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Etat Islamique contre Talibans : cette guerre de communication qui oppose les deux plus puissantes organisations terroristes en Afghanistan
©Reuters

Surenchère sanglante

En Afghanistan, la concurrence entre la branche locale de l'EI et les Talibans ne cesse de s'accroître, comme en témoigne le dernier attentat commis ce lundi dans la capitale afghane. Une situation qui révèle plus profondément la rivalité entre Al-Qaïda et l'EI, et qui pourrait, à terme, tourner à l'avantage de l'EI.

Olivier Roy

Olivier Roy

Olivier Roy est un politologue français, spécialiste de l'islam.

Il dirige le Programme méditerranéen à l'Institut universitaire européen de Florence en Italie. Il est l'auteur notamment de Généalogie de l'IslamismeSon dernier livre, Le djihad et la mort, est paru en octobre aux éditions du Seuil. 

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Atlantico : Le flou demeure toujours 24h après l'attentat commis à Kaboul ayant causé la mort de 23 personnes, essentiellement des agents de sécurité népalais. La branche locale de l'EI en Afghanistan revendique l'attaque, tandis que plusieurs médias ont affirmé que celui-ci a été perpétré par les Talibans. Que révèle cette lutte de communication que semblent se livrer les deux organisations ? 

Olivier Roy : Les groupes affiliés à l'EI en Afghanistan sont dans la surenchère par rapport aux Talibans. Le type d'attentat est le même que ces derniers, qui ont du mal à accepter la concurrence que leur impose un groupe encore plus radical, et qui fait allégeance à une entité extérieure, en l'occurence le caliphat islamique d'al-Baghdadi. 

De quelle nature sont les liens entre cette branche locale en Afghanistan de l'EI et la "maison-mère" en Syrie et Irak ? Cette présence s'inscrit-elle dans une démarche de conquête de nouveaux territoires par l'organisation terroriste, notamment à l'est de la Syrie et de l'Irak (en Asie notamment) ?

Les commandants qui se réclament de l'EI en Afghanistan sont des ex-talibans. Ces Afghans donc sont entrés en dissidence vis-à-vis des Talibans pour des raisons variées : personnelles, stratégiques, etc. Pour le moment, nous n'avons aucune trace de combattants en provenance du Moyen-Orient ou de l'étranger dans les rangs de cette branche locale de l'EI. Nous sommes, en quelque sorte, dans la configuration du groupe AQMI, ou de ceux opérant en Libye : des locaux qui ont pu faire auparavant allégeance à Al-Qaïda, et qui désormais font allégeance à l'EI. L'allégeance de la branche afghane de l'EI à ce dernier change la donne dans la mesure où la logique des Talibans est nationale. Ils n'ont jamais internationalisé leur lutte. Le tueur d'Orlando, par exemple, pourtant sympathisant des Talibans, ne s'est pas du tout réclamé de ces derniers mais de l'EI. Dans cette logique nationale, les Talibans acceptent de négocier, bien qu'aucune concession sur l'application de la Charia ne soit envisagée. A l'inverse, l'EI rejette officiellement les frontières existantes, les affiliations nationales, et offre un modèle qui est celui du caliphat, soit la réunion de tous les musulmans sous la même autorité religieuse et politique.

L'EI a commencé par une base territoriale en Irak et en Syrie. Le concept du caliphat réside dans l'expansion territoriale permanente à partir de cette base. Le problème, c'est que cette expansion est bloquée, quand l'EI n'est pas en train de perdre du terrain à certains endroits. Il est donc vital pour l'EI de se projeter globalement, et dans le fond, de reprendre la stratégie d'Al-Qaïda que l'organisation a été la première à critiquer. Tout est bon à prendre pour l'EI dans cette optique, et il ne faut pas croire que l'EI envoie des escadrons de combattants dans d'autres territoires : ils comptent sur l'allégeance de groupes locaux déjà en dissidence que se soit avec les Talibans en Afghanistan, Al-Qaïda pour AQMI, etc. On voit ainsi un peu partout, y compris en Asie, des groupes ou personnes se réclamant de l'EI. Ce n'est pas un hasard si les attentats de San Bernardio et Orlando ont été commis par ce qu'on appelle, à tort ou à raison, des "loups solitaires" se réclamant de l'EI. S'ils avaient commis leurs attaques il y a trois ans, ils se seraient renvendiqués, dans la même logique, d'Al-Qaïda. Dans tous les cas, cela ne signifie pas qu'ils ont un lien étroit avec l'EI. D'ailleurs, ce dernier a lancé un appel de passage à l'acte vis-à-vis de ces loups solitaires sans passer par la case Syrie. 

A travers cette branche locale en Afghanistan, que cherche à accomplir l'EI dans ce pays ? Quelles sont les différences entre sa stratégie et celle des Talibans ?

Comme je le disais, la logique des Talibans est nationale : ils réclament un émirat islamique d'Afghanistan. A cette fin, ils disposaient d'un ministère des Affaires étrangères, enisageaient la mise en place d'ambassades, l'envoi de diplomates, etc. Ils ont fini par entrer en conflit avec l'Occident après avoir décidé d'accorder l'asile à Ben Laden, décision du mollah Omar d'ailleurs vivement critiquée au sein-même des Talibans. Malgré cela, aussi bien l'ONU que les Etats-Unis ou l'Union européenne ont maintenu des canaux de communication avec les Talibans, ce qui est totalement impensable avec l'EI. La logique de ce dernier, l'internationalisation, va donc à l'encontre de celle des Talibans. La dissidence interne aux Talibans remonte à la mort du mollah Omar, qui a ouvert un espace de compétition. De ce fait, cette dissidence cesse de réclamer l'instauration d'un émirat islamique en Afghanistan au profit de l'intégration au sein d'un caliphat. Mais dans le fond, cette dissidence n'est pas de nature idéologique mais relève de divergences en interne liées notamment à la succession du mollah Omar. A quoi il conviendrait d'ajouter, comme souvent en Afghanistan, l'existence de conflits tribaux et claniques. Il convient de rappeler qu'Al-Qaïda a fait systématiquement allégeance aux Talibans par le passé. La rivalité entre cette organisation et l'EI constitue donc la toile de fond de cette situation afghane. 

Cette branche locale de l'EI en Afghanistan compte-t-elle déjà un soutien dans la population ? Dans quelle mesure pourrait-elle concurrencer les Talibans ?

S'il y a un soutien au sein de la population, celui-ci ne peut se faire que sur des bases locales : loyauté personnelle, affiliations claniques, etc. Ce n'est pas la population qui change le logiciel idéologique. La branche afghane de l'EI, comme les Talibans, est un mouvement rural. On peut néanmoins se poser la question suivante concernant cette branche : est-ce qu'à un moment, l'EI finira par trouver parmi la jeune génération d'Afghans urbanisés et occidentalisés - un peu sur le modèle des radicaux qui agissent en Occident - de nouvelles recrues ? Cela ne doit pas être exclu. La dimension moderne de l'EI, dans ses modes de communication et son rapport au monde, pourrait attirer une catégorie de jeunes Afghans que les Talibans ne "séduisent" pas. Mais ce n'est pas encore le cas. 

Propos recueillis par Thomas Sila

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