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Charles de Gaulle, le président qui défendait le franc envers et contre tous (au point de perdre le référendum de 1969)
©DR

Bonnes feuilles

Pour la première fois, un portrait totalement inédit du Général par son petit-fils qui a eu la chance de partager avec lui à La Boisserie des moments intimes faits de complicité, d'échanges culturels et de conseils de vie. Extrait de "Un autre regard sur mon grand-père Charles de Gaulle", d'Yves de Gaulle, aux éditions Plon 2/2

Yves de Gaulle

Yves de Gaulle

Yves de Gaulle est énarque. Il est le fils de l'Amiral Philippe de Gaulle, auteur du best-seller De Gaulle, mon père.

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Revenant aux affaires en mai 1958, vous fixez trois objectifs : donner au pays des institutions solides, régler le problème algérien, restaurer la situation économique et financière de la France. Tous trois ont été atteints et dans un temps record, en particulier le volet économique par l’acceptation par la France des règles du marché commun, l’instauration d’une monnaie stable ou la restauration de l’équilibre des finances publiques. Je ne veux pas refaire le récit de vos batailles économiques, mais comment ne pas être surpris, au-delà du temps consacré, par votre compétence dans cette matière où l’on vous raillait volontiers ? Le militaire Charles de Gaulle était aussi un économiste dont la sagacité permettait de comprendre avant de résoudre. Elle vous a souvent laissé seul. 

Le 4 février 1965, vous dénoncez les dangers d’un système monétaire international fondé sur la position dominante du dollar. Le mécanisme était simple :  lorsqu’une monnaie nationale – en l’occurrence le dollar – sert d’instrument de réserve monétaire internationale, donc est acceptée et conservée par les autres pays sans être convertie en équivalent or, elle permet de s’affranchir de la discipline qu’implique, pour chacun, l’équilibre des paiements extérieurs. De fait, de 1958 à 1969, le déficit cumulé de la balance des paiements américaine a été de 34 milliards de dollars financés seulement à hauteur de 8 milliards par une diminution des réserves en or de la Réserve fédérale. Il leur fallait financer « d’énormes dépenses de puissance, d’assistance et de prestige », en particulier la guerre du Viêtnam, cela grâce à la planche à billets et sans dévaluer leur monnaie. Vous avez réclamé simplement, et contre tous, que « les échanges internationaux s’établissent sur une base monétaire indiscutable et qui ne porte la marque d’aucun pays en particulier ». Vous avez perdu cette bataille. En 1972, le président Nixon va même jusqu’à supprimer unilatéralement le principe de la convertibilité du dollar en or. Les déficits américains n’ont cessé, depuis lors, de croître, qui sont financés par le reste du monde. Vous rejetiez, en économie comme ailleurs, toute déconnexion entre le réel et sa représentation, ici la bulle dollar. Il y en aura bien d’autres après vous, liées à l’évolution non contrôlée des signes monétaires. 

Après 1968, il faut éponger la note du mois de mai, pas tant celle de la paralysie de l’économie que celle de ses conséquences différées sur le déficit de l’État, le déséquilibre de la balance des paiements et la tenue de la monnaie. Le franc avait été durement attaqué pendant les quelques semaines des événements, puis de nouveau à l’automne. Le budget de 1968, voté initialement en léger déséquilibre (− 1,8 milliard de francs), fut finalement exécuté avec un déficit de 15 milliards. L’expansion du crédit s’accompagna d’un excès de liquidités monétaires et d’une fuite de capitaux. Nombre d’hommes politiques de la majorité de l’époque, et non des moindres, soutenaient, dans la ligne du patronat, la nécessité d’une dévaluation du franc doublée d’une politique économique expansionniste. L’argument public était que la relance allait remédier à la crise. En sous-main, une bonne dose d’inflation permettrait de manger les hausses de salaires excessives accordées pendant le Grenelle. Vous étiez d’un avis opposé. Le 29 juin 1968, vous déclarez : « Cette politique sera rude. Nous allons avoir en effet à mener un grand effort de production, de productivité, de travail, pour réparer, au milieu de nos concurrents étrangers, le handicap que nous inflige la crise dont nous sortons ; pour empêcher que la hausse des prix, l’inflation, la chute de la monnaie, réduisent à moins que rien l’amélioration des salaires et des allocations des familles et des gens âgés, et développent chez nous le chômage. » Les préoccupations de chacun ne s’accordent pas. On voit où sont les vôtres. Sans insister sur le fond, vous allez défendre, jusqu’au bout de votre mandat, presque contre tous, les Allemands en particulier, la tenue de la monnaie, que sous-tend une politique budgétaire, du crédit et des revenus de nouveau rigoureuse. Cela va marcher. Votre refus de s’incliner devant ce qui paraissait inéluctable ne correspondait pas à votre réalisme. En économie, comme ailleurs, ce qui dure agit sur les structures. Ne pas subir « la supercherie de l’inflation » implique que, « les moyens appropriés étant connus, il n’est que de les prendre ». Vous présiderez plusieurs conseils restreints qui aboutiront à des mesures de redressement structurel des finances publiques, le retour à la rigueur monétaire et la modération de la hausse des revenus. C’étaient des mesures impopulaires qui n’allaient pas dans le sens de la facilité, cela au moment « de faire passer » un référendum jugé capital et qui échouera. « Par-delà les épreuves, les délais, les tombeaux, ce qui est légitime peut un jour être légalisé, ce qui est raisonnable peut finir par avoir raison. »

Ce militaire avait, cela bien avant la Ve République, quatre principes macroéconomiques simples : équilibre budgétaire sur la base d’un niveau de prélèvements publics « raisonnable » ; redistribution équitable de la « richesse » préalablement créée par les entreprises ; importance accordée par la puissance publique à l’investissement, à la recherche, à l’éducation ; évolution des « signes monétaires » en proportion de celle de la « croissance économique réellement créée ». Est-ce tant différent aujourd’hui ?

Extrait de Un autre regard sur mon grand-père Charles de Gaulle, d'Yves de Gaulle, publié aux éditions Plon, juin 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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