoir de souveraineté garante de la monnaie. On comprend dans ces conditions les contorsions de la BCE dans la crise actuelle. Pour jouer son rôle de prêteur en dernier ressort qu’elle ne peut pas éluder, il lui faut nécessairement faire des choix politiques consistant à soutenir tel marché ou tel acteur financier majeur situé dans tel pays. Qu’ est-ce qui légitime ces choix pour une banque centrale qui n’est pas sous la tutelle d’un souverain démocratique ?

___________________________________

Extraits deZone Euro : éclatement ou fédération, MICHALON (12 janvier 2012)

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !