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Massacre de chrétiens au Nigéria : pourquoi sauver Benghazi et pas Kano ?
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Deux poids deux mesures

Les massacres de chrétiens continuent au Nigéria. Ces derniers jours, des centaines de civils ont été massacrés. La communauté internationale tarde à réagir.

Philippe  Moreau Defarges Bruno Bernard

Philippe Moreau Defarges Bruno Bernard

Philippe Moreau Defarges est chercheur à l'Institut français des relations internationales (IFRI) et professeur à l'Institut d'études politiques de Paris.

Spécialiste des questions internationales et de géopolitique, il est l'auteur de très nombreux livres dont Introduction à la géopolitique (Points, 2009) ou 25 Questions décisives : la guerre et la paix (Armand Colin, 2009).

Bruno Bernard est ancien conseiller politique à l'Ambassade de Grande-Bretagne à Paris, et consultant politique indépendant.

 

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Atlantico : Au Nigéria, les massacres se multiplient. La population est directement prise pour cible par des milices armées que les autorités ne parviennent pas à neutraliser. Pourtant, la communauté internationale, notamment la France, évoque assez peu le sujet. Pourquoi est-on intervenu à Benghazi en Libye et n’intervient-on pas à Kano ?

Philippe Moreau Desfarges : Il y a des violences dans beaucoup de pays, la communauté internationale n’intervient pas toujours. Dans le cas de la Libye, la raison n’était pas uniquement liée aux violences d’un début de guerre civile, il s’agissait surtout d’une crise de régime. La violence interne ne justifie pas toutes les interventions, elle doit atteindre un certain degré.

Il y a ensuite une question de proximité géographique. La Libye est très proche de l’Europe. C’est un État dont la position géographique est stratégique. A l’opposé, le Nigeria reste éloigné de nos pays. Les pays européens n’interviendront pas. Le principal problème du Nigeria, c’est la taille de sa population et son poids. Une intervention serait un cauchemar opérationnel.

Il y a enfin des questions pratiques pour évoquer une intervention. En Libye, l’OTAN, motivée par des motifs géostratégiques, a lancé des opérations depuis la mer pour éviter que le sud de la Méditerranée ne sombre complètement dans le chaos. Dans le cas du Nigeria, les enjeux géostratégiques sont beaucoup plus éloignés et moins prioritaires.

Les interventions ne sont jamais dictées que par des raisons morales sinon nous devrions intervenir partout dans le monde. Impossible d’ignorer les conditions dans lesquelles les malheureux militaires vont devoir travailler.

De plus, les autorités nigérianes sont parfaitement souveraines et ne requièrent pas d’intervention étrangère. Je crois que le temps des interventions à l’étranger prend fin. Il reste quelques survivances comme l’Afghanistan où ça ne se passe pas très bien. Même là, les replis sont inévitables. Je ne vois pas quel gouvernement aurait l’audace de s’embarquer au Nigéria. Pour un gouvernement, britannique ou français par exemple, ce serait indéfendable auprès de l’opinion publique confrontée à des problématiques économiques majeures.

Si malgré tout, une intervention devait être envisagée par la communauté internationale, quels en seraient les mécanismes ?

Une action paraît très peu envisageable. Pour l’instant, le Nigeria est en crise, pas en complète décomposition. Des violences ont régulièrement lieu dans ce pays. Il ne faut pas oublier, de plus, que de nombreuses opérations sont actuellement en cours un peu partout dans le monde. L’extérieur, quel qu’il soit, est relativement réticent à intervenir.

S’il devait malgré tout y avoir une intervention, il faudrait réunir deux conditions : un accord africain et un mandat de l’ONU. Seule une coalition régionale pourrait agir. Il faut aussi noter qu’elle ne disposerait que de moyens dérisoires. Pour le volet juridique, il faudrait que les Nations unies donnent leur bénédiction.

Certains pays ou institutions ont-ils plus de raisons que d’autres de se soucier de l’avenir et de la stabilité du Nigeria ? Les matières premières du Nigeria peuvent-elles faire pencher la balance ?

Les États dont les compagnies pétrolières sont au Nigeria pourraient être intéressés par une action. Mais les risques de se retrouver dans un bourbier épouvantable pèsent plus que les intérêts économiques pour l’instant. Il peut y avoir des discours plus forts mais ils resteraient sans conséquences politiques.

La problématique du pétrole, comme cause des actions militaires en Irak ou en Libye ne sont pas des analyses sérieuses. Bien sûr que le pétrole joue un rôle. Mais ces interventions ont dans tous les cas été motivées avant tout par des raisons géopolitiques. En Irak, les États-Unis cherchaient à maintenir et protéger leurs intérêts politiques et sécuritaires dans un Moyen-Orient où ils tentent toujours d’assurer l’ordre. En Libye, c’est plus la peur de flux incontrôlés de réfugiés et de migrants que l’aspect énergétique qui a joué.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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