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Applis santé : les bienfaits des 10.000 pas quotidiens, un mythe plus qu’une réalité scientifique ?
©Reuters

Bas les masques

Les 10 000 pas quotidiens recommandés par les médecins relèvent d'un choix arbitraire sans vertu scientifique. Si faire de l’exercice est bon pour la santé, chacun doit se fixer des objectifs en fonction de sa condition physique et de son mode de vie.

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris est médecin généraliste.

Enseignant à Paris, il participe à de nombreuses émissions de radio et de télévision sur les questions de santé. Il est l'auteur de plusieurs livres médicaux dont "Santé : la démolition programmée", aux Editions du Cherche Midi.

Il a écrit  "Médicaments génériques, la grande arnaque" aux Editions du Moment.

Son dernier livre s'intitule "La fabrique des malades" aux Editions du cherche midi.

Voir la bio »

Atlantico : Le docteur Alan Yeung, cardiologue à l'université de Stanford, entreprend en ce moment même une étude de l'exercice parmi les plus complètes et les plus audacieuses. Il s'attaque notamment à certains mythes de la médecine. Que dire des 10.000 pas à faire au quotidien pour s'assurer une bonne santé ? Dans quelle mesure peut-on parler de réalité scientifique sur cette question ?

Sauveur Boukris : Soyons clairs : faire de l'exercice a toujours été bon pour la santé. Prétendre qu'il faille faire, au quotidien, 10.000 pas, c'est une façon synthétique d'inviter les gens à en faire. De la même façon, on entend parfois qu'il est nécessaire de marcher au moins une demie-heure par jour. 10.000 pas, cela correspond environ à 8 kilomètres. Or, il est évidemment impossible de faire 8 kilomètres en une demie-heure, sauf à faire du 16km/heure.

Marcher, et l'exercice en général, est effectivement quelque chose de très important pour s'assurer une bonne santé. Pour autant, il est primordial de bien comprendre l'impact des conditions sur l'exercice. En vérité, ces conditions sont tout aussi importantes que l'exercice en lui-même. Certes, marcher est une bonne chose, mais un individu qui marche sous l'emprise du stress – pour une raison x ou y – n'en bénéficiera pas autant que celui qui marchera serein. De la même façon, pratiquer un exercice physique à jeun revient à puiser dans ses propres réserve… et laisse clairement matière à douter de l'efficacité finale du procédé, tant pour l'aspect purement cardiaque que pour l'aspect longévité. En tant que médecin, chaque fois que je suis amené à observer des coureurs dans le bois de Boulogne, j'en vois qui tirent sur leurs réserves. Ils ont le visage rouge, ne parviennent pas à respirer correctement. À ceux-là je dis : arrêtez de procéder ainsi ! Il faut aller à son rythme, quitte à marcher plutôt que de courir. Cette attitude est nocive. Il est important d'avoir conscience du contexte : manger un repas riche avec des amis est meilleur pour la santé que d'avaler une soupe chinoise seul dans son canapé et devant son poste de télévision. L'environnement est essentiel. C'est une dimension qu'il faut prendre en compte quand on fait de l'exercice, qu'il s'agisse de marche ou d'une autre activité. S'exercer est une bonne chose, oui, mais sans stress et sans obligation de résultat. Or c'est là toute la dimension dangereuse des objets connectés : ils ont la facheuse tendance à mettre devant l'obligation de résultat, à rendre le tout un peu obsessionnel.

10.000 pas au quotidien pour rester en bonne santé, c'est donc évidemment un mythe. Un pas en soi, cela ne correspond à rien. Tout dépend du poids de l'individu, de son âge, de ses conditions de vie… Les objectifs s'adaptent à ce genre de dimensions. Non, définitivement, le chiffre 10.000 est arbitraire et ne vient que faciliter la mise en place d'un objectif dont la seule valeur est théorique, sans vertu scientifique. 

Quels sont les autres mythes de la médecine qu'il pourrait être intéressant de souligner ? Comment  les nouvelles technologies et modèle d'études nous permettent-ils de revenir sur de telles situations ?

Des mythes dans le domaine de la médecine, il y en a beaucoup. C'est particulièrement vrai en médecine diététique. Que dire de tous ces mythes qui existent sur les matières grasses plus nocives que le sucre, ceux qui concernent les régimes, etc… Il est important de réaliser que la médecine est remplie de mythes, de nombreuses idées reçues. Parfois même des modes ; qui reposent beaucoup sur l'étude des statistiques. Les informations que l'on récupère en s'attardant sur ces statistiques reposent inévitablement sur des données de sous-groupes. Concrètement il s'agit, en médecine, d'un moule générique dans lequel on cherche à faire rentrer une représentation globale... mais qui ne conviendra évidemment pas à chaque individu. Cela revient donc à imposer des normes quand, in fine, chaque individu devrait avoir son propre ensemble de normes. L'indice de masse corporelle en est l'exemple parfait : c'est un des nombreux mythes avec lesquels on compose en médecine mais qui devient source d'erreur lorsqu'il est utilisé seul. Sans autre source d'information, comme le périmètre abdominal par exemple, un patient en bonne santé pourrait apparaître comme souffrant d'une surcharge pondérale. Il est primordial de ne pas s'arrêter à l'analyse d'un seul facteur. Une donnée isolée de son contexte c'est une idée fausse.

Or, les objets connectés qui encouragent à des résultats déterminés par statistiques encouragent à la création de tels mythes. L'étude dont vous parlez recueille énormément de données sur le mode de vie de milliers de personnes. Après quoi les chercheurs vont partir en quête de corrélations... mais une corrélation ne correspond pas à une cause dans notre discipline. De même qu'un facteur n'est pas une cause. Toutes les pathologies n'ont d'ailleurs pas de cause à proprement parler, mais un faisceau de facteurs susceptibles de provoquer la pathologie. Prenons l'exemple d'une angine : la cause est directement liée à une bactérie. Dans le cadre d'une maladie cardiovasculaire, il y a en revanche énormément de facteurs et de corrélations sans qu'on soit capables d'identifier un lien de causalité direct et certains. Dès lors, le risque c'est que les statistiques établissent une certaine logique de la pensée qui aboutirait sur une dictature du chiffre.

Cela ne signifie pas qu'il faille s'en débarrasser. Ce genre d'analyse permet de vérifier le mode de comportement d'une population, d'en constater les éventuels changement et par conséquent d'anticiper l'émergence, par exemple, de maladies. Globalement, cela offre la possibilité d'anticiper certains comportements. Cela ne doit surtout pas résulter en la création de normes, de modèles d'identification... Ce n'est qu'une simple photographie, à un instant T. Prenons un exemple très concret : si une population prends beaucoup de poids et mange plus de sel, il est possible d'en déduire le risque d'une hausse des infarctus. Cela doit donc nous pousser à mettre en place plus d'hôpitaux, plus de structures de soin.

Pour autant, quand bien même les 10.000 pas quotidiens ne constitueraient qu'un mythe, dans quelle mesure sont-ils bénéfiques ? A-t-on besoin de ce genre de mythes pour assurer une bonne santé collective ? Quel est leur impact ?

Evidemment, ces mythes ne sont pas non plus sans avantages. Ils ont pour fonction celle de lanceur d'alerte et permettent aux gens de prendre conscience de leur santé, de corriger certaines dérives potentielles. Ces mythes ont l'avantage de réveiller, d'offrir aux gens l'occasion de se pencher sur des exercices et des attitudes susceptibles de participer à leur bonne santé. En un sens, ces légendes de la médecine ont une véritable vertu éducative et encouragent à une vie plus saine, mais ne doivent certainement pas devenir une source d'anxiété. Il est important que la majorité de la population ne vire pas hypocondriaque et culpabilise vis à vis de ce qu'elle fait ou non. Cela doit servir d'exemple, continuer à soulever des questions réelles, mais certainement pas avoir vocation à angoisser les gens et à les culpabiliser.

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