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Quand Raymond Poulidor évoque Antoine Blondin : "S’il avait été coureur avec un talent équivalent à son talent d’écrivain, il aurait gagné cinq Tours de France…"
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Bonnes feuilles

À l’occasion du 25e anniversaire de sa disparition, le 7 juin prochain, Jean Cormier, journaliste et proche d’Antoine Blondin, avec Symbad de Lassus, le petit-fils de l'écrivain, ainsi que de nombreux témoignages (Bernard Pivot, Raymond Poulidor, Jean-Paul Belmondo…) rendent hommage à l’un des plus grands chroniqueurs sportifs et l’auteur du cultissime "Singe en hiver". Extrait de "Blondin", de Jean Cormier et Symbad de Lassus, aux éditions du Rocher 1/2

Symbad de Lassus

Symbad de Lassus

Symbad de Lassus est le petit-fils d'Antoine Blondin.

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Jean Cormier

Jean Cormier

Jean Cormier est journaliste et un de proches d'Antoine Blondin depuis le début des années soixante. Compère des dernières années de sa vie (il a écrit Alcools de Nuit, avec lui et Roger Bastide), Jean Cormier ne lâche pas le flambeau.

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Raymond Poulidor, ce sage sur deux roues

Raymond reconnaît qu’une de ses premières actions quand, en 1977, il fonctionnait pour France Inter, avec Jean-Paul Brouchon, fut de se rendre à la salle de presse pour regarder de près l’artiste, dans son numéro d’équilibriste des mots.

« Il était dans sa bulle, souvent au fond du préau ou de la toile de tente qui faisait office de salle de presse. Autour de lui, les journalistes tapaient à la machine, cla-cla-cla-cla-clac…  Il s’asseyait, dans un état second, toujours un pastis 51 à portée de la main, et se mettait à arrondir ses lettres au porte-plume. Ainsi a-t-il écrit, mais là j’étais sur le vélo : "Guimard notre 'Eddy' de Nantes", le soir de juillet 1972 où le Nantais a battu Merckx au sprint, au Revard, alors qu’Eddy, qui pensait avoir gagné, avait levé le bras en signe de victoire…  Il m’a marqué ce papier…  »

L’air négligeant, les mains dans le dos, Raymond se figeait derrière Antoine, comme fasciné : « Pas une rature, rien…  Le lendemain, il fallait le lire à deux fois. C’était pas facile à comprendre. Pour ne rien rater, il fallait faire attention !… » Et de poursuivre : « C’est banal à dire, mais Antoine était un génie. Reconnu comme tel, par les plus grands, les présidents Mitterrand et Chirac en premiers…  D’ailleurs, c’était pas un journaliste, Antoine. Il ne posait pas de questions, il écoutait et écrivait son histoire à lui… »

Enchaînant : « Un jour, à la remise de la Légion d’honneur au Blaireau, pardon Bernard Hinault, Antoine demandait “Où est le Président ?” et, dans son dos, la voix de Mitterrand répondit : (Raymond change la sienne, pour imiter Mitterrand) “Mais, je suis là Antoine… ” Antoine lui proposa un verre que le président refusa poliment. D’ailleurs, il faut savoir qu’avant d’être élu, Mitterrand, qui avait une cousine dans le coin, venait le voir dans sa maison de Salas. Je sais, qu’ils discutaient beaucoup de l’écrivain Jacques Chardonne…  »

À la question : « C’est quoi avoir du génie ? », Raymond réagit : « C’est une passe croisée des Bonificace en rugby. Je pense qu’à vélo, Jacques Anquetil en avait. Moi, c’est autre chose… je n’étais pas assez méchant. Sinon, j’aurais gagné un ou deux Tours !…  Quant à Antoine, s’il avait été coureur avec un talent équivalent à son talent d’écrivain, il aurait gagné cinq Tours de France, cinq Giros d’Italie et plusieurs titres de champion du monde…  Et il aurait été riche, sans être traqué par le fisc…  C’est tout de même important ! Antoine est tout de même un monsieur que j’ai connu de 1962 jusqu’à sa mort en 1991, ce qui fait près de trente ans !… » 

Après avoir savouré le bourgogne blanc que l’épatant Pascal Hervé, lieutenant de Richard Virenque, nous sert à La bibliothèque, son restaurant limougeaud, Raymond, qui n’a jamais porté le maillot jaune, révèle : « Antonin Magne, qui a été mon directeur sportif, avait toujours un pendule avec lui. Il était radiesthésiste. Il m’a assuré que si le Tour s’était disputé en juin, je l’aurais remporté. Là, en juillet, les astres ne m’étaient pas favorables…  Quand je pense à 1964 et 1968, je me dis qu’après tout, il avait peut-être raison Monsieur Magne… » 

De la forte amitié qui a uni Antoine à Jacques Anquetil, le Raymond a son idée : « À l’heure de l’apéro, Jacques pouvait tenir le choc plus que moi. Et Antoine appréciait les gens qui trinquaient avec lui. Moi, deux apéros au maximum, c’était amplement suffisant. Pourquoi se forcer ?… Je pense que, contrairement à ce que disait sa femme, Françoise, Antoine ne trouvait pas son inspiration dans l’alcool. Ne me demandez pas ‘‘si Antoine avait moins bu, est-ce qu’il aurait plus écrit ?’’, j’en sais rien ! J’ai seulement l’impression qu’il s’est gâché en buvant trop…  » 

Le fait d’être un leveur de coude mesuré n’empêche pas notre Raymond national d’apprécier la fête parce qu’elle crée des pelotons où les gens sont au coude à coude pour oublier les soucis, tout en se créant de bons souvenirs.

« Quand il y a eu en 1971, à Linards, une journée pour l’opération Perce-Neige de Lino Ventura, je n’ai jamais vu autant de monde dans le village. Avec les Haricots Rouges, des musiciens qui adoraient Antoine, pour soutenir l’ambiance. Raphaël Geminiani est venu, Michel Audiard et René Fallet, le grand copain de Brassens, en étaient. La soupe aux choux, c’est lui, Fallet. Nous avons repéré tous les deux le circuit d’une quinzaine de bornes. J’ai crevé en route, eh oui, et nous avons passé la ligne presque ensemble. Lui devant pour quelques centimètres. Il était pas peu fier du résultat : Poulidor 2e, la légende était respectée… »

Poupou n’échappe pas à la signature d’un autographe que lui demande un gamin de la communale. Avec une pointe de candeur mais sans fausse modestie, il constate : « Comme on dit, "il se prend pour Fangio", on dit d’une personne qui fait toujours "2" dans la vie, "c’est le Poulidor de l’histoire", ça me va, je suis devenu un nom commun et c’est mon fonds de commerce. » 

Lancé sur sa « poupoularité », Raymond rappelle, avec une once de naïveté, une scène franchement extraordinaire. Un soir d’étape du Tour 1978, il est ramené à son hôtel par le bon docteur Miserez, médecin-chef du Tour. Et, alors qu’ils s’apprêtent à franchir le seuil de la porte, ils sont les premiers témoins d’un accident : un gars à mobylette s’écrase contre le mur d’en face. Le toubib se précipite, Raymond sur ses pas. « Il est dans le coaltar, raconte le docteur. Et, au moment où je commence à m’éloigner pour appeler du secours, le gars bourré comme une cantine et la gueule en sang, entrouvre un œil pour s’écrier “Oh, Poupou !… ” en reconnaissant notre Raymond national, pour lui tombé du ciel… »

Antoine Blondin et Raymond Poulidor ont donc le Tour de France pour dénominateur commun. Raymond sans avoir porté le maillot de la couleur qui dopait l’Antoine…  En fait, il a bâti sa légende en s’éreintant à courir après le Jaune, alors qu’Antoine s’est imprégné de la couleur ensoleillée pour, en faisant du surplace, inonder de bonheur ses lecteurs ! Deux destins à la fois dissemblables et finalement pas si éloignés que ça, unis par la route du Tour dont chacun, à sa manière, a été un Géant.

Extrait de "Blondin", de Jean Cormier et Symbad de Lassus, publié aux éditions du Rocher, juin 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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