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Le volet "lobbying" du projet de loi Sapin 2 : une conception archaïque des relations entre le monde économique et la politique
©DR

Malhonnêteté politique

Actuellement discuté par l'Assemblée Nationale, le projet de loi Sapin 2 concerne notamment la lutte contre la corruption et la régulation du lobbying. Une intention louable s'il en est, mais qui oublie d'appeler lobbying et pressions externes ce qui en fait pourtant parti, comme les syndicats ou les associations de consommateurs, pour ne s'en prendre qu'aux entreprises privées.

Olivier Babeau

Olivier Babeau

Olivier Babeau est essayiste et professeur à l’université de Bordeaux. Il s'intéresse aux dynamiques concurrentielles liées au numérique. Parmi ses publications:   Le management expliqué par l'art (2013, Ellipses), et La nouvelle ferme des animaux (éd. Les Belles Lettres, 2016), L'horreur politique (éd. Les Belles Lettres, 2017) et Eloge de l'hypocrisie d'Olivier Babeau (éd. du Cerf).

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Le mot lobbying en France est facilement associé à quelques images d’Epinal : la grande firme pollueuse qui veut pouvoir poursuivre ses activités en toute impunité, le puissant groupe qui parvient à susciter une loi en sa faveur, en un mot l’inavouable influence d’un intérêt coupable qui s’exprime dans l’opacité. Le mot sonne mal aux oreilles françaises, car il est presque synonyme pour nous de corruption. Le "projet de loi sur la transparence et la modernisation de la vie économique", dit  loi Sapin 2, qui s’attaque à la corruption, devrait justement consacrer un important volet à l’encadrement de cette activité. Cela paraît aller dans le bon sens. Qui pourrait contester que plus de transparence sur les relations entre les groupes de pression et les élus est souhaitable ? Et pourtant, ce volet lobbying annoncé dans la loi Sapin 2 est problématique. En institutionnalisation la stigmatisation des entreprises, il reflète une conception totalement archaïque des relations entre le monde économique et la politique.

Depuis 2013, les groupes d’influence sont déjà obligés de se déclarer dans un registre pour pouvoir intervenir au Parlement. Le projet de loi annonce des mesures beaucoup plus radicales : tout contact avec des lobbyistes non inscrits, tout cadeau en nature, voyage ou invitation au restaurant seront interdits. 

Mais qu’est-ce que faire une loi si ce n’est écouter les parties prenantes, toutes les parties prenantes ? Poussons la logique du projet à l’absurde : si toute influence envers les parlementaires est si strictement encadrée, est-ce qu’il ne faudrait pas aussi que les syndicats, les fédérations professionnelles, les associations de consommateurs et même les administrations elles-mêmes fassent état de leurs contacts avec les parlementaires ? Un amendement proposé par des députés PS a été adopté en commission des Lois excluant par exemple les syndicats de la liste des groupes d’influence, mais pas les organisations patronales !

Au nom de quelle logique étrange certaines parties prenantes, parce qu’elles sont des entreprises privées ou leurs représentants, devraient-elles être présumées coupables de vouloir corrompre, tromper le parlement, nuire à la société ? 

A l’inverse, au nom de quelle logique faudrait-il considérer les très nombreuses autres formes de pressions pesant sur les parlementaires comme légitimes et ne nécessitant aucun contrôle ?

L’idéologie qui préside à ces mesures annoncées est terriblement marquée : c’est celle d’un manichéisme néo-marxiste pour lequel les forces du capital sont par définition vectrices d’aliénation, et symétriquement la puissance publique bonne et juste par essence. 

Le signal implicite envoyé par ce projet de loi est que l’intervention d’une entreprise dans le processus législatif est toujours sujette à caution, suspecte, et donc qu’elle est toujours un peu intempestive. Le projet prévoit même des peines d’amende si les chiffres avancés par les lobbies pour argumenter leur position se révèlent faux, ce qui est une façon à peine voilée de considérer comme a priori douteux tous les arguments avancés par les entreprises.

Etrange conception, on le voit du travail parlementaire : les députés seraient si experts en tout qu’ils pourraient légiférer avec sagesse sur tous les sujets, y compris économiques, sans que les entreprises elles-mêmes y soient réellement associées ! 

Cette attitude est caractéristique du mal français : l’inextinguible méfiance vis-à-vis du monde économique, une posture de la puissance publique traitant les entreprises non pas comme partenaires à accompagner, mais comme ennemi à maîtriser. 

Comment ne pas voir un bon exemple de cette logique terrible qui permet aux pouvoirs publics d’édicter des règles si cruellement éloignées d’une réalité de l’entreprise qu’ils ne connaissent pas, faute de compter suffisamment d’entrepreneurs dans leurs rangs ?

Comment ne pas y voir la cause de ces lois, comme la catastrophique loi ALUR de Cécile Duflot, votées à la hâte avec force effet d’annonce, et ensuite piteusement détricotées dès qu’on s’aperçoit de leur absurdité ?

Oui, une plus grande transparence dans les différentes influences qui entourent les députés est souhaitable. Mais profitons-en alors pour reconnaître une vraie place à ces lobbies, afin que les débats économiques soient clairement posés et fassent l’objet d’échanges rationnels débouchant sur de meilleures lois.

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