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Bientôt une Sécu à la britannique ? Comment la volonté d'injecter toujours plus de contrôle étatiste pourrait déboucher sur un système de santé à deux vitesses
©Reuters

Etatisme quand tu nous tiens

Les politiques publiques menées depuis la fin des années 1990, dont la loi santé de Marisol Touraine n'ont pas résolu les problèmes du système médical français. Pire : en entravant la liberté d'installation, et en donnant les clés aux assurances privées, le système de médecine à deux vitesses arrive à grands pas.

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard est professeur d’économie à l’ESCP, président de l’Institut de Santé et auteur de « L’Autonomie solidaire en santé, la seule réforme possible ! », publié aux éditions Michalon.

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Atlantico : Selon une enquête réalisée par l'association UFC-Que choisir, entre 2012 et 2016, l’accès à un médecin généraliste à moins de 30 minutes du domicile, "s’est dégradé pour plus du quart de la population". Ainsi en 2016, 23% de la population métropolitaine a eu des difficultés pour rencontrer un médecin de famille à moins de trente minutes de son domicile et 5% d'entre eux vivent même dans un désert médical, où la densité médicale est inférieure de 60% à la moyenne nationale. En quoi les différents pouvoirs publics sont à mettre en cause dans cette situation ?

Frédéric Bizard : Cette situation était prévisible, et l'on peut tout à fait prévoir qu’elle ira en se dégradant si on conserve la même politique. Depuis la fin des années 1990, on a pensé que le problème de la non maitrise des dépenses venait des libertés que l'on laissait aux patients et aux médecins, et donc il fallait davantage administrer le système. Vingt ans après, on en est à envisager la suppression de toutes les libertés : de choix pour son médecin (réseaux de soins), d’installation (suggestion de l’association) et de prescription pour les médecins… Et Mme Touraine y a fortement participé avec sa réforme Santé, la loi Le Roux, les nouveaux contrats responsables, l’avenant 8… 

On peut s’étonner que cette association ne fasse aucun lien entre la politique menée et le désastre qu’elle constate sur la période considérée. Pire, elle préconise les mêmes recettes que la Ministre qui accélèrent le déclin de l’offre de soins. Nous sommes dans une spirale suicidaire où chaque état des lieux constate une dégradation du système qui conduit à une reprise en main étatique qui empire la situation.

Se dirige-t-on alors vers une santé à deux vitesses, entre des patients aisés consultant des médecins déconventionnés, et des personnes plus modestes cantonnés à des médecins salariés de dispensaires au fonctionnement lourd et peu adaptable, système qui s'observe en Grande-Bretagne par exemple ?

Les pouvoirs publics et leurs affidés qui partagent la détestation de l’exercice libéral sont en train de provoquer cette situation. L’association tire de son analyse qu’il ne faut conserver que le secteur 1 partout et le contrat d’accès aux soins dans certains territoires. Elle oublie que les Français dépensent 35 milliards d’euros pour se protéger par rapport à la partie libre des honoraires. Voudrait-elle que ce pactole continue uniquement à alimenter la rente du secteur assurantielle privée ? Pas un mot sur la question du financement qui est centrale pour comprendre la situation.

Le concept du contrat d'accès aux soins cité dans l’enquête considère que l'Assurance maladie et les médecins sont les deux responsables des difficultés d'accès aux soins. L'un parce que ses tarifs sont trop bas, et l'autre parce que leurs tarifs sont trop hauts... Or les comparaisons internationales, même avec les dépassements d'honoraire de 54% (appliqué à 23 euros cela fait 35 euros) restent bien en deçà de la moyenne internationale qui est de 57 euros pour un généraliste et de 88 euros pour spécialiste. Les médecins généralistes ont donc dû multiplier les actes, et allonger leur temps de travail au détriment de leur qualité de vie professionnelle. Les jeunes médecins n'ont aucune envie de s'installer pour vivre une telle galère. Ils préfèrent faire des remplacements, mode d’exercice en hausse de 17% depuis 2007, ou faire autre chose que du soin, cas de 25% des jeunes diplômés en médecine. C’est intéressant de voir que certains feignent d’ignorer les utilisations des ressources considérables que les Français dépensent pour leur assurance santé.

En 2014 Mme Touraine a plafonné le remboursement des contrats dits "responsables" à 100% du tarif de la Sécurité sociale. La plupart des spécialités libérales réalisent plus d’un tiers de leur activité au tarif opposable, ce sont donc les plus aisés qui paient pour les moins aisés. Si vous allez chez un gynécologue dans une grande ville, le tarif sera de plus de 70 euros, sauf si vous êtes à faibles revenus. Or le plafond de remboursement des contrats responsables (96% des contrats) est de 46 euros... Voilà comment on crée un problème d'accès au soin. 

Mme Touraine rêve d'un service public géré par un secteur public intégralement étendu à la ville, en marginalisant l'offre privée - comme elle l'a fait en sortant les cliniques du service public hospitalier. Elle souhaite le faire aujourd'hui avec les médecins libéraux, et met donc à mal ce mode d’exercice…Le problème est qu’elle n’offre aucune alternative, ce qui rend sa politique désespérante pour la très grande majorité des Français…

Que penser de la proposition d'interdire les dépassements d'honoraires, et contraindre l'installation des jeunes médecins en fonction des besoins ?

Le lien entre la dégradation de l'accès géographique aux soins due à une moindre densité médicale et des dépassements d'honoraires est ubuesque. Dans le dernier Atlas de la démographie médicale, on observe une chute importante entre 2007 et 2016 de médecins généralistes de 8,5% soit 8 000 MG en moins. Je vous rappelle pourtant que 90% des médecins généralistes sont en secteur 1 avec une valeur de consultation à 23 euros. Le problème ne vient donc pas des dépassements d’honoraires mais des médecins qui ne peuvent pas en faire et dont les successeurs potentiels ne peuvent plus vivre décemment en s’installant. Si on est juste dans l’analyse, on voit bien qu’il faut permettre à ceux du secteur 1 d’en sortir. 

Le financement de la Santé a évolué : l'Assurance maladie rembourse près de 76% de la santé des Français et se concentre sur les affections de longue durée, qui sont remboursés à 100%. 66% des dépenses sont concentrés sur les patients ALD et ce sera 8% en 2015. Cette assurance maladie joue donc parfaitement son rôle qui est de protéger ceux qui sont confrontés au gros risque. Mais dans le même temps, elle couvre de moins en moins les soins courants. La part prise en charge par l'AM dans les soins courants est amenée à diminuer encore. Notre système a prévu que des organismes d'assurance privés garantissent la mutualisation du reste à charge pour protéger les Français. Ce marché a augmenté de 5% par an depuis 2000, et les Français ont un prélèvement (quasi) obligatoire de 35 milliards d'euros par an pour se protéger. Ce reste à charge se décompose en trois parties : les tickets modérateurs (part dans le tarif de la sécurité sociale qui n'est pas remboursé) qui est de 30% pour les consultations. La deuxième, c'est la partie libre des tarifs (appelés abusivement dépassements d’honoraires). Et la troisième, ce sont les frais non présentés au remboursement. 

La seule raison pour laquelle les Français ont à souscrire à un contrat d'assurance, c'est pour la partie libre des honoraires (les autres composantes ne sont pas un risque). Mais ces organismes d'assurance privés ont concentré les remboursements (15 milliards sur les 27 milliards d'euros par an) sur les tickets modérateurs. Ces derniers sont de vraies rentes pour les assureurs. Pour les médecins, la partie libre des honoraires s’élève à 2.8 milliards. Or le remboursement total des assurances privées est de 4 milliards d'euros, mais seulement 0,8 milliards pour cette composante... 

Si cette association ne veut plus de financement privé des dépenses de santé, elle doit prôner la disparition des organismes d’assurance privés et le transfert de leurs 35 milliards vers l’assurance maladie, ie la nationalisation du financement. Dans ce cas, elle montrerait un minimum de cohérence avec son idéologie !

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