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Ces erreurs de jugements bien françaises qui conduisent Hollande à féliciter la Suisse pour le tunnel du Gothard au lieu de jouer la carte de la liaison Lyon-Turin
©Flickr / Gianfranco Goria

Astérix chez les Helvètes

Après 17 ans de construction, le tunnel du Gothard a ouvert. Alors que François Hollande a félicité la Suisse pour les travaux réalisés, la France continue de tergiverser sur la création d'une ligne ferroviaire à grande vitesse reliant Lyon à Turin. Le signe d'une incompréhension des élites françaises des logiques d'aménagement du territoire en Europe et d'une sous-estimation des gains économiques à tirer d'un tel projet.

Atlantico : Après 17 ans de construction, le tunnel du Gothard, plus long tunnel d'Europe, a ouvert ce jeudi. Il doit permettre de fluidifier le trafic entre le sud et le nord de l'Europe à travers le massif alpin. Dans quelle mesure ce tunnel profitera-t-il à la Suisse d'un point de vue économique ? Qu'est susceptible d'y gagner, ou d'y perdre, la France ?

Laurent Chalard : L’ouverture du tunnel de base du Gothard en 2016, qui fait suite à celle du tunnel du Lötschberg en 2007, va permettre de renforcer la position de la Suisse comme axe de communication transalpin majeur par où passent les principaux flux de marchandises reliant l’Europe rhénane, premier pôle industriel du continent, à l’Italie du Nord, deuxième grand pôle industriel du continent. La Suisse a su s’affranchir de sa géographie défavorable par une politique de grands travaux qui lui permet dorénavant de se présenter comme le carrefour de l’Europe, alors que rien n’était moins sûr. En effet, suite au développement des échanges consécutif à la mise en place du marché commun européen (dont la Suisse ne fait d’ailleurs pas partie !), les dirigeants du pays ont compris tout l’intérêt qu’ils auraient à capter les flux grandissants entre le Nord et le Sud du continent en proposant une offre alternative à la route, c’est-à-dire en mettant les camions sur les trains et en construisant des tunnels pour réduire les temps de trajet. Ce pari intelligent s’est avéré pleinement gagnant car le passage par la Suisse est le plus court en distance kilométrique entre l’Europe rhénane et l’Italie du Nord.

Dans ce cadre, la France a, bien évidemment, tout à perdre de l’ouverture de ces tunnels car les flux de marchandises, qui passent par la Suisse, sont autant de flux de marchandises, qui ne passent pas potentiellement par la France, étant donné l’absence d’itinéraire rapide pour relier la France à l’Italie du Nord. Or, aujourd’hui, le développement économique est fortement lié à la captation des flux. Si vous ne vous trouvez pas sur les principaux axes de circulation, vous risquez de décliner.

De son côté, le projet de ligne ferroviaire à grande vitesse reliant Lyon à Turin, a été maintes fois modifié et reporté par la France et l'Italie. Comment expliquer de telles réticences alors même que François Hollande a publiquement félicité la Suisse pour les travaux qu'elle a réalisés ? 

En-dehors de la question primordiale du coût, la France, comme tout un chacun le sait, n’affichant pas la santé financière de la Suisse, il y a eu beaucoup de tergiversation côté français concernant le projet de construction du tunnel Lyon-Turin parce que l'élite politique n'a jamais été réellement convaincue de l'intérêt du projet, dans le sens qu'il existe une certaine condescendance hexagonale vis-à-vis de l'Italie, jugée comme un partenaire économique moins fiable que les pays d'Europe du Nord, d'où une sous-estimation du potentiel gain économique du projet pour la France. Les dirigeants français ont, jusqu’ici, beaucoup plus cherché à se connecter au Royaume-Uni (TGV et tunnel sous la Manche) et à l’Europe rhénane (autoroutes et lignes TGV). Pourtant, l’Italie du Nord est un pôle industriel majeur du continent ! Côté italien, étant donné les projets développés par la Suisse, qui plus est largement financés par le contribuable suisse, le lien avec la France apparaît aujourd’hui moins urgent.

Un deuxième élément non négligeable concerne un problème très spécifique à l’élite française actuelle. En effet, nos dirigeants n’étant, en règle générale, pas très doués en géographie, ils ne comprennent pas bien ce qu'est la dorsale européenne (cet ensemble densément peuplé et urbanisé qui va du bassin londonien à la plaine du Pô en passant par l’Europe rhénane, ne faisant qu’effleurer le territoire français) et en quoi la Suisse nous dame le pion sur le plan économique grâce au développement de son réseau de transports transalpins ! Le fait que François Hollande puisse féliciter la Suisse des travaux réalisés montre bien son incapacité à comprendre les grandes logiques d’aménagement du territoire en Europe et de leurs conséquences sur le développement économique. En gros, il se réjouit de la réalisation d’un projet qui vient concurrencer le développement économique national…

Un autre élément, qui joue aussi dans le peu d’empressement des dirigeants français à faire émerger le projet, est le fait que le tunnel Lyon-Turin favoriserait essentiellement la ville de Lyon et non Paris. Or, la France étant un pays jacobin, les hauts fonctionnaires parisiens ne voient pas forcément d'un bon œil une émancipation lyonnaise sur le plan économique de la tutelle parisienne. Le projet est donc porté essentiellement par les milieux dirigeants lyonnais, qui se doivent de convaincre Paris de son utilité, ce qui ne se posait pas pour le tunnel sous la Manche dans les années 1980, son principal objectif, côté français, étant de relier plus rapidement Paris à Londres.

Quels gains économiques la France tirerait-elle d'un projet tel que la liaison Lyon-Turin ? Le potentiel économique du tunnel qu'il nécessiterait de creuser a-t-il été bien évalué par les autorités françaises ? 

Comme bien souvent, l’évaluation sur le long terme de la contribution au produit intérieur brut d’une grande infrastructure est très compliquée à réaliser. En effet, il ne s’agit pas de comparer les revenus produits du trafic de passagers et de marchandises par rapport au coût faramineux de la construction, mais de déterminer aussi les points de PIB supplémentaires liés à la stimulation des échanges, chose qui n’est, bien souvent, pas faite, d’autant qu’il faut garder en tête que ce type de projet à des effets sur le très long terme. Par exemple, il est évident, sans qu’il soit possible de le quantifier, que l’économie britannique a bénéficié du tunnel sous la Manche, contribuant au rattachement de l’économie insulaire à celle du continent.

Le premier gain évident est que sa réalisation permettrait à la France d’essayer de récupérer une part des flux de marchandises qui ne passent plus par son territoire depuis l’ouverture des deux tunnels suisses, et plus globalement depuis la fin du Moyen Age. Rappelons que l’apogée de nos foires de Champagne à l’époque médiévale correspondait justement à l’époque où le gros des flux de marchandises entre la Flandre et l’Italie du Nord, les deux principaux foyers d’innovation de l’époque, passait par la France et non la Suisse. C’est à partir de la Renaissance que les flux ont commencé à se détourner vers l’Est, empruntant la voie rhénane, ce qui, combiné à l’absolutisme du pouvoir royal, a conduit à affaiblir relativement le commerce et donc l’économie hexagonale.

Le second gain concernerait essentiellement la ville de Lyon, qui pourrait voir son rang progresser dans la hiérarchie des métropoles européennes, grâce au considérable renforcement de son rôle de carrefour international, lui permettant de reprendre une place plus conforme à sa position exceptionnelle entre le Nord et le Sud de l’Europe. Les fonctions métropolitaines de l’agglomération pourraient se voir démultiplier, l’amenant à concurrencer sérieusement Munich ou Stuttgart, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, étant donné sa dépendance totale à la capitale.

Cependant, ces gains ne peuvent être réels, uniquement sous réserve que le projet soit pensé dans une politique d’aménagement du territoire globale, visant à détourner une partie des flux passant par la Suisse vers le territoire français, ce qui passe par la proposition d’une offre adéquate et l’aménagement des accès au tunnel. Il s’agirait d’éviter l’écueil de la cathédrale dans le désert, c’est-à-dire du tunnel difficilement accessible ne générant qu’un trafic limité, inférieur aux attentes, d’où un impact économique peu important, donnant raison à ses détracteurs.

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