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Où s’arrêtera la chute dans les sondages de la coalition menée par Angela Merkel ?
©Reuters

Fragilisée

Selon un récent sondage mandaté par le journal allemand BILD, pour la première fois depuis qu'elle est au pouvoir, la cote de popularité de la grande coalition gouvernementale est passée sous la barre des 50%. Si cette baisse est politiquement préoccupante pour la chancelière allemande, l'opposition actuelle en Allemagne n'est pas en mesure d'empêcher la reconduction de la coalition à l'issue des élections législatives de l'automne 2017.

Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant est professeur émérite de civilisation allemande à l'Université de Lille et directeur de la revue Allemagne d'aujourdhuiIl a récemment publié avec Hans Stark "Les relations franco-allemandes: vers un nouveau traité de l'Elysée" dans le numéro 226 de la revue Allemagne d'aujourd'hui, (Octobre-décembre 2018), pp. 3-110.
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Atlantico : D'après un sondage effectué entre le 25 et le 30 mai par l'institut allemand INSA et mandaté par le quotidien BILD, la cote de popularité de la coalition allemande au pouvoir est en baisse (à 49%) tandis que l'Afd recueillerait 15% d'opinions favorables. Dans quelle mesure ces résultats révèlent-ils le désaveu de la politique menée par Angela Merkel ?

Jérôme Vaillant : La crise des réfugiés bouleverse le paysage politique allemand depuis l’automne 2015. Les élections régionales de mars 2016 en Bade-Wurtemberg, Rhénanie-Palatinat et Saxe-Anhalt en ont fourni des indices probants même si une analyse plus fine montrait que les pertes chrétiennes-démocrates en Bade-Wurtemberg (-12 points) ne signifiaient pas obligatoirement un désaveu de l’électorat de ce Land pour la politique des réfugiés menée par la chancelière puisque la victoire des Verts et l’élection d’un ministre-président vert à la tête d’une coalition Verts-CDU confortait plutôt celle-ci. Il reste que dans ces trois Länder, l’AfD, l’Alternative pour l’Allemagne, ouvertement xénophobe et antieuropéenne, cherchant à récupérer la partie de l’opinion favorable aux mouvements Pegida, obtenait des scores allant de 15 à 24%. Mais les pertes essuyées par le SPD, sauf en Rhénanie-Palatinat où celui-ci se maintient au pouvoir, étaient au moins aussi spectaculaires : -10,4 points et -10,9 points en Bade-Wurtemberg et en Saxe-Anhalt. La conséquence a été une plus grande difficulté à constituer des gouvernements régionaux stables, ce qui a pourtant été possible au terme de négociations de plusieurs semaines dans chacun de ces trois Länder. On a assisté dans ce contexte à de nouvelles combinaisons pour aboutir à ces coalitions gouvernementales : Verts-CDU en Bade-Wurtemberg, une première ; SPD+Libéraux+Verts en Rhénanie-Palatinat et CDU-SPD-Verts en Saxe-Anhalt. Les Verts apparaissent désormais comme un parti susceptible de s’allier aussi bien aux chrétiens-démocrates qu’aux sociaux-démocrates et même aux deux en même temps. Par ailleurs le retour des Libéraux (FDP) autorise ce qu’on appelle en Allemagne une coalition des "feux tricolores" (rouge-jaune (orange)-vert). L’émergence de l’AfD n’a donc pas au final empêché la formation de gouvernements disposant d’une majorité stable, elle a favorisé de nouvelles combinaisons, chaque parti représenté dans les parlements régionaux, à l’exclusion de l’AfD et le plus souvent aussi de La Gauche (Die Linke), étant acceptable pour les autres.

Mais on se doit aussi de constater que du début de la crise des réfugiés fin août 2015 à la fin du mois de mai 2016, la CDU/CSU a perdu 10 points, voire peut-être même 13 points si l’on en croit le sondage porté par le journal Bild du 31 mai. Tout aussi problématique pour la coalition gouvernementale et le SPD lui-même est la stagnation du SPD autour des 20%. Qu’elle soit notée à 49% contre 66% en août 2015 ne peut être que politiquement préoccupant pour la coalition au pouvoir à Berlin, même si arithmétiquement parlant, à 49%, ne s’opposeraient à elle qu’un conglomérat de partis représentés au Bundestag de 45%, une opposition qui n’empêcherait pas la reconduction d’une grande coalition à l’automne 2017.

L'impopularité d'Angela Merkel est-elle conjoncturelle ou a-t-elle des causes plus profondes ? Quelle est la capacité de nuisance de l'Afd d'un point de vue électoral ? Quel est le risque que la chancelière allemande perde les élections législatives qui auront lieu à la fin de l'été 2017 (septembre/octobre 2017) ? 

Les difficultés de la coalition CDU/CSU-SPD sont directement liées à la crise des réfugiés et à sa gestion par un gouvernement largement désuni sur la question, la CSU bavaroise ne cessant de critiquer la chancelière et le SPD ne faisant preuve que d’une solidarité gouvernementale limitée. La chancelière mise sur sa capacité à retourner la situation en sa faveur en regagnant l’électorat qui lui tourne actuellement le dos à cause de l’afflux des réfugiés en 2015. Pour ce faire, elle fait le grand écart entre la défense des valeurs européennes fondées sur la défense des libertés et du droit d’asile et une politique restrictive à l’accueil des migrants plus nettement défendue par son ministre de l’Intérieur, Thomas de Maizière. Elle prône également une politique systématique d’intégration contrôlée des migrants auxquels elle signifie sans aucune ambiguïté qu’à la générosité de l’accueil de la part de l’Allemagne doit correspondre de la part des migrants une volonté clairement manifestée d’adopter les valeurs de la société allemande.

Pour Angela Merkel, sa cote de désamour est conjoncturelle. Ce qu’elle ne peut savoir, c’est si le temps joue pour elle, les prochaines élections générales au Bundestag ayant lieu dans plus d’an an, à l’automne 2017. Les prochaines échéances régionales auront lieu dans les Länder de Berlin et de Mecklembourg-Poméranie occidentale où gouvernent des coalitions SPD-CDU dirigées par un ministre-président social-démocrate. Les élections régionales de mars dernier donnent déjà les solutions prévisibles pour le cas où une poussée de l’AfD compromettrait les majorités sortantes. Il est cependant beaucoup trop tôt pour dire si les nouvelles coalitions régionales préfigurent celle qui s’établira à Berlin en 2017 dans le cas d’une poussée de l’AfD au niveau national qui générerait, avec la réapparition des Libéraux, un système à 6 partis au Bundestag.

Ce lundi, dans un entretien au réseau RedaktionsNetzwerk Deutschland (RND), qui regroupe 30 journaux régionaux,  le ministre allemand de l'Economie, Sigmar Gabriel, a fustigé les positions de la chancelière allemande sur le TAFTA en déclarant : "Angela Merkel a eu tort de dire, dans l'euphorie de la visite d'Obama en Allemagne, que nous pourrions dans tous les cas clore les négociations cette année, et de le répéter maintenant". Y'a-t-il une fracture au sein de la coalition gouvernementale ? De quelle nature ? 

La grande coalition au pouvoir à Berlin est une coalition mal-aimée de ceux-là même qui en sont les protagonistes parce que ni les chrétiens-démocrates ni les sociaux-démocrates n’en voulaient mais à laquelle ils ont fini par se résoudre au nom de la raison politique, une première fois en 2005, puis à nouveau en 2013. De plus, celle-ci bénéficie davantage au parti de la chancelière et ne permet guère au SPD d’engranger les fruits d’une politique qui porte pourtant largement sa marque. La chancelière tire le plus net bénéfice de son ouverture vers le centre-gauche même si celle-ci provoque des tensions au sein de la CDU dont l’aile conservatrice n’apprécie pas ce qui représente à ses yeux une dangereuse "social-démocratisation" du parti. Dans ce contexte, le président du SPD, S. Gabriel cherche à se rappeler au bon souvenir de l’opinion publique allemande en s’opposant à la chancelière sur des questions dont il subodore qu’elles ne sont pas populaires, telles que les négociations TAFTA. Ses coups de patte, à vrai dire, ne griffent guère et ne sont guère prises au sérieux en Allemagne tant S. Gabriel a la réputation de dire tout et son contraire et de ne pas savoir dégager une ligne claire pour son parti comme pour le gouvernement.

En règle générale, les questions susceptibles de provoquer des tensions entre les deux composantes de la coalition gouvernementale sont réglées dans le cadre d’une commission mise en place à cet effet dès le début de la grande coalition, recherche du consensus à l’allemande oblige ! Jusqu’à ce que la campagne électorale oblige chacun à reprendre ses billes sans toutefois jamais perdre de vue que CDU/CSU et SPD pourront être à nouveau contraints de gouverner à l’avenir ensemble à Berlin. Cela vaut également pour les relations entre CDU et CSU qui s’opposent vigoureusement sur la question des réfugiés et sur la stratégie politique à suivre à l’égard de l’AfD : récupérer son électorat pour la chancelière, ne pas accepter, pour la CSU, que s’établisse durablement un nouveau parti à la droite de la CDU/CSU. La coalitionCDU/CSU-SPD apparaît donc aujourd’hui fragilisée mais pourrait bien être la solution incontournable à l’issue des prochaines législatives de 2017.

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