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Le transhumanisme, héritier de l'humanisme des Lumières ou simple démarche narcissique ?
©Toru Hanai / Reuters

Bonnes feuilles

Le transhumanisme est un courant de pensée, désormais international, prônant l'usage des sciences et des techniques dans le but d'améliorer l'espèce humaine, en augmentant les performances physiques et mentales de l'homme. Il considère en outre certains aspects de la condition humaine tels que le handicap, la maladie, le vieillissement ou la mort subie comme inutiles et indésirables. À ce titre, il interroge et il inquiète... Extrait de "Le transhumanisme, Faut-il avoir peur de l'avenir ?", de Béatrice Jousset-Couturier, aux éditions Eyrolles (2/2).

Béatrice Jousset-Couturier

Béatrice Jousset-Couturier

Béatrice Jousset-Couturier est scientifique de formation, docteur en pharmacie, diplômée en droit de la santé et en bioéthique. Elle a travaillé pour plusieurs laboratoires pharmaceutiques avant de soutenir en 2014 une thèse sur le transhumanisme.

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Expliquer que cette transformation de la condition humaine est essentielle à sa survie est loin de convaincre tout le monde. Certains se posent même la question de savoir si le posthumanisme, dans l’hypothèse où il succèderait à l’humanisme, serait vraiment l’héritier des Lumières.

Le transhumanisme considérant que l’amélioration de l’homme passe en partie par sa transformation individuelle corporelle, n’ouvre-t-il pas la voie à l’inhumain ? Joël de Rosnay rappelle "qu’on désigne par humanisme, toute pensée qui met au premier plan de ses préoccupations le développement des qualités essentielles de l’être humain. L’humanisme repose sur la capacité à déterminer le bien et le mal en se fondant sur des qualités humaines universelles, en particulier, la rationalité. Il est l’affirmation de la dignité et de la valeur de tous les individus. C’est la raison pour laquelle on peut être amené à douter du caractère humaniste du transhumanisme, qui apparaît plutôt comme une démarche élitiste, égoïste et narcissique". Pour l’auteur, l’avenir ne doit pas se concentrer sur l’individu, mais au contraire s’épanouir dans le collectif.

Sous la philosophie des Lumières, l’humanité, parce qu’elle est inachevée, est promise à un meilleur avenir, et l’homme perfectible. N’étant ni des dieux ni de simples animaux, les hommes sont voués à devenir et à grandir. Depuis Galilée, Newton, Kant, notre rupture avec la cosmologie grecque pour entrer dans le monde du chaos est irréversible, et, à l’obsession de s’arracher à cette nature, qui avait caractérisé la modernité issue des Lumières, nous nous acheminons désormais vers une transgression de la nature humaine. En ce sens, le posthumanisme ne signifie pas la fin de l’homme, mais un certain déni d’humanité, un profond mépris du corps au profit de l’esprit.

C’est la fin du dualisme cartésien Esprit/Corps, ce dernier devenant un épiphénomène, puisque seul compte et seul doit subsister l’esprit.

Au contraire, la pensée transhumaniste construit "la fiction d’un individu cerveau", comme le fait remarquer le philosophe Pierre Dardot, c’est-à-dire celle d’un individu qui est son cerveau. Selon cette approche, il devient alors normal d’éviter tout dérèglement de son fonctionnement et il n’y a plus de raison d’avoir peur de recourir à des artifices technologiques pour l’améliorer, le réparer, l’augmenter.

On va également bien au-delà du moi naturel historique et biologique de l’homme en préconisant que la puissance humaine sur la nature, grâce au développement des sciences et techniques, ne saurait a priori être limitée. Et cette puissance permettra de transformer l’homme de façon à faire tomber les limites dans lesquelles se borne depuis toujours l’existence humaine, à savoir l’échec, la souffrance, la mort. Si l’on rajoute à cela le désamour actuel que l’on a de soi, on comprend mieux cette fascination face à la machine, beaucoup plus performante que nous. Le fond des utopies posthumanistes ressemble à une lassitude d’être ce que l’on est, sans pour autant bien percevoir ce que l’on voudrait devenir.

Alors, peut-on encore parler d’humanisme (la recherche doit se faire sans dépasser un certain seuil, au-delà duquel on ne serait plus un être humain), ou doit-on envisager une nouvelle philosophie de l’humain (le posthumanisme), où le seuil doit être franchi grâce au développement extraordinaire des moyens technoscientifiques ?

Jürgen Habermas et Peter Sloterdijk se sont affrontés à ce sujet, Peter Sloterdijk déclarant : "La domestication de l’être humain constitue le grand impensé face auquel l’humanisme a détourné les yeux depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours." Se plaçant ensuite dans une perspective posthumaniste susceptible de créer une nouvelle échelle de valeurs, il affirmait que la discontinuité métaphysique entre "ce qui est" et "ce qui est fabriqué" cèderait bientôt la place à une continuité, soulevant ainsi le problème de l’intersubjectivité des relations pouvant naître, entre des êtres de nature ou de facture différente. Le posthumanisme répond en partie à ces propos puisqu’il envisage de ne pas réserver des valeurs morales aux seuls humains, mais d’accorder des prérogatives aux robots, qui, de plus en plus perfectionnés, s’approchent progressivement des caractéristiques sensitives humaines. Il faudra coexister ; les Coréens du Sud nous devancent à ce sujet en élaborant une charte éthique des robots.

Bien loin du projet sociétal imaginé par les Lumières, l’imaginaire contemporain repose sur l’amélioration de la vie en soi et sur la survie de chacun. On s’est éloigné. La poursuite de la vie devient un objectif indépendant de toute dimension culturelle, sociale ou politique. La mécanisation du vivant, issue du cartésianisme, avait déjà miné les bases de l’humanisme en réduisant la conscience à la matière. Désormais elle parachève le travail en offrant un au-delà de l’humain !

Extrait de "Le transhumanisme, Faut-il avoir peur de l'avenir ?", de Béatrice Jousset-Couturier, publié aux éditions Eyrolles Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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