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La catastrophe financière Brexit n’a pas eu lieu : derrière la chute de la livre, la bourse britannique affiche son plus haut de l’année
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Comme une fleur

Alors que de nombreux commentateurs mettaient en garde contre un lourd choc financier après le Brexit, le Footsie affiche un plus haut depuis le mois d'août 2015. La cause : le rôle des banquiers centraux qui ont anticipé et lissé une grande partie du choc sur les actions.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Une semaine après le vote en faveur du Brexit, l'indice boursier de la place de Londres, le Footsie, affiche un plus haut depuis le mois d'août 2015. De la même façon, les taux d'intérêt de la dette britannique sont à la baisse. Alors que de nombreux commentateurs mettaient en garde contre un lourd choc financier, comment expliquer un tel résultat ?

Mathieu Mucherie : Il y a quand même eu un choc sur les actions. Ce choc est lié aux peurs sur le Brexit  (ce dernier fait partie des 4 ou 5 éléments négatifs depuis l'hiver dernier ayant fait jouer sur le bas le monde des actions). Un retracement des indices a eu lieu alors même que l'on est dans une phase de Quantitative Easing. Pour le moment, on ne peut pas dire qu'il  n'y a pas eu de "choc action". Il faut reprendre les événements des derniers mois et ne pas oublier les prochains mois. 

Par ailleurs, s'il n'y a pas eu un choc trop violent sur les actions, c'est parce les investisseurs ont anticipé que les Banques centrales seraient à la manœuvre pour éviter une partie du choc. Sans cette anticipation-là, le choc aurait certainement été plus violent que ce qui s'est produit vendredi dernier. On ne peut pas dire qu'il n'y a pas eu de "choc action" mais on peut dire qu'une partie a été anticipée, lissée par les banquiers centraux. En outre, une partie de ce choc est peut-être à venir. 

Il y a également eu un "choc taux". Pourquoi les taux ont-ils baissé ? C'est lié au départ vers la qualité (ce que l'on appelle le fly to quality) : les investisseurs se ruent sur les actifs peu risqués à chaque fois qu'il y a des événements importants (le choc Lehman Brothers ou les chocs européens de ces dernières années). Le fly to quality et le fait que la banque d'Angleterre va probablement baisser son taux directeur cet été auront pour conséquence de voir la partie courte de la courbe des taux se retrouver beaucoup plus basse et beaucoup plus longtemps qu'anticipé, ce qui provoquera également un effet sur la partie longue de cette même courbe des taux. Au final, l'incertitude croissante qui pousse au fly to quality et le fait que la Banque d'Angleterre agisse expliquent ce paradoxe d'avoir à la fois des actions qui ont peu baissé et des taux qui baissent. 

Il y a eu choc, mais ce choc passe par un raisonnement sur l'action ou la fonction de réaction des banquiers centraux, c’est-à-dire qu'aujourd'hui, il n'y a plus vraiment de chocs financiers purs mais des chocs d'incertitude sur ce que sera la fonction de réaction des banquiers centraux isolés ou coordonnés entre eux face à un choc. Le tsunami était un choc réel, le Brexit a l'apparence d'un choc réel, mais en réalité, ils se transformeront de toute façon en choc monétaire parce que les banquiers centraux sont à l'alpha et à l'oméga du processus. Ce sont les seuls qui peuvent réagir contre les chocs réels et lisser les choses sur les différents marchés. 

Par ailleurs, si les actions anglaises ont moins perdu que les actions européennes, c'est aussi parce que la Livre Sterling a baissé. Un taux de change flexible est d'une grande aide. On le voit à travers ce Brexit. Si la Grèce avait eu un taux de change flexible entre 2008 et 2015, elle aurait évité les ¾ des problèmes qu'elle a eus. Elle aurait tranquillement dévaluée et on n'aurait pas eu de tels chocs sur l'économie et les marchés. Le fait que la livre sterling puisse baisser de dix points aide considérablement l'économie (notamment à la compétitivité des entreprises) et aide à la finance des actifs britanniques car comme ils sont moins chers (puisqu'ils sont dans une monnaie qui est moins chère), ils sont plus attractifs. Cela permet aussi de comprendre pourquoi il y a moins de baisse des actions et pourquoi il y a une baisse des taux en Grande-Bretagne. Tout cela est permis par la baisse de la livre sterling.

Qu'est-ce que cela nous dit ? Premièrement, cela montre que ce que peuvent raconter les agences de notation sur les taux d'intérêt n'a strictement aucun intérêt. En effet, elles ont retranché 2 A à la dette britannique, ce qui n'a pas empêché la dette britannique d'être plébiscitée par le marché. C'est la énième confirmation que les agences de notation n'ont vraiment pas le sens du timing. Un scenario identique s'était produit pour le Japon en 2003 et pour les Etats-Unis et la France en 2011 : à chaque fois qu'une agence de notation a dégradé la note des pays développés, elle l'a fait au pire moment, c’est-à-dire au moment où il y avait un rush vers l'obligataire de ces pays. Cela montre leur imbécilité. Cela montre aussi l'importance, la nécessité d'un taux de change flexible : pour lisser les chocs, il n'y a rien de mieux qu'un taux de change flexible. C'est tout le discours de Milton Friedman et des économistes depuis un siècle ou deux qui, pour la énième fois, se trouve confirmé. 

Le problème de la zone euro est qu'il n'y a pas de taux de change flexible entre les pays de la zone euro : à chaque fois qu'il y a un choc entre l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, il ne peut pas être lissé par ce biais-là et doit donc être lissé par d'autres biais beaucoup plus coûteux. On se retrouve donc avec des chocs bien réels alors que des ajustements monétaires auraient pu être réalisés en une seule nuit. Quand on a un choc asymétrique de dix points, soit on le lisse en une nuit comme les Britanniques, soit on met dix ans de productivité différentielle à le lisser (en faisant varier les taux de chômage, en faisant varier les taux de salaire, en faisant une austérité de dix ans). 

Cependant, la livre sterling a, pour sa part, perdu beaucoup de terrain par rapport aux autres devises comme le dollar ou l'euro. En quoi cette baisse de la devise est-elle défavorable à la population locale ?

Elle n'est pas vraiment défavorable à la population locale puisque cette population fait ses courses en livre sterling, est payée en livre sterling, etc. Cela lui est donc complètement indifférent. C'est plus embêtant pour les Britanniques les plus riches, car ils sont plus internationalisés (ils ont des actifs dans le Connecticut, dans le sud de la France, en Inde, en Chine) : une baisse de 10% de la livre sterling équivaut à une baisse de 10% de leur pouvoir d'achat en dehors du Royaume-Uni. 

Par ailleurs, il y aura un peu plus d'inflation l'année prochaine au Royaume-Uni ce qui va renchérir le coût des produits importés (tels que les produits pétroliers) : cela représente donc une taxation pour le consommateur mais une taxation relativement gérable et assez peu violente. Encore une fois, les principaux impactés sont ceux qui ont des actifs à l'étranger et ce n'est pas la majorité de la population. La majorité de la population se pose des questions sur son logement, sur son emploi, sur le prix des produits de base locaux et ces produits-là, ces biens-là, ne sont absolument pas affectés. 

En 2007-2008, juste avant que la crise devienne violente, c’est-à-dire juste avant la faillite de Lehman Brothers, la livre a perdu 20%, ce qui a considérablement aidé les Anglais à lisser le choc : si la population perd un petit peu au travers de la taxation des produits importés, elle gagne en contrepartie un mécanisme très puissant d'ajustement conjoncturel (une sorte d'assurance anti-crise) payée un peu par les consommateurs, un peu par les gros patrimoines et dont le coût n'est pas énorme. 

Si le Brexit apparaît être un "non évènement" sur le plan économique, qu'en est-il sur le plan politique ? Quels sont les risques de voir la parole européenne fragilisée ?

La parole européenne est déjà fragilisée. Ce qui a été le plus dévalué depuis 2008 n'est pas la livre sterling mais la parole de nos dirigeants européens : quelle crédibilité donner à Jean-Claude Juncker et à la plupart des officiers de la BCE depuis 2008 alors qu'ils ne réussissent plus ni à tenir le Pacte de stabilité, ni à assurer l'objectif de 2% d'inflation par an, ni à réussir dans aucune des missions qu'ils s'étaient donnés en termes de stabilisation et de promotion de la croissance ? Le différentiel de croissance et d'inflation entre zone euro et les pays européens non-zone euro, ou les autres pays en général, est considérable et il est à notre détriment. 

Il y avait un problème de crédibilité et de légitimité de la plupart des élites européennes (Commission européenne et BCE) avant même l'histoire du Brexit : le Brexit n'est qu'un révélateur, un symptôme, une énième démonstration qu'il y a des soucis de management public en zone euro, des soucis de transparence en zone euro. 

Le Brexit ne favorise pas les choses car il touche un grand pays. Néanmoins, les élites européennes (si elles avaient un peu de culture politique et économique) pourraient répondre que ce processus n'est pas si démocratique que cela : une majorité simple ne suffit pas pour ce genre de décision. De plus, les atermoiements du camp du "non" le décrédibilisent : d'une part, ils n'ont pas forcément quitté l'UE pour de bonnes raisons, d'autre part, ils n'ont pas quitté l'UE pour les mêmes raisons (certains mettant en avant l'immigration, d'autres la bureaucratie). Le camp des élites peut donc défendre sa cause soit au travers des incohérences temporelles ou intellectuelles du camp d'en face, soit en marquant le fait qu'après tout, ils ont au moins autant de légitimité démocratique que les gens d'en face qui ont fait 51,9%.  

Il reste néanmoins vrai que la parole des dirigeants européens a été démonétisée au cours de cette crise, et c'est probablement la plus grande démonétisation depuis 2008. Il y a 3 jours, la BCE a publié un working paper sur l'estimation de l'output gap (l'écart de croissance) dans la zone euro. Cet output gap a souvent été estimé de 2 à 3 points par les élites européennes qui voulaient faire croire qu'il y avait des problèmes structurels et peu de problèmes conjoncturels (et que par conséquent, la BCE n'était pas obligée d'intervenir massivement). Or, dans ce working paper, l'output gap est estimé à six points. Si une telle estimation avait été révélée plus tôt, la BCE aurait été obligée d'intervenir massivement. Ce papier a été publié il y a trois jours car depuis trois jours, on sait que la BCE a l'intention d'acheter plus de dette périphérique italienne et espagnole en modifiant la répartition de son QE et qu'elle s'apprête à étendre son QE au-delà de mars 2017. Comme par hasard, elle choisit de sortir une étude qui montre que l'output gap n'est pas à -2 mais à -6. Elle est subtilement en train de montrer que tout ce qu'elle dit depuis 4-5 ans dans le domaine économique était faux et pour justifier plus d'interventionnisme monétaire (même si ça reste trop peu et arrive trop tard), elle se base sur de nouvelles études et estimations. On voit que la BCE est capable de retourner sa veste sans crier gare en toute discrétion. Cela montre bien qu'il n'y a aucune vision et qu'on ne peut pas se fier à la parole des décideurs européens : leur technique d'estimation de la croissance évolue dans le temps, leur fonction de réaction évolue dans le temps. On ne peut pas se fier à des gens qui ne sont pas cohérents dans le temps et dans l'espace. 

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