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Pourquoi Sarkozy pourrait bénéficier de l'échec de Béziers sur le rapprochement des droites
©Reuters

Alliance ratée

Du 27 au 29 mai, la ville de Béziers accueillait le séminaire voulu par son maire, Robert Ménard. L'idée générale était de réunir la droite "hors-les-murs", qui ne se retrouve ni dans le FN, ni chez les Républicains. Mais les trop grosses dissensions entre différents courants n'ont pas permis de rassemblement digne de ce nom.

Yves Roucaute

Yves Roucaute

Yves Roucaute est philosophe, épistémologue et logicien. Professeur des universités, agrégé de philosophie et de sciences politiques, docteur d’État en science politique, docteur en philosophie (épistémologie), conférencier pour de grands groupes sur les nouvelles technologies et les relations internationales, il a été conseiller dans 4 cabinets ministériels, Président du conseil scientifique l’Institut National des Hautes Etudes et de Sécurité, Directeur national de France Télévision et journaliste. 

Il combat pour les droits de l’Homme. Emprisonné à Cuba pour son soutien aux opposants, engagé auprès du Commandant Massoud, seul intellectuel au monde invité avec Alain Madelin à Kaboul par l’Alliance du Nord pour fêter la victoire contre les Talibans, condamné par le Vietnam pour sa défense des bonzes.

Auteur de nombreux ouvrages dont « Le Bel Avenir de l’Humanité » (Calmann-Lévy),  « Éloge du monde de vie à la française » (Contemporary Bookstore), « La Puissance de la Liberté« (PUF),  « La Puissance d’Humanité » (de Guilbert), « La République contre la démocratie » (Plon), les Démagogues (Plon).

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Atlantico : Le weekend passé (27-29 mai) a vu s'organiser le séminaire de Béziers, présidé par Robert Ménard. Visant à l'union des droites, il a néanmoins vu le FN claquer sa porte. Dans quelle mesure peut-on parler d'échec ? A qui profite-t-il ?

Yves Roucaute : Dès son origine, ce projet faisait face à une impossibilité logique. L'union des droites est une grande illusion, ne serait-ce que parce qu'elle sous-entend aussi une entente des droites traditionnelles et classiques… lesquelles rassemblent l'ensemble des courants centristes, des mouvances qui gravitent tout autour ; des Républicains et de leurs propres satellites. Sans compter les myriades d'organisations qui se trouvent entre cette droite traditionnelle et le FN. De facto ; une union de tous ces mouvements est illogique et vouée à l'échec. Il ne s'agit pas d'une déclaration en l'air, mais bien de raisons profondes, issues de toute la diversité que ces mouvements peuvent offrir sur le plan idéologique : qu'il s'agisse des questions relatives à l'Europe, à l'économie, à l'identité, à l'avenir du pays, sa place dans le monde (ou en Afrique, par exemple), aux aspects sociaux et sociétaux de notre nation, il subsiste des divergences fondamentales. Il est sot de penser que l'on peut allier l'eau et le feu. C'est proprement impossible.

C'est pourquoi je ne suis pas surpris par l'échec du séminaire de Béziers. Il était prévisible. Oh certes, il a probablement permis à Robert Ménard de se faire connaître, à la droite "hors-les-murs" de s'exprimer. C'est là quelque chose de positif, mais force est de constater les limites du processus qu'on voit vite arriver. L'un des problèmes fondamentaux du séminaire de Béziers est d'avoir voulu rassembler des gens qui sont déjà organisés, structurés, différemment les uns des autres. Souvent les uns dans l'opposition aux autres, en outre. Vouloir faire l'union d'organisations qui ont toutes des visées stratégiques et différentes n'est pas possible. Il y a plein d'exemples possible ; de l'identité nationale en passant par l'écologie, mais arrêtons-nous simplement sur la loi El Khomri : la vraie question de fond est simple. Faut-il libéraliser le pays plus qu'il ne l'est aujourd'hui ou non ? Pourtant, sur ce seul point, l'union n'est déjà pas possible. De nombreuses visions s'opposent d'ores et déjà.

La grande erreur aura été de croire que les questions et les problèmes se règlent de manière formelle ; en se réunissant. Ce n'est pas le cas : c'est uniquement au travers de la volonté des uns et des autres de coopérer ensemble que l'on peut avancer. Je sais que le maire de Béziers a essayé d'avancer 50 propositions ; dans le cadre de ce séminaire. C'est mettre la charrette avant les bœufs : il n'est tout simplement pas possible d'agir ainsi. Quand le Parti socialiste avait organisé sa grande rencontre lors du Congrès d'Epinay en 1971, sous François Mitterrand, il y avait une volonté collective à l'origine. Celle d'aller vers une organisation commune. Ce n'est pas le cas ici… Le PS n'a pu réaliser ce qu'il a réalisé qu'en raison de l'existence points d'ancrages communs, de références identiques, d'une histoire collective. C'est ce qui a permis de croire que cela pourrait se faire, en dépit de sensibilités parfois un peu différentes. Lors du séminaire de Béziers, c'était loin d'être le cas. Il n'y a pas, entre tous ces mouvements, d'histoire commune, de références partagées, pas même de base idéologico-culturelle collective. Il m'apparait clair que l'avenir de la droite ne passe pas par ce biais-là. Dans ce genre de situation, il est bien sûr possible de discuter, de débattre et de réflechir, mais le manque de socle commun empêche toute action de taille. Le désaccord fondamental ne permet pas de rassemblement.

C'est pourquoi cette situation d'échec profite naturellement aux Républicains et dans une moindre mesure au FN. En effet, ces deux constructions partisanes démontrent à cette occasion que les machines politiques sont indispensables pour avancer. Quelles sont les seules à être assez fortes (et il n'est pas ici question de pertinence) pour le faire. En cela, Nicolas Sarkozy (et avec lui les Républicains) bénéficient le plus de cet échec. Après tout, l'échec de Béziers souligne indubitablement  l'absence de candidat alternatif au FN à droite, en dehors des Républicains. Dans les faits, le marché politique à droite est largement saturé, à l'inverse du marché politique centriste. Il n'y a pas de place à droite pour une nouvelle offre électorale, quand on sait combien est forte l'offre actuelle, aussi bien au FN que chez les Républicains. Nicolas Sarkozy occupe très clairement le terrain sécuritaire, ainsi que sur d'autres questions, ce qui est également vrai pour les autres acteurs déjà évoqués. Entre les blocs FN et LR, ces groupes sont complètement écrasés. Le seul marché (de droite) où on trouve encore de la place, c'est celui du centre et la question du nombre de candidature est encore toute ouverte. En revanche, clairement à droite, il n'y a plus d'espace à occuper. Sur les questions internationales, économiques, sécuritaire, Nicolas Sarkozy et les Républicains occupent le terrain. Quand ils ne le font pas, c'est le Front National qui le fait.  C'est pour cela que Les Républicains sont les premiers à profiter de l'échec de Béziers : cela inscrit dans le marbre que l'alternative à droite, c'est encore eux qui l'incarnent. Or, Nicolas Sarkozy, dans le rapport de droite, est celui vers qui vont naturellement les électeurs qui cherchent encore à transformer le pays (ce qui fait l'une de ses grosses différences avec Alain Juppé), quand bien même c'est également vrai pour François Fillon.

Or, Béziers qu'est-ce que c'est ? Un ensemble de groupes différents, déçus et dans la nature depuis qu'ils réalisent qu'il n'y aura pas d'alternative. Cet ensemble ne s'exprimera pas au travers d'Alain Juppé, qui incarne tout ce qu'ils reprochent à la droite : une approche "nationale-socialiste" qui correspondrait au chiraquisme. Cet ensemble viendra renforcer tantôt le Front national, tantôt Nicolas Sarkozy et les Républicains. En un sens, c'est la victoire de l'ancien président de la République et la défaite du maire de Béziers, qui espérait jouer le rôle de rassembleur et de chef de file de cette droite "hors-les-murs". Je suppose qu'en l'absence de personnalité émergeant de Béziers (quand bien même le séminaire a été très stimulant intellectuellement), il reprendra un jeu plus proche du Front national.

Que traduit concrètement le séminaire de Béziers ? Faut-il y lire une demande d'une droite dure, mais pas autant que le FN ? Quel peut-être l'impact, électoralement de cette demande, quand on sait qu'en dépit de continuités idéologiques sur certains aspects, FN et LR sont ennemis comme jamais ?

Nous sommes aujourd'hui dans une situation où une grande partie de cette droite "hors-les-murs" est laissée pour compte. Ils ne se reconnaissent pas chez Les Républicains, ni au Front National. Ces gens sont extrêmement échaudés, quand il question de la droite, depuis les mandats de Jacques Chirac, voire depuis plus longtemps. Cette fraction de la droite espère ; mais n'a plus confiance. Je crois qu'ils seraient prêts à suivre les Républicains, potentiellement, mais qu'ils ne croient plus assez en eux. Très clairement, ces gens sont motivés par une énorme défiance, qui fait aussi leur caractéristique ; quand bien même il me semble que beaucoup d'eux pourraient être prêts à faire des compromis s'ils n'avaient pas le sentiment qu'ensuite, le candidat élu ferait mentir ses engagements.

Savoir si Les Républicains parviendront ou non à intégrer cet électorat dans leurs débats est une question encore ouverte et primordiale. C'est, à mon sens, la clef du succès de la possible victoire d'un des candidats à la primaire… mais aussi du candidat de droite à la présidentielle de 2017. L'élection est encore loin d'être jouée.

Dans le cadre d'un affrontement Front National contre Les Républicains, ces derniers sont sûrs de l'emporter. Il est clair que si l'objectif de cette droite "hors-les-murs" consistait à faire le pont entre le FN et la droite républicaine, c'est un échec. Pour autant, il faut être conscient que voir le FN comme l'ennemi des Républicains est une erreur d'analyse, en cela que tous les candidats LR rêvent de se retrouver face à Marine Le Pen au second tour de l'élection présidentielle. C'est gage d'une victoire assurée. Le fait est que cela s'organise comme aux Etats-Unis : il s'agit d'une élection à deux tours. Il faut d'abord l'emporter en interne, au sein des Républicains (et je crois effectivement que la victoire viendra de la droite) puis, ensuite, vaincre le candidat socialiste au premier tour de l'élection présidentielle. C'est également l'objectif du FN, qui cherche à arriver au second tour de l'élection présidentielle et qui va mécaniquement surfer sur la vague de gauche contre la loi travail pour y parvenir. L'objectif partagé est celui de faire sortir le PS du jeu politique de la prochaine élection présidentielle en 2017.

Robert Ménard vise à faire peser ses propositions sur les candidats à la primaire de droite, et les soumettre à un test pour savoir qui est de droite ou non. Quelles sont les éventuelles chances de succès d'une telle tentative ? Peut-il s'arroger le droit de dire qui est de droite ou non ?

Il va de soi que le débat des primaires de la droite ne tournera pas autour des différentes propositions du maire de Béziers. Tout intéressant que puisse être le fait qu'il travaille à des propositions et qu'il participe au débat public, il ne pourra pas influencer le débat interne des Républicains. Ce débat intérieur est un débat qui opposera Alain Juppé à Nicolas Sarkozy, à François Fillon et à Bruno Le Maire. Les autres candidats, en cela qu'ils existent également, auront aussi un certain poids dans cette confrontation intellectuelle mais ce ne sera naturellement pas le cas de Robert Ménard. Les électeurs n'iront pas voter pour Nicolas Sarkozy (ou n'importe quel autre candidat) en ayant pris le temps d'étudier les propositions de Robert Ménard, puis celle de Nicolas Sarkozy et d'avoir réalisé une étude comparative. C'est le propre de rares personnes seulement, et certainement pas un des éléments qui concerne les électeurs. Personne ne s'interrogera sur la proximité des propositions de tel ou tel autre candidat par rapport à celles issues du séminaire de Béziers. Il n'y aura pas de benchmark politique. Le fait est que les propositions de François Fillon tiennent la route aux yeux de l'électorat de droite. Ce sera vraisemblablement le cas de celles de Nicolas Sarkozy, quand bien même on les attend encore. Alain Juppé devra peut-être rehausser un peu sa droite, mais rien de tout cela ne met Robert Ménard au centre de la question. Malheureusement, ou heureusement, son séminaire a échoué. Il va devoir retourner jouer plus proche du FN, au sein duquel il peut avoir un certain poids (y compris dans les débats internes). Ce n'est simplement pas envisageable dans la droite républicaine. Il n'appartient pas à la même galaxie politique.

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