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Une loi Travail pour alléger les contraintes des entreprises : mais qu’auront-elles vraiment gagné (ou perdu…) au terme de la bataille sur la loi El Khomri ?
©Reuters

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Après d'intenses combats, la CGT a cessé de demander le retrait de la loi El-Khomri ce mardi 31 mai. Pour autant, la bataille n'est pas terminée et le texte originel a d'ores et déjà connu de nombreux ajustements... qui permettent d'établir qui des partenaires sociaux ou du MEDEF a eu le plus d'influence sur la rédaction du projet de loi.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Atlantico : Peu à peu, la CGT semble revoir à la baisse ses attentes vis-à-vis du projet de loi El Khomri puisque, ce 31 mai, elle n'en réclamait plus le retrait. En l'état actuel de la situation, qui du gouvernement, du MEDEF, des partenaires sociaux ou de la CGT a obtenu gain de cause (et sur quel point précis) au regard des ajustements successifs du texte initial ?

Gilles Saint-Paul : Pour l’instant, une victoire du gouvernement semble se dessiner. S’il a lâché du lest sur la barémisation des indemnisation aux prud’hommes, il tient bon sur la décentralisation au niveau des entreprises de la négociation sur le temps de travail et la majoration des heures supplémentaires. Cette disposition permettra de sortir de l’ornière des 35 heures par le biais de la concurrence et pourrait enclencher une dynamique favorable aux embauches et à la compétitivité. Notons cependant que la négociation sur les salaires reste essentiellement fixée au niveau de la branche, encore que les "accords de maintien dans l’emploi", qui permettent de déroger aux accords de branche, sont renforcés. Avec ces mesures, la France emboîte le pas à l’Italie et à l’Espagne qui ont mis en place une décentralisation des négociations au niveau de l’entreprise, avec des résultats probants si l’on en juge par leur performance légèrement supérieure à celle de la France en matière de création d’emplois. Le MEDEF ne s’en sort pas trop mal, mais il représente des grandes entreprises pour lesquelles le droit du licenciement est un point plus important que le niveau de la fixation des salaires ; en ce sens, la loi ne colle pas complètement à ses priorités. Les PME ne sont pas non plus très satisfaites, car elles craignent un renforcement de leurs contraintes réglementaires (compte personnel d’activité, etc). Elles devraient pourtant profiter au premier chef des possibilités d’assouplissement du temps de travail.

La CGT, qui a bloqué plusieurs raffineries, demeure particulièrement agressive, et la semaine s'annonce particulièrement rude sur le plan social. Cette attitude extrêmement vindicative est-elle un chant du cygne ? Si la loi venait à passer en l'état, la CGT ne serait-elle pas sévèrement malmenée par l'article 2, du fait de son manque de représentativité au sein des entreprises ?

C’est semble-t-il l’enjeu principal pour la CGT : son avenir en tant qu’organisation, indépendamment des retombées concrètes sur l’emploi de cette loi. Cela explique l’aspect musclé de sa mobilisation, renforcé par le fait qu’elle est peu suivie par sa base. La loi ne signifie pas la disparition de la CGT, car les négociations de branche ne sont pas abolies, loin de là. Mais elle constitue un précédent en matière de transfert du champ de la négociation collective des branches vers les entreprises. Fort de ce succès, le gouvernement ou son successeur pourrait aller plus loin. 

Outre ces conséquences politiques, qui seront a priori les grands vainqueurs de ce projet de loi du point de vue économique ? In fine, si le texte n'est pas modifié, qui profiterait réellement de ses bienfaits et qui serait susceptible de souffrir économiquement de ses effets ?

En principe, la réforme devrait profiter aux travailleurs peu qualifiés qui aimeraient travailler plus et qui ont pâti de la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires qui a suivi l’élection de Hollande. La mesure n’est pas comparable mais elle va rendre plus facile le fait de travailler plus pour ceux qui le désirent. Les travailleurs protégés par des conventions collectives généreuses et qui travaillent dans de grandes entreprises risquent de souffrir de la concurrence accrue des PME qui profiteront de la plus grande flexibilité du temps de travail, quoiqu’en tant que consommateurs ils profiteront des effets modérateurs sur les prix de cette concurrence dans les autres secteurs. Ceci étant dit, ces effets doivent être mis en regard des autres politiques gouvernementales, et notamment de l’irresponsabilité en matière de progression des dépenses publiques. Si celle-ci conduit à une crise fiscale, le coût économique de cette crise sera bien supérieur aux bénéfices que l’on est en droit d’attendre de la loi El Khomri. Or les deux sujets sont liés. En effet, cette loi s’inscrit dans les "réformes structurelles" qui permettent au gouvernement d’obtenir que Bruxelles ferme les yeux sur les déficits. Ce qui permet de continuer à faire des cadeaux électoraux jusqu’en 2017, en empruntant à taux quasi nul grâce à la politique de la BCE. Cette dérive de la dette publique pourrait s’avérer fatale si les taux remontent, c’est-à-dire le jour où la BCE se rendra compte que la politique d’assouplissement quantitatif ne fait qu’inciter les états membres à acheter la paix sociale en faisant des déficits. 

Après toutes les reculades du gouvernement sur le premier texte de loi, certains affirment que le projet de loi est désormais une coquille vide. Est-ce véritablement le cas ? Que reste-t-il concrètement dans ce texte ?

Comme je l’ai dit plus haut, il reste les provisions qui décentralisent la négociation sur le temps de travail au niveau de l’entreprise, ce qui n’est pas négligeable. De plus, les auteurs du projet de loi s’attendaient à la contestation, et ont mis suffisamment de réformes dans le projet pour pouvoir céder sur certains points tout en conservant l’essentiel. L’avenir nous dira si le gouvernement peut encore reculer, mais cela signifierait alors le retrait pur et simple de la loi et l’impossibilité de gouverner pendant la dernière année du quinquennat. 

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