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Comment la Manif pour Tous est devenue un mouvement social sans précédent dans l'histoire de France, marquant la vitalité d'une nouvelle écologie humaine
©Reuters

Bonnes feuilles

Il est temps pour l'homme de préserver sa liberté d'une dissolution dans l'absolutisme technologique, la vacuité consumériste et le déni de ses repères culturels et naturels. Pour y parvenir, l'écologie humaine propose de revenir au réel – celui d'un homme fragile, sexué, enraciné corps et âme – et considère "tout l'homme et tous les hommes" comme critère de chaque décision. Extrait de "Le temps de l'homme", de Tugdual Derville, aux éditions Plon 2/2

Tugdual Derville

Tugdual Derville

Tugdual Derville est l’un des porte-parole nationaux de Soulager n’est pas tuer. Il est également l'auteur de La Bataille de l’euthanasie aux éditions Salvator, en 2012. 

 

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La force d’un mouvement social

L’histoire de France est ponctuée par les rébellions. L’embrasement survient quand le peuple – du moins une proportion significative – estime en conscience que le pouvoir en place abuse de ses prérogatives ou trahit sa confiance. Certains mouvements sociaux majeurs ont provoqué des ruptures brutales, d’autres ont entamé les tournants essentiels de notre histoire. Pendant des siècles, l’effervescence française a eu une influence significative sur le reste du monde. « Ce qui se passe en France » est toujours observé, attendu et souvent imité.

Le jaillissement du mouvement social qui a bousculé la France au début du quinquennat de François Hollande ne fait pas exception. Il est même, à bien des égards, inédit. Contrepoint à la révolution bourgeoise-libertaire de Mai 68, il marque la vitalité d’une nouvelle écologie humaine, tant par son origine mystérieuse et ses motivations profondes que par sa durée et ses perspectives. Il est temps de reconnaître ce que signifie et promet un mouvement social d’une ampleur telle qu’il n’en existe que quelques-uns par siècle. Il est temps, pour ceux qui ont participé à cette aventure, de prendre conscience qu’ils sont en train de changer l’histoire.

La rue, ferment de l’histoire de France

Des centaines de milliers de personnes sont bel et bien descendues dans la rue, toutes générations confondues, avec une représentation magistrale des plus jeunes. Toutes se sont montrées, pendant des mois, aussi « décomplexées » que déterminées. Dur à admettre pour la caste des vétérans de Mai 68 qui pensait avoir assis sur le jeunisme et l’occupation de la rue sa domination idéologique. À force d’entretenir leurs errances adolescentes, tout en s’accrochant à leurs privilèges politiques, économiques et culturels, les anciens camarades de Daniel Cohn-Bendit, disséminés là où fleurissent les manettes du pouvoir, ne se sont pas vus vieillir ni s’embourgeoiser. Encore moins perdre à ce point le contact avec la réalité sociale. Les voilà sévèrement contestés sur leur propre terrain d’émergence, celui des mœurs, par un mouvement social d’ampleur historique, surgi de nulle part.

En France, l’occupation de la rue est essentielle. C’est là que s’affrontent les grands courants de pensée qui auront, le moment venu, une traduction politique. C’est là que les intellectuels se confrontent au peuple, pour émerger ensuite dans les médias. C’est là que se forge la conscience politique des futures élites. C’est là que le débat médiatique trouve sa source. Aussi étrange que cela puisse paraître aux adeptes de la séparation entre le corps et l’esprit, les convictions montent largement par les pieds. C’est en marchant publiquement, en (se) manifestant, en défilant ensemble, qu’on éprouve son appartenance à la nation, qu’on se sent solidaire des autres, qu’on se relie à d’autres groupes, qu’on négocie, qu’on établit des ponts entre ses diverses intuitions sociales, humanitaires et politiques. La rue est une extraordinaire école d’instruction civique. Et d’engagement social. En France, la rue incarne et nourrit l’engagement. Elle fait perdre aux manifestants beaucoup de naïveté vis-à-vis du monde politique et médiatique par lequel, jusqu’alors, ils imaginaient avoir accès à l’information crédible.

Manifester apprend aussi à argumenter. Celui qui descend pour la première fois dans la rue pour défendre ses convictions éprouve souvent une émotion qui le change durablement : la joie d’avoir enfin payé de sa personne pour s’affirmer comme citoyen engagé. Quand il manifeste contre l’injustice, il en ressort avec la fierté du devoir civique accompli. Il faut donc mesurer la progression effectuée par des centaines de milliers de personnes de toutes les générations, par le seul fait d’avoir battu le pavé pour une même cause, à de multiples reprises, sans se lasser, tenant tête au pouvoir en place, tout en investissant les réseaux sociaux avec une intensité inégalée, pendant plus d’une année. Une multitude de personnes ont ainsi été formées, unifiées, motivées.

La rue, lieu de fraternisation

Derrière les banderoles, des rencontres fraternelles inédites rapprochent ceux qui ne se connaissaient pas. S’y croisent des « communautés » qui s’ignoraient voire se craignaient. Rien n’est plus dangereux pour le pouvoir en place que la « jonction » des protestataires autour d’une cause commune. Dans les manifestations peuvent naître des amitiés improbables à haute fécondité politique. L’occupation de la rue fonctionne comme un médiateur de la mixité sociale, de la diversité, de l’accueil de la différence. Ce fut vrai en 2013 entre chrétiens, de diverses dénominations, juifs, musulmans et athées. Le signal faible – de ceux qui ont le plus fort impact – est assurément venu des milliers de musulmans : la plupart sont sortis dans la rue pour la toute première fois. Fermes et tranquilles. Agissant en citoyens ordinaires, avec d’autres. Capable de dire « non » à celui qu’ils avaient majoritairement élu. Ils se sont sentis citoyens, heureux de trouver d’autres Français capables de récuser la neutralisation sexuelle et l’idéologie du genre. Par ailleurs, à mille lieues du communautarisme LGBT, la présence continue de porte-parole homosexuels en tête des manifestations pour la famille en a fait un laboratoire contre l’homophobie véritable (peur ou haine de l’autre), ne serait-ce que par les échanges que suscite la fraternité d’engagement. 

Après plusieurs années, à l’heure où la peur de la différence fait peser sur la France un risque de fragmentation et de violences intercommunautaires, alors que la République ne sait plus comment envisager la place de la minorité musulmane, l’expérience de cette fraternisation de Français de différentes confessions autour d’une cause commune devrait faire réfléchir, même ceux qui doutent de la possibilité d’un islam respectueux de la femme. Si on ne reconnaît pas la réalité de l’altérité sexuelle, comment peut-on demander aux musulmans de faire avancer la reconnaissance d’une égale dignité entre l’homme et la femme ? Forcer la confusion des genres fait obstacle à l’émancipation des femmes. Imposer l’idéologie du genre à l’école, c’est bloquer toute perspective d’intégration en favorisant le communautarisme « de réaction ». Vidées de toute objectivité anthropologique, les « valeurs de la République » sont exsangues. Et vaines. Elles fonctionnent comme un repoussoir.

Extrait de Le temps de l'homme - Pour une révolution de l'écologie humaine, de Tugdual Derville, publié aux éditions Plon, juin 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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