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Quand la télévision encourage le discours populiste
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Pop idols

C'est un principe démocratique : le peuple est souverain. Mais, attention, il peut aussi devenir une source de menace s'il est manipulé... Extraits des "Ennemis intimes de la démocratie" de Tzvetan Todorov (1/2).

Tzvetan Todorov

Tzvetan Todorov

Critique, historien et philosophe, universitaire mondialement reconnu, ayant enseigné dans les plus grandes universités en France et aux États-Unis, Tzvetan Todorov est directeur de recherches au CNRS.

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Relevons quelques caractéristiques des discours populistes. Sur le plan formel, leur trait dominant se laisse désigner par le terme de démagogie, une pratique qui, ici, consiste à identifier les soucis du plus grand nombre et à proposer pour les soulager des solutions faciles à comprendre mais impossibles à appliquer.

Tantôt le raisonnement qui y conduit est fallacieux. Ainsi (je prends mes exemples chez les démagogues français), on fait comme si une analogie sur un plan devait nécessairement pouvoir s'extrapoler à tous les autres. « Je préfère mes enfants aux enfants du voisin, ceux du voisin aux enfants inconnus. Je suis donc bien en droit de maltraiter les étrangers et de privilégier les nationaux. » Ce raisonnement repose sur la confusion entre amour et justice : j'aime plus mes proches, certes, mais la justice est la même pour tous. Ou encore : « Les races humaines sont inégales, voyez comme les Noirs remportent les compétitions d'athlétisme », sous-entendu : et comme nous sommes plus intelligents ! Ici on présuppose d'abord que tous les individus à la peau foncée forment une seule catégorie biologique, et de plus on fait comme si la hiérarchie des performances physiques rendait légitimes les hiérarchies concernant l'intelligence - corrélation qui n'a jamais été prouvée.

Tantôt la solution proposée a un prix que l'on ne veut pas reconnaître : « Si je suis élu, je donnerai plus de moyens à la police, je construirai de nouvelles prisons, je donnerai un salaire aux mères au foyer. » Autant de mesures qui coûtent cher ; pourtant, le même démagogue promet de réduire les impôts. « Si je suis élu, je fermerai les frontières aux marchandises étrangères qui concurrencent la production nationale. » Cela voudrait dire que les autres pays pourraient en faire autant ; mais si notre patrie exporte plus qu'elle n'importe ? Les démagogues refusent de reconnaître ce principe fondamental de l'action politique selon lequel chaque acquis a un prix ; ils sont prêts à promettre en même temps plus de sécurité pour tous et plus de liberté pour tous, ne voulant pas admettre que renforcer l'une risque de compromettre l'autre.

La démagogie, le nom même nous le suggère, est aussi ancienne que la démocratie ; mais  elle a reçu une formidable impulsion à l'époque moderne grâce aux communications de masse et en particulier à la télévision. Le journal imprimé s'adresse, lui aussi, à tous, mais on peut au moins s'arrêter, relire l'article, réfléchir. Le journal télévisé passe vite, il favorise les phrases courtes et claires, les images frappantes et faciles à retenir : nos contemporains ont, paraît-il, du mal à se concentrer pendant plus d'une minute... Sur ce plan, la contamination est générale : quel que soit le message politique que l'on veut transmettre, de gauche, de droite ou du centre, il n'a de chances d'être retenu que si l'on a su le réduire à un slogan mémorable.

La forme de la communication décide de son contenu : la télévision elle-même est populiste, ceux qu'on y voit parler tendent à le devenir. Mais cette tendance est particulièrement accusée chez les orateurs extrémistes. « Trois millions de chômeurs, trois millions d'immigrés » : le démagogue n'a point besoin de formuler la conclusion, il peut compter pour cela sur les spectateurs - même si en réalité l'expulsion des immigrés ne mettrait nullement fin au chômage. La télévision favorise aussi la séduction au détriment de l'argumentation ; le démagogue est avantagé s'il a un physique avenant ou rassurant, s'il a une belle diction, s'il sait émouvoir ou faire rire. Sans personnalité charismatique, le populisme s'essouffle vite.

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Extraits deLes ennemis intimes de la démocratie, Robert Laffont (19 janvier 2012)

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