Le plus grand hold-up de l'histoire ou comment la dette des uns fait nécessairement le profit des autres <!-- --> | Atlantico.fr
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La masse de capital dans le système a gonflé de façon exponentielle.
La masse de capital dans le système a gonflé de façon exponentielle.
©Reuters

Prédateurs

François Hollande s'est choisi "le monde de la finance" comme ennemi principal de campagne. Mais pour combattre les dérives de la financiarisation de l'économie, encore faut-il être capable d'en comprendre vraiment les mécanismes tortueux... Deuxième partie.

Bruno Bertez

Bruno Bertez

Bruno Bertez est un des anciens propriétaires de l'Agefi France (l'Agence économique et financière), repris en 1987 par le groupe Expansion sous la houlette de Jean-Louis Servan-Schreiber.

Il est un participant actif du Blog a Lupus, pour lequel il rédige de nombreux articles en économie et finance.

Voir la bio »

Pour lire la 1ère partie, c'est ici :
Inégalités : Radiographie du plus grand hold-up de l'histoire
(et comment l'État et les sociaux-démocrates s'en sont rendus complices depuis 30 ans) 


Le mouvement de modernisation de la finance, de la financiarisation, comme nous le désignons, est jumeau du mouvement de la mondialisation. L’un ne va pas sans l’autre, et l’autre ne va pas sans l’un...

La mondialisation a permis le miracle de la soi-disant productivité du système américain par les importations à bas prix, par les délocalisations, par l’arbitrage international du travail, et par le transfert inégal et invisible de valeur.

Si la financiarisation n’était pas intervenue dans un contexte de mondialisation, elle aurait échoué car le taux de profit américain n’aurait pas remonté, et l’inflation aurait rapidement fait son apparition, étant donné l'apparition rapide de tensions sur les taux intérêts.

Financiarisation et mondialisation sont inséparables, deux faces d’un même phénomène de mutation et d’extension du système placé sous le signe et permis par les modernisations, innovations, dérégulations financières. Permis aussi par cette sorte d’arrêt de l’Histoire, constitué par l’écroulement du modèle soviétique et l’affaiblissement historique du pouvoir syndical.

Le couple financiarisation et globalisation a produit une masse considérable de profit

La financiarisation a produit un système politique pollué par l’argent, complaisant, connivent, sorte de pseudo-démocratie à deux vitesses dont le maintien repose sur l’opacité et la manipulation. La financiarisation a produit les théories pour la légitimer, et elle a armé la force et la violence nécessaires pour la protéger. Car financiarisation, concentration et impérialisme vont de pair.

Le couple mondialisation / financiarisation a produit une masse considérable de profit, une masse considérable de plus values boursières, une masse incroyable de dettes, et une… modération, sinon une baisse des salaires réels dans les pays précédemment développés ! En 20 ans, les salaires réels américains n’ont pas progressé.

Allemagne: les salaires bruts ont baissé de 4% en dix ans

Les salaires mensuels allemands se sont dégradés de 4% au cours de la décennie 2000-2010, représentant une perte moyenne de 100 euros, notamment en raison du développement du travail partiel, selon une étude de l’institut économique allemand DIW. Le travail partiel s’est développé au cours de la première moitié de cette décennie. En 2010, près de 25% des salariés avaient un emploi à temps partiel, s’accompagnant souvent de salaires horaires moins élevés. Le salaire horaire moyen d’un salarié à temps partiel s’élève actuellement à 7,79 euros brut à l’ouest et 6,86 euros à l’est (ex-RDA). Mais certains salariés, dans le commerce et la restauration notamment, gagnent à peine plus de cinq euros bruts de l’heure.

La masse de capital dans le système a gonflé de façon exponentielle. Mais surtout, ce qu’il ne faut oublier, c’est que la masse de dettes incroyable dont nous parlons ci-dessus constitue un capital. Car ce qui est une dette pour les uns est un capital pour les autres, les créanciers en l'occurence. On le ne voit pas assez, cela est même dissimulé, dans nos systèmes, la dette une fois empaquetée, titrisée, vendue sur un marché devient un asset (ressources économiques) financier qui a statut de capital, car il rentre dans le patrimoine de son propriétaire comme un autre placement, et lui donne donc le droit de prélever son intérêt et d’exiger son remboursement.

Sur le graphique ci-dessous, le croisement en 1986 de la part dans le PIB du secteur industriel et de la part du secteur de l'immobilier, des assurances et de la finance (au bénéfice de ceux ci).

source Global Macro Monitor

Sur le graphique ci-dessous, il apparaît très nettement que la hausse des profits financiers (calculés en pourcentage de PIB) est très fortement corrélée à la hausse de la dette. Depuis le début de l'envolée de la dette américaine en 1980 (en rouge), les profits financiers (en noir) se sont eux aussi envolés.


source Peak Watch


Ce capital produit par la financiarisation / mondialisation, il faut bien qu’il appartienne à quelqu’un, il n’est pas suspendu dans les airs. Il faut bien qu’il aille se loger à certains endroits du tissu social. Il n’est allé ni enrichir les salariés qui ont vu leur niveau de vie stagner, ni les États qui se sont endettés et ont vendu leurs "bijoux de famille". Il est allé là où il devait aller, chez ceux qui étaient placés aux bons endroits du système, c’est à dire dans la sphère financière et dans les classes sociales périphériques.

En gonflant la valeur du capital financier, en accumulant une masse considérable de dettes, le système mis en place dans les années 1980 a produit une inégalité sans précédent. Quand on parle de surendettement, on pense aux débiteurs, on oublie que symétriquement, en face, il y des créanciers. Et si l’endettement a cru de façon exponentielle, les créances ont cru tout autant.

Cela était inévitable, c’était inscrit dans la logique du système, et cela le restera tant qu’on n’en changera pas.

Vous comprenez, bien sûr, pourquoi on escamote l’analyse des causes et des effets, pourquoi on évite de tirer sur le fil conducteur de l’Histoire et des origines du phénomène : mieux vaut se contenter, quand on veut que cela dure, de juxtaposer des constats et ne pas en tirer de conclusions. Elles pourraient déboucher sur des mises en questions inopportunes. L’escamotage des relations qui lient les causes et les effets, voire leur inversion, est l’un des grands secrets des magiciens du pouvoir. Les secrets de la financiarisation craignent la lumière ; c’est de l’obscurité que ces grands prêtres tirent leur pouvoir et leur richesse.

La suite demain sur les outils, instruments et organismes financiers qui ont permis la financiarisation de l'économie.

Cet article a également été publié sur le Blog a Lupus

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