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Comment les leçons de morale faites à la droite par le clan Hollande pourraient affaiblir Alain Juppé au profit de Nicolas Sarkozy
©Reuters

Camp du Bien, le retour

En stigmatisant les positions de certains candidats de la primaire de la droite, François Hollande cherche à la fois à "se gauchir" et à faire peur en vue de la présidentielle. Néanmoins, face à la forte probabilité que Marine Le Pen soit présente au second tour, cette stratégie de la polarisation n'est pas sans risques.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Alors que François Hollande est visiblement entré en campagne électorale depuis sa fameuse formule "ça va mieux", on constate une certaine polarisation du débat politique, avec un clivage gauche-droite assez marqué, notamment au travers de l'accusation des programmes économiques de la droite, de la part du chef de l'État. Concernant les candidats à la primaire de la droite, en quoi le positionnement plus central d'Alain Juppé pourrait être un handicap dans le cas d'une accentuation de ce clivage ? A l'inverse, en quoi pourrait-il profiter à Nicolas Sarkozy ?

Jean Petaux : Chaque camp tend à stigmatiser les programmes développés dans le camp adverse. Ce processus se fait, entre autre, par une polarisation du débat politique. Certes, François Hollande pointe du doigt certaines propositions formulées par les candidats à la primaire de la droite et du centre. Il le fait dans une double perspective : "se gauchir" d’un côté et "faire peur" de l’autre. Dans les deux cas, la cible n’est pas tant Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy. En l’occurrence, ils sont tous les deux "instrumentalisés" pour atteindre une autre cible, bien plus prioritaire pour François Hollande : l’électorat de gauche qu’il convient de "re-séduire" en montrant son profil le plus à gauche possible, mais qu’il faut aussi mobiliser et alerter sur le mode "Au secours la droite revient !"... : vous n’êtes pas contents de la loi El Khomri ? Votez pour la droite (ou même "laissez la droite gagner en restant chez vous") et vous aurez dix "lois El Khomri".

Dans cette phase du débat politique, pour ce qui concerne le "camp d’en face" du PS, les candidats LR ont tout intérêt à ne pas trop chercher à jouer au plus fin… Il faut qu’ils rassemblent au premier tour de la primaire un maximum d’électeurs sur leur nom. D’où la tendance, à droite, à renforcer le bloc des propositions identifiées comme "conservatrices" ou "libérales", au risque d’éloigner un électorat centriste, déçu par le "coup de barre à droite" d’un Alain Juppé par exemple…

Dans quelle mesure la perspective des échéances électorales conduit à la polarisation du débat ? En quoi l'idée d'un "ni gauche- ni droite" pourrait ne pas y survivre, chacun cherchant un champion pour défendre son camp ?

On connait la règle : "au premier tour on choisit, au second tour on élimine…".  Le souci, dans le contexte français actuel, c’est qu’il y a une probabilité non négligeable pour que Marine Le Pen soit présente au second tour. Cela rend très hypothétique la pratique du premier tour qui tenait lieu de "primaire" pour la droite ou la gauche puisque l’extrême-droite peut être qualifiée au second tour. Les deux camps "républicains" vont avoir tendance à polariser le plus possible leurs positions pour, d’une part, se différencier l’un de l’autre (et ainsi donner le sentiment qu’ils constituent bien, ensemble, les deux termes d’une véritable alternative) et, d’autre part, réguler toute forme de dissidence ou déviance qui pourrait s’avérer fatale puisqu’elle serait synonyme d’éparpillement des voix au premier tour et donc porteuse de "disqualification d’office" au soir du 1er tour.

L’idée d’un "ni gauche-ni droite" (une candidature de type Macron ou Hulot, par exemple) survivrait-elle à ce clivage réapparu entre le bloc de gauche et le bloc de droite... ? Sans doute que non. La bi(ou "tri")polarisation de la vie politique française ne supporte pas la figure du "centriste" mais cela ne veut pas dire que celle-ci soit inexistante ni même qu’elle ne va pas ressurgir. On sait d’ores et déjà que si Nicolas Sarkozy emporte la primaire, François Bayrou se présentera à la présidentielle d’avril-mai 2017 alors qu’il ne le fera pas si Juppé emporte la bataille de la primaire.

François Hollande a-t-il un intérêt particulier à attiser une telle polarisation ? S'agit-il d'un simple calcul politique visant à déstabiliser Alain Juppé ?

François Hollande a tout intérêt à polariser le débat, je l’ai déjà dit, mais il doit aussi se situer, tout comme tous ses adversaires (hormis la patronne du FN) dans la perspective d’un second tour qui "sonnerait le tocsin républicain" pour faire obstacle à la victoire de l’extrême-droite. Si la polarisation est très forte pendant la campagne du 1er tour, si les insultes ont volé bas d’un camp vers l’autre et si la réconciliation minimale est presque impossible, alors les taux de reports des voix vers le candidat le mieux placé pour combattre et battre Marine Le Pen ne seront pas bons…

Il semble en ce moment qu’Alain Juppé a commencé à voir fondre son avance considérable sur Nicolas Sarkozy et ses autres rivaux potentiels de la primaire. C’est  tout fait normal : les sympathisants de droite affûtent leurs couteaux, et "durcissent" leurs propositions, mais surtout une partie des électeurs de "centre-gauche" qui se disaient aptes à voter Juppé à la primaire, se ravisent et vont rester chez eux. D’où la chute logique et presque "naturelle" d’Alain Juppé dans les derniers sondages d’intention de votes à la primaire (dont il faut rappeler que la marge d’incertitude y est très élevée).

Pour ce qui concerne les relations entre François Hollande et Alain Juppé, je ne suis pas certain qu’elles relèvent d’une quelconque "exception". Nous sommes en présence ici de deux "grands pros" de la politique qui ont en commun de ne pas être des "énervés" et qui ne lâchent rien. Je ne pense pas que l’un soit obsédé par l’autre et réciproquement. Je pense encore moins que la stratégie de François Hollande soit fixée à l’aune des obsessions nourries à l’égard d’Alain Juppé et réciproquement. Cela reviendrait, pour Hollande et pour Juppé, à se tirer une balle dans le pied.

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