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Mais qui, à Bruxelles, a eu l’idée de réfléchir à des sanctions contre l’Espagne et le Portugal en pleine crise post-Brexit ?
©Reuters

On ne change pas une équipe qui gagne

Au lendemain du départ du Royaume-Uni, la Commission Européenne appelle le Conseil Européen à se prononcer sur d'éventuelles sanctions frappant le Portugal et l'Espagne, qui ne respectent pas leurs engagements budgétaires.

Raul Sampognaro

Raul Sampognaro

Raul Sampognaro est économiste au Département analyse et prévision de l'OFCE.

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Atlantico : Selon les informations du Monde, la Commission Européenne souhaite proposer au conseil européen l'application de sanctions à l'encontre de l'Espagne et du Portugal, en raison du non-respect de leurs objectifs budgétaires. Suite au Brexit, et à la défiance des populations, comment expliquer une telle proposition ? En quoi le non-respect des règles est tout de même un problème au sein de l'Union ? 

Raul Sampognaro : La Commission fait face à deux mauvaises options :

Si elle pousse l'Espagne et le Portugal dans un nouveau tour de vis budgétaire, alors que ces pays sortent à peine d'une crise économique, bancaire et financière majeure, ceci ne peut que renforcer les forces de désintégration de l'Union Européenne, qui sont actuellement très fortes (Brexit, remise en cause des accords de Schengen, critiques dans certains pays de la politique monétaire). 

Néanmoins, les déviations par rapport aux règles budgétaires est flagrante, notamment dans le cas espagnol. Pour rappel, l'Espagne s'était engagée à avoir un déficit de 4,2 % de PIB en 2015 afin de repasser sous le seuil de 3% en 2016. Finalement, le déficit s'est établi à 5,1 points de PIB (quasiment 1 pt de PIB d'écart) et ceci malgré une croissance nettement plus forte qu'anticipée (3,2 % contre 0,7 % prévu au moment où l'engagement a été pris). Dans ce contexte, il est difficile de trouver des circonstances atténuantes au cas espagnol. 

Dans ce contexte, si la Commission ne recommande pas le durcissement de la procédure de déficit excessif (les sanctions ne viendraient qu'à la fin d'un processus dynamique d'aller-retour entre le Conseil et l'État membre) ceci remettrait en question la crédibilité de tout l'édifice de la gouvernance budgétaire européenne. 

Cette perte de crédibilité serait d'autant plus grave pour les institutions européennes que des critiques émergent, notamment dans certains pays du nord de l'Europe, sur le fait que les interprétations des traités sont systématiquement favorables aux grands pays, créant une inégalité de traitement entre les petits pays (Grèce en tête) et les grands.

La Commission aurait donc décidé de rester dans son rôle, garantir l'application du droit européen, et de faire porter la décision éminemment politique de durcir la procédure au Conseil, où se réunissent les chefs d'Etat et de gouvernement.

La Commission devrait recommander les sanctions qu'elle envisage au Conseil Européen. In fine, cela ne revient-il pas à laisser la décision à Angela Merkel ? Que faut-il attendre du verdict, et que traduit-il de la compréhension de nos élites de la crise que nous traversons ?

Le durcissement de la procédure de déficit excessif doit être voté par majorité qualifiée par un double critère (nombre d'États et part de la population). Si quantitativement le poids de l'Allemagne est important c'est surtout par son poids politique qu'elle pèsera dans la balance. L'Allemagne, si préoccupée par les problèmes de crédibilité budgétaire semble avoir une vision moins rigide sur le traitement qu'il faut imposer au Royaume-Uni suite au Brexit, ceci peut être le signe d'un certain pragmatisme dans le traitement des affaires européennes qui ne peut pas être exclu. 

Au lendemain des élections espagnoles, qui certes ont conforté le gouvernement conservateur sortant mais aussi le bipartisme traditionnel car le PSOE a résisté à la poussée de Unidos Podemos, le Parlement espagnol reste fragmenté et sans majorité claire. Dans ce contexte, si le Conseil pousse l'Espagne à une résorption rapide du déficit, Rajoy aura beaucoup de mal à trouver un partenaire afin de mettre en place un ajustement budgétaire brutal. 

Si les chefs de gouvernement ne tiennent pas compte des possibles conséquences de leurs décisions sur la gouvernabilité d'un des plus grands pays de la zone euro, ils feraient preuve d'irresponsabilité et les forces de désintégration de l'union seraient vraisemblablement plus fortes.

Sans enterrer définitivement le pacte de stabilité, quelles seraient les solutions à envisager permettant aux pays de respecter leurs engagements, tout en évitant les erreurs commises précédemment ? 

Poussée par les conséquences de l'action de la BCE et la baisse du prix du pétrole, l'économie de la zone euro a enfin trouvé un peu d'air dernièrement. Les grandes organisations internationales (FMI, OCDE) s'accordent sur le risque d'une stagnation séculaire dans les grandes économies avancées et des doutes émergent sur le modèle de croissance chinois. Les risques sur l'économie mondiale sont actuellement très importants. Casser la reprise serait un autre coup porté sur le futur de la construction européenne.

Alors que les taux d'intérêt sont au plus bas historique, un choc d'investissement pourrait être mené au niveau européen permettant notamment de financer la transition écologique si nécessaire. Ce plan mené au niveau européen, pourrait dissocier la question de la gestion de la demande de celle de la soutenabilité des comptes publiques des États Membres, ce qui ne remettrait pas en cause la philosophie des traités ni l'exigence de crédibilité budgétaire. Si le plan Juncker va dans cette direction, ses modalités d'application le rendent inopérant pour sortir l'UE de la crise. Une pause dans l'ajustement structurel est une condition minimale pour ne pas casser la petite reprise en cours.

Au-delà des seuls cas espagnols et portugais, quel peut être l'impact d'une sanction sur les autres nations d'Europe ? Et de davantage de mansuétude ?

Alors que le soutien à la construction européenne s’essouffle, les pays membres de la zone euro devraient se poser de plus en plus la question sur quelle est la meilleure politique économique pour sortir d'une crise qui dure depuis presque une décennie. Ils doivent cesser de penser exclusivement en termes de crédibilité des règles, qui d'ailleurs sont d'une complexité inouïe ce qui facilite la manipulation des règles. 

La crainte de l'aléa moral a paralysé l'UE pendant des années, ce qui a rendu la sortie de crise encore plus difficile (la récession a dégradé les capacités de paiement des entreprises et ménages endettés, augmentant ainsi les mauvaises créances et dégradant les bilans bancaires). La surveillance multilatérale a permis une maîtrise certaine des déficits publics en zone euro. Ceux-ci sont aujourd'hui plus bas qu'au Japon, aux États-Unis et au Royaume-Uni. La maîtrise des comptes publics a été réussie dans la zone euro, au prix d'un sous-investissement dans le futur (R&D, transition écologique, casse des systèmes éducatifs dans le sud de la zone euro) et surtout l'installation d'un chômage de masse des jeunes générations.

Les pays membres de la zone euro doivent trouver une solution commune, coordonnée à la crise au lieu de croire que le respect des règles budgétaires suffira à assurer la sortie de crise.

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