Moins d’économie(s), plus de sécurité : le plan B d’Angela Merkel et François Hollande en cas de Brexit ne suffira pas à réconcilier les Européens avec l’Union<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Moins d’économie(s), plus de sécurité : le plan B d’Angela Merkel et François Hollande en cas de Brexit ne suffira pas à réconcilier les Européens avec l’Union
©Reuters

Changement de plan

D'après le Financial Times, Angela Merkel et François Hollande prépareraient depuis plusieurs mois l'éventualité d'un Brexit en réfléchissant à une "nouvelle Europe" davantage basée sur la sécurité que sur l'intégration économique.

Alain Wallon

Alain Wallon

Alain Wallon a été chef d'unité à la DG Traduction de la Commission européenne, après avoir créé et dirigé le secteur des drogues synthétiques à l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, agence de l'UE sise à Lisbonne. C'est aussi un ancien journaliste, chef dans les années 1980 du desk Etranger du quotidien Libération. Alain Wallon est diplômé en anthropologie sociale de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, VIème section devenue ultérieurement l'Ehess.

Voir la bio »

Atlantico : A en croire une publication du Financial Times, le couple Angela Merkel - François Hollande se prépare depuis de longs mois au Brexit. Le "plan B" aurait d'ailleurs été décidé et consisterait à renforcer le volet sécuritaire de l'Union européenne, au détriment de l'aspect économique. Un tel projet est-il susceptible de relancer l'Union, en cas de Brexit ? De réconcilier certains peuples européens qui s'en séparaient ?

Alain Wallon : En attendant de voir un plan qui se tienne vraiment, je ne crois pas trop au volet sécurité/défense. Pour ce qui est de la défense, à part la France et le Royaume-Uni qui risque de partir, il n'y a pas grand monde en Europe qui participe à un effort de défense avec une visée collective allant au-delà des intérêts nationaux. En ce qui concerne la sécurité, c'est toujours cette vision obsessionnelle du danger de plus en plus bordé et canalisé de l'afflux de migrants, dont beaucoup sont des réfugiés bénéficiant du droit d'asile. Je ne vois donc pas très bien pour l'instant l'axe qui permettrait de se passer d'un volet économique.

Je pense que c'est une tentation électoraliste : appuyer là où ça fait le moins mal, se mettre du côté d'une majorité (sans doute) d'électeurs en Allemagne et en France qui ont tendance à se focaliser sur cette question de la sécurité pour de bonnes et mauvaises raisons. Les bonnes raisons sont liées au terrorisme, les mauvaises à la mauvaise compréhension de la façon dont on intègre des migrants même dans une période exceptionnelle.

Je pense qu'un certain nombre de pays souhaiteront que la question économique reste au premier plan. Un pays comme la Grèce motive une attention de l'Eurogroupe extrêmement importante depuis des années. La dernière crise a failli emporter les ponts. Des progrès très nets ont été obtenus entre Tsipras, l'Eurogroupe et le FMI, ce qui montre que contrairement à ce que disaient beaucoup d'oiseaux de mauvais augure, il fallait faire confiance à Tsipras. Les choses avancent. Mais est-ce vraiment le moment pour que cette question économique et l'intégration de l'Eurozone soit laissée de côté ? Jusqu'à quand ? Alors que la dette grecque reste très importante, que c'est un processus de réformes extrêmement fragile… On ne peut pas dire que l'économie de la zone euro soit florissante ; les perspectives de croissance restent faibles même s'il y a un petit rebond qui se dessine. Le noyau dur de l'Europe s'est construit non pas sur les questions de sécurité et de défense, mais sur une coopération économique renforcée.

Cette approche est donc contradictoire entre les besoins de l'Europe et la volonté d'afficher des projets qui ne fâchent pas les pays qui ne veulent pas plus d'intégration économique et financière et qui fassent plaisir aux pays qui tremblent ou se servent de la peur des migrations comme un argument électoral permanent. Nous avons frôlé l'arrivée au pouvoir d'un parti d'extrême-droite en Autriche, et nombre de pays ont des forces politiques attirées par les sirènes du nationalisme (Aube Dorée en Grèce, partis d'extrême-droite et au pouvoir en Hongrie, alliances en Slovaquie, etc.).

Dans sa position actuelle, la France aurait intérêt à trouver avec l'Allemagne un plan de relance de l'Europe qui ne passe pas par des questions purement sécuritaires, mais qui réponde aussi aux besoins économiques des populations (chômage, angoisse vis-à-vis du futur et de la mondialisation). Nous avons en Europe une crise de confiance des populations par rapport au modèle européen, qui est un modèle de réussite, de savoir-faire économique, de bien-être, de paix, mais sans avoir de défense intégrée (ce projet ayant été recalé par la France elle-même il y a plus de 50 ans).

Ce plan ne réussira très probablement pas à relancer l'Union européenne. Quant à réconcilier les peuples avec l'Europe, ce n'est sans doute pas la meilleure façon de procéder…

En préparant un tel plan, le couple franco-allemand ne valide-t-il pas l'idée d'un Brexit ? S'agit-il d'un mauvais cadeau d'adieu fait à David Cameron, lui laissant croire qu'une nouvelle Europe puisse naître du départ britannique ?

Je pense qu'une réponse commune à un Brexit est absolument indispensable. A peu de choses près, David Cameron a eu ce qu'il demandait de la part des pays européens sur les conditions du maintien du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne. Maintenant, la question est de savoir comment faire en sorte que l'irréversibilité de l'Union européenne soit mise clairement sur le tapis aux yeux des citoyens, auxquels il faut expliquer que nous sommes dans un processus irréversible pour telle ou telle raison.

Dans la situation mondiale actuelle, avec les énormes puissances économiques comme les Etats-Unis, la Chine, les pays émergents même s'ils ont des difficultés, aucun pays européen séparé des autres n'a la moindre chance de peser d'un milligramme. L'union économique et politique, ou en tout cas la continuation de la coopération telle qu'elle a été mise en place par l'Europe, est indispensable à la survie économique et donc sociale des Européens.

On distingue semble-t-il deux options.

L'option allemande est de dire que le mieux est de ne pas faire trop de vagues et de laisser les marchés montrer la nuisance d'un Brexit (ce que font effectivement une partie des marchés financiers, même à la City de Londres). Vouloir laisser aux marchés le soin de faire cette démonstration-là paraît extrêmement naïf et léger. Comment les citoyens européens pourraient retrouver un peu de confiance dans leurs dirigeants si ces derniers leur demandent simplement de regarder ce que disent les marchés. Je ne sais pas si cette vision est véritablement défendue par tout le monde à Berlin, mais elle me paraît très minimaliste, craintive et certainement très peu politique.

L'argumentaire développé par les dirigeants français est différent : ils insistent au contraire sur le fait qu'il faille absolument doubler la mise, montrer à quel point un Brexit aurait des conséquences politiques et monétaires très dures pour l'ensemble des Européens et pas seulement les Britanniques.

Si ces deux options ne se complètent pas d'une façon ou d'une autre, je ne vois pas très bien comment, en plus, on peut proposer un plan qui pourrait convaincre les autres pays européens et leurs citoyens en cas de Brexit.

Pour autant, un tel plan n'est-il pas nécessaire néanmoins ? Jusqu'où l'Europe telle que construite aujourd'hui manque-t-elle sur le plan sécuritaire ?

En matière de sécurité, nous sommes bien sûr loin du compte. L'Europe peut très bien se construire non seulement économiquement, mais aussi sur l'aspect sécuritaire. Elle ne doit pas abandonner la question de l'intégration économique, du fonctionnement de l'Eurogroupe et de l'économie générale de la zone euro au profit de la question sécuritaire sur laquelle elle n'a rien fait ou presque jusqu'à présent. Mais bien sûr qu'il y a des choses à faire au niveau de la sécurité. Les critiques ont été nombreuses, les propositions aussi. J'insiste sur ce point-là car j'ai bien connu le fonctionnement d'Europol, mais il y a des embryons de coopérations policières, douanières et judiciaires qui permettaient d'aller beaucoup plus loin dans la coordination entre les services de renseignement.

Or, on constate que s'il n'y a pas d'impulsion politique très forte pour aller dans ce sens, chaque police, chaque gendarmerie, chaque service de douane campe sur ses positions, ne lâche que des bribes d'informations, etc. Cette forme de négoce souterrain ne mène pas très loin, alors qu'avec une volonté politique il est tout à fait possible de contraindre les services à travailler ensemble.

En matière de défense, il pourrait y avoir là aussi un projet qui soit poussé en avant par l'Allemagne, la France, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, le Belgique, etc., et qui aille dans le sens d'une défense européenne qui aille plus loin que la situation actuelle (même en l'absence du Royaume-Uni, force essentielle de défense). Tout cela existe sur le papier depuis des années parmi les experts, les militaires eux-mêmes, etc. Je le répète : c'est une question de volonté politique et de clairvoyance sur le moyen de réunir à nouveau les Européens autour d'un projet commun.

Quels sont les autres chantiers à explorer ?

Au-delà de l'économie, il y a la dimension sociale. On voit aujourd'hui des pays comme la France qui sont empêtrés dans une espèce de bras de fer à l'issue incertaine. Quand on voit un syndicat prendre la presse en otage pour publier une tribune libre de son dirigeant, on croit revenir à la période sombre du stalinisme. De l'autre côté, le gouvernement semble paralysé et incapable de trouver une bonne porte de sortie alors qu'elle existe certainement.

Des pays comme le Portugal, la Grèce, l'Italie, l'Espagne, commencent à émerger de la crise de 2008 et des grandes difficultés qu'ils ont connues avec les plans de redressement. Est-ce que ce n'est pas le moment de renforcer la coordination économique au sein de l'Union, plutôt que de la geler ? La dimension sociale, avec la question du chômage (notamment chez les jeunes), est certainement un point central qui permettrait de redonner confiance à la jeunesse envers son futur, qui pourrait être européen. Il ne faut pas oublier qu'Erasmus a été le seul succès européen pour les jeunes depuis 20 ans.

L'Autriche a failli basculer dans le giron des anti-Européens. Quelle peut-être la réponse à un tel événement ? Peut-on vraiment compter sur plus d'Europe dans une telle situation ? Quelle serait la meilleure réponse à apporter à l'euroscepticisme des populations ?

Les Autrichiens ont répondu par eux-mêmes. Ils se sont tournés vers un candidat écologiste, nous verrons bien ce qu'il fera. Il promet en tout cas d'être européen, donc on peut noter un sursaut européen au sein de l'Autriche, pays dont on connaît la tendance au repli sur lui-même, sur son passé et ses cicatrices toujours pas guéries de l'Anschluss hitlérien. C'est un pays qui a des difficultés mais qui est un pays riche avec des potentialités intellectuelles, en termes de recherche scientifique, économique et culturelle, énormes malgré sa taille relativement modeste.

Je crois donc que la réponse des électeurs autrichiens (ou en tout cas d'un peu plus de la moitié d'entre eux) montre que c'est possible. De quelle façon ? C'est une autre histoire… Cela impliquerait d'être capable de démontrer une volonté de reconstruire, dans l'Europe telle qu'elle existe, des choses qui manquent. Et elles sont nombreuses. S'il n'y a pas de solidarité envers les plus démunis, envers les jeunes qui sont menacés d'un chômage qui dure parfois des années et des années malgré des diplômes très élevés, si l'on n'arrive pas à trouver des solutions pour une intégration des migrants humaine et acceptable pour les populations déjà sur place, on se retrouvera à nouveau dans une situation critique et une situation de division qui peut mener l'Europe au bord de l'éclatement.

Cet enjeu est considérable et doit être pris en compte par les dirigeants de l'Europe, et ceux qui ne voudraient pas aller sur ce chemin ont toujours la possibilité de négocier, comme ce sera peut-être le cas du Royaume-Uni, modus vivendi avec ceux qui, eux, veulent aller de l'avant.

Les instruments juridiques (coopérations renforcées) existent sans même changer les traités. Et si l'on veut changer les traités, cela demande tout un travail, et certainement pas en passant par des référendums où l'on demande de répondre par oui ou par non à des questions d'une telle complexité.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !