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Journée de mobilisation nationale contre la loi Travail : un "simple" baroud d'honneur ?
©Reuters

Pour la forme

Ce mardi 14 juin, plusieurs syndicats, menés par la CGT, battent le pavé pour se mobiliser une nouvelle fois contre la loi Travail. Mais alors que le parfum de fin de conflit n'a jamais été aussi fort, cette journée d'action pourrait bien marquer le début du processus d'arrêt de la grève.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Ce mardi 14 juin, sept syndicats, dont la CGT, organisent une grande manifestation contre la loi Travail, après celle du 31 mars. Quels sont les enjeux de cette journée d'action, alors que certains estiment qu'une sortie de crise serait d'ores et déjà négociée entre la CGT et le gouvernement ? 

Eric Verhaeghe : Il me semble que les enjeux sont d'ordre différent. Le plus important tient à l'attitude de Philippe Martinez. Après avoir abondamment appelé à la grève reconductible, il ne peut décemment pas se retirer du mouvement sans mettre en péril ses équilibres internes. Déjà, lorsqu'il a expliqué publiquement que les mouvements sociaux pendant l'Euro de football n'étaient pas la meilleure image de la CGT, une partie de sa base s'est inquiétée de son revirement et a exigé des explications. Sous la contrainte, Martinez a écrit en interne une longue note pour expliquer qu'il restait engagé dans le mouvement. Il a donc besoin d'un dernier coup d'éclat avant d'arrêter la grève. Deuxièmement, les opposants à la loi Travail ne sont pas contre une dernière manifestation de force. Elle dissuadera le gouvernement de revenir sur d'éventuelles concessions qu'il aurait lâchées. Bien entendu, c'est une manoeuvre à double tranchant, car, en cas d'échec de la journée, Valls pourrait avoir la tentation de revenir sur une ligne rigide. Enfin, une raison plus sincère sans doute est à l'oeuvre. Beaucoup de grévistes sont tout à fait authentiquement, idéologiquement, presque philosophiquement hostiles à la loi Travail, qu'ils estiment inspirée par un libéralisme débridé. Ceux-là ne veulent pas arrêter le combat et sont bien résolus à continuer coûte que coûte. Il ne faut pas sous-estimer ce phénomène qui est vif, actif, et coriace. Politiquement, il est une donnée, et même un danger qui pourrait faire long feu. En cas de réussite de la grève aujourd'hui, rien n'exclut une relance des mouvements sporadiques, hors de tout contrôle syndical.

Quels sont les différents objectifs visés par les manifestants de cette journée d'action ? En sortant dans la rue, quels intérêts servent-ils vraiment ? En quoi les objectifs des manifestants peuvent ils se différencier des intérêts réellement servis ?

Leur premier objectif est de se compter, donc de rassembler beaucoup de monde et constituer une force qui frappe le pavé. C'est basique, mais c'est essentiel. Pour le reste, il me semble que les analystes et les commentateurs n'ont pas suffisamment saisi les signaux faibles qui sont apparus au coeur de ce printemps. Le premier signal portait sur l'inopportunité de la méthode du gouvernement pour expliquer sa loi. Le deuxième signal a été celui d'une sorte de simultanéité : beaucoup se sont servis de l'opposition à la loi, ou bien ont profité du tohu-bohu lié à la loi, pour exprimer leur ras-le-bol d'autre chose. On l'a vu avec Nuit Debout, on le voit aujourd'hui avec des mouvements sporadiques qui émanent beaucoup des services publics d'ailleurs. Certains ont, à juste titre, ironisé sur le fait que ces mouvements étaient le fait de populations de salariés non concernés par la loi. C'est partiellement vrai. Mais ce me semble une erreur de ne pas saisir que cette réaction paradoxale exprime un désarroi profond dans la population française, et une angoisse mal adressée, ou mal comprise des pouvoirs publics. Entendons en particulier que le service public maîtrise mal aujourd'hui les règles du dialogue social et présente l'originalité de donner de fréquentes leçons de morale aux entreprises et de n'en appliquer aucune pour ses propres salariés, pourtant à l'abri de la concurrence sauvage. C'est pourquoi il ne faut pas prendre ces signes à la légère et mesurer que les grèves sporadiques à laquelle on a assisté sont l'expression d'un malaise profond et durable qui fait souci.

Alors qu'un rendez-vous est fixé le 17 juin prochain entre Philippe Martinez et Myriam El Khomri, cette rencontre peut-elle sceller "officiellement" l'issue de ce conflit social ? Quels obstacles pourraient encore s'y opposer ?

De mon point de vue, cette réunion annonce en effet une sortie de crise. Elle est incontournable et répond de toute façon à une urgence pour Philippe Martinez. En interne à la CGT, la ligne dure n'est pas tenable sauf à vouloir déboucher sur une révolution ou une remise en cause du régime, qui ne me semble pas le fond de pensée actuel du secrétaire général. Il a donc besoin d'une pirouette pour sortir du bourbier où il s'est mis. Le choix de la date est en lui-même significatif. La réunion de vendredi obéira à une mise en scène classique. Ce soir, les comptes seront faits : beaucoup de manifestants, moyennement, un peu. Les cabinets vont travailler pour réduire les écarts sur les demandes de concession en préparation. Vendredi, Martinez rencontrera la ministre et ils concluront un accord dont le contenu et la portée seront liés au nombre de manifestants. Des concessions vont être listées en échange d'un arrêt de la grève. On en connaîtra une partie, on ne les connaîtra pas toutes. De mon point de vue, le gouvernement va lâcher sur un mécanisme toxique de veto des branches sur les accords d'entreprise dans l'article 2 de la loi. Martinez sortira du bureau de la ministre le poing levé en déclamant la liste (partielle) des victoires obtenues et en expliquant que, maintenant, il faut arrêter la grève. Toute l'inconnue sera de savoir s'il dispose de l'autorité et de la légitimité nécessaires pour décider cela. La suite des événements nous le dira. 

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