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Pourquoi François Hollande aura bien du mal à réenchanter la gauche avec l’incompréhensible loi Égalité et Citoyenneté
©Reuters

Pas si simple

Alors que l'examen de la loi Égalité et Citoyenneté débute ce lundi à l'Assemblée nationale, ce dernier grand projet législatif du quinquennat risque d'avoir du mal à redonner de l'espoir et de l'allant au peuple de gauche, comme le souhaiterait François Hollande.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Ce lundi, le projet de loi Egalité et Citoyenneté sera examiné par l'Assemblée nationale. A quel besoin répond cette loi ? Manuel Valls évoquait il y a quelques mois un "apartheid territorial, social et ethnique" en France. Est-ce vraiment le cas ?

Eric Verhaeghe : Tout d'abord, il y a une évidence à souligner : la loi, telle qu'elle est, est à peu près incompréhensible. Elle fait partie de ces textes hétéroclites et extrêmement disparates où le gouvernement accumule une série de mesures techniques totalement incompréhensibles et illisibles. A la lecture du texte, on en sort forcément dépité. Rappelons quand même que l'initiative du texte vient tout droit des attentats du 13 novembre. Le pays avait besoin d'un signe fort et clair pour redire l'unité nationale. Politiquement, le thème à traiter n'est pas simple, mais il est important et symbolique. Il faut repenser le creuset français. La République a clairement raté l'intégration des jeunes issus des communautés musulmanes. Elle doit durablement, terrorisme ou pas, trouver une réponse à cette question et se montrer capable d'absorber, dans l'identité nationale, les jeunes qui ne se sentent pas français alors qu'ils sont nés en France. Sur toutes ces questions hautement symboliques, le texte manque sa cible. Il est très technique, très diffus, très lourd, très pointilleux. Il souligne la rupture entre le pouvoir et le peuple. Le peuple a besoin qu'on lui parle et surtout qu'on lui montre une voie. Il ne récolte qu'une messe basse en latin. Sur ce point, on peut se demander s'il s'agit d'une erreur politique ou d'une incapacité du pouvoir à imposer à son administration un changement des règles du jeu.

Alors que des centaines d'amendements ont été déposés, et retirés pour nombre d'entre eux, qu'y a-t-il concrètement dans ce texte ? Quelles sont les dispositions phares du projet ?

Le texte s'occupe de deux sujets majeurs qui auraient pu intéresser les Français : la réserve citoyenne et la mixité dans le logement social. Accessoirement, il traite de l'autonomie des jeunes. Sur chacun de ces points, les mesures sont extrêmement techniques, pour ainsi dire chirurgicales. Chacun de ces points donne étonnamment lieu à un superbe ratage, avec des mesures dont on peine à saisir l'ambition. Dans le cas de la réserve citoyenne, par exemple, qui était une bonne idée, le texte se contente d'en redonner une définition, ce qui n'intéresse personne, et d'en aménager l'organisation. L’article 5, par exemple, "prévoit les conditions d’affectation du réserviste, qui supposent son accord sur la mission et, sauf situation d’urgence, la passation d’une convention. Il évite tout risque de confusion avec un contrat de travail ou avec les emplois publics. L’article prévoit que le réserviste, placé sous la direction de l’organisme d’accueil, n’est pas rémunéré et qu’il est couvert au titre des dommages qu’il pourrait subir ou qu’il causerait à des tiers". La lecture de ces attendus souligne bien le manque général de souffle du texte.

On retrouve la même obscurité sur le logement, où les pouvoirs des représentants de l'Etat en cas de défaillance des communes qui construisent des logements sociaux, sont élargis. Le texte permet aux bailleurs sociaux de construire, par ailleurs, des résidences étudiantes, ce qui montre bien que cette loi s'occupe d'abord de "servir" les administrations qui se battent entre elles. Le logement étudiant est en effet une prérogative de l'Education nationale. Au lieu de remettre celle-ci au pas pour qu'elle construise plus, on préfère semer la confusion en laissant le ministère du Logement grignoter ce périmètre. Sur l'autonomie des jeunes, la dispersion des mesures est la même. On notera juste une priorité d'inscription des 10% des meilleurs bacheliers boursiers dans l'enseignement supérieur. Bref, tout cela manque de souffle.

Avec cette loi, et au vu de son contenu, François Hollande peut-il réellement espérer réenchanter la gauche, alors que ces derniers mois ont été marqués par une certaine défiance venue de la gauche du PS et de l'extrême-gauche ?

Avec ce texte-là, certainement pas ! Une fois de plus, on est dans le bricolage hollandais. Sur ce point, le Président n'a trompé personne. Il avait annoncé qu'il était l'homme de la boîte à outils. Et nous sommes ici sur une boîte à outils dont on mesure mal le sens et l'ambition, et qui laisse tout le monde sur sa faim. Plus profondément, la loi pose d'ailleurs la question du positionnement de Hollande face à ses administrations. Il est évident qu'il ne se pose pas comme leader qui construit une vision et qui demande à son administration de la mettre efficacement en musique.

Dans le cas de la citoyenneté à rebâtir, il s'est manifestement contenté de demander à ses services de sortir des propositions correspondant aux thèmes de la loi. Ce sont les sous-directeurs avec leurs chefs de bureau qui ont concocté les textes. Pour le reste, ce sont les seconds couteaux du gouvernement qui s'y collent. Rendez-vous compte : l'Education nationale, pourtant un peu concernée par l'égalité, notamment l'égalité des chances, n'est pas partie prenante à ce texte. En revanche, on y retrouve une sombre inconnue, Ericka Bareigts, dont personne n'a jamais entendu parler. Bref, il s'agit bien d'une loi pour rien, qui répond à une posture mais ne porte aucune vision.

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