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Comment la folle hausse des marchés financiers depuis les années 1980 a conduit à la progression des inégalités
©Reuters

Pas un mythe

Depuis le début des années 1980, les politiques publiques qui ont permis l'explosion à la hausse des marchés financiers sont également à l'origine de la progression des inégalités de patrimoine.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Selon une note réalisée par les équipes de recherche de la Fed de Saint Louis, le phénomène de croissance des inégalités en place depuis les années 1970 serait lié à la hausse constatée des marchés financiers sur la même période. Ceci selon un raisonnement simple : aux Etats-Unis, moins de 20% des ménages détiennent directement des actions, ils sont donc en meilleure position pour pouvoir capter les fruits des gains en capitaux, et autres dividendes, délivrés par les marchés financiers. Ainsi, le résultat coule de source, la corrélation entre flambée boursière (par le biais du SP500, principal indice boursier américain) et hausse des inégalités (par le biais de l'indice de Gini mesurant les écarts de richesses) est réelle, et celle-ci est représentée graphiquement ci-dessous :

En partant de ce constat, la question est double. Ce phénomène a-t-il eu lieu en France, et surtout pourquoi, ou plutôt comment cette "chose" a-t-elle pu se produire avec une telle ampleur ?

Concernant les inégalités de patrimoine en France, le constat n'est pas très différent de celui des Etats-Unis. La dernière enquête de l'INSEE, datant de 2010, relative à cette question démontre que 1% de la population détient 17% du patrimoine total, les 5% en détiennent 35%, et les 10% les plus riches se partagent 47% de l'ensemble. Mais le patrimoine total comprend également l'immobilier, il s'agit donc de compartimenter. Or, selon un rapport publié par les équipes de la Banque centrale européenne publié en ce mois de mai 2016, la part de patrimoine financier détenu par les 1% les plus riches, en France, serait sous-évaluée, et atteindrait un chiffre compris entre 21 et 29% du total.

Ce qui vient conforter l'étude de l'INSEE qui pointait les fortes inégalités françaises en matière de patrimoine financier. Si les 10% les plus "pauvres" détiennent environ 500 euros, les plus riches détiennent 103 800 euros, soit un rapport supérieur à 1 pour 200.

Bref, ce n'est pas une surprise fondamentale, les actifs financiers sont inégalement répartis. Il est donc plutôt logique de considérer que la hausse des marchés financiers profite avant tout aux plus riches plutôt qu'aux plus pauvres. Super évident.

Maintenant qu'il est établi que ce sont les plus riches qui détiennent la plus grande part des actifs boursiers, il reste à identifier les causes de la hausse exponentielle des marchés financiers depuis les années 1980.

Le premier facteur est la baisse de l'inflation. Alors que les pouvoirs publics étaient totalement désemparés depuis les années 1970 pour résoudre le problème d'une inflation à deux chiffres, le tournant de la rigueur de 1983 a définitivement réglé le problème en appliquant une politique monétaire stricte. L'aléa d'une inflation imprévisible et galopante venait de disparaître et les capitaux étaient alors invités à rejoindre des marchés financiers promis à une plus grande stabilité. Ce qui a conduit à la fulgurante ascension boursière des années 1980. Ce sont les "années fric", où les traders, Wall Street et Gordon Gekko deviennent des stars. Le mouvement de libéralisation des capitaux, symbolisé par l'Acte unique européen, viendra également alimenter la place financière parisienne.

Mais un autre facteur, moins "glamour", va également entrer en ligne de comptes. Car la mise en place d'une politique monétaire stricte a un coût, puisqu'il s'agit notamment de lutter contre la source principale de la hausse des prix, c’est-à-dire la hausse des salaires. Et pour cela, il existe une méthode radicale : le chômage.

La politique de désinflation va alors consister à écraser la croissance de la demande (qui est la somme de l'inflation et de la croissance). Si en 1982, cette croissance de la demande atteint 14,91% (ce qui est excessif), en 1995, celle-ci n'est plus que de 3,26%, soit une baisse de 75% en 13 ans. Les résultats sur la hausse du chômage ne sont donc pas surprenants :

Et voilà le travail. Et les variations du taux de chômage français s'expliquent facilement. Entre 1975 et 1983, la cause peut se trouver dans une inflation galopante. A partir de 1983, le choc négatif sur la demande issu du tournant de la rigueur prend place et vient se cumuler à une inflation qui va rester forte jusqu'en 1987. Puis, un rythme d'équilibre vertueux se met en place entre 1987 et 1990, avec une croissance de la demande qui va s'établir en moyenne à 6% en termes annuels, en adéquation avec le potentiel d’alors du pays. Malheureusement, la politique désinflationniste perdure malgré tout après cette date (alors même qu'elle n'est plus justifiée) et vient écraser la demande à un niveau inférieur au potentiel de l'économie française.

Le bilan est vraiment formidable. En 1994, le chômage dépasse les 10% de la population active. Or, lorsque le chômage est élevé, le pouvoir de négociation des salariés est faible, défavorable. Lorsque les entreprises doivent répartir leurs gains entre la rémunération du capital et la rémunération des salariés, il n'est plus nécessaire de consentir aux mêmes efforts envers les salariés que pendant la période des Trente Glorieuses. Le déséquilibre se met logiquement en place. Et celui-ci peut très bien s'observer en constatant la distribution de la valeur ajoutée au sein de l'économie française depuis le fameux tournant de la rigueur de 1983 :

Progression de la rémunération des salariés (bleu) et de l'excédent brut d'exploitation (Rouge) 1983-2014. Source INSEE

En prenant en compte la totalité de la période comprise entre 1983 et 2014, le différentiel de progression entre revenus du travail et revenus du capital va atteindre 40%. A titre de comparaison, ce différentiel n'atteint que 6% entre 1949 et 1982. Et la boucle est bouclée, parce que l'accroissement de la part des revenus de capitaux dans la valeur ajoutée va attirer de nouveaux investisseurs, qui vont à leur tour alimenter la hausse des marchés financiers. Ainsi, la période de désinflation qui dure depuis 1983 a conduit à une forte hausse des marchés financiers, qui aura profité de façon disproportionnée aux plus riches d'entre nous, et a ainsi conduit à la progression des inégalités. Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler que l’accroissement des inégalités immobilières prend racine dans les mêmes causes, pour produire les mêmes effets.

Pourtant, une telle politique est aujourd'hui totalement absurde. Parce que la désinflation poussée à son extrême a conduit à la situation actuelle, qui se caractérise par une inflation proche de 0, et sa conséquence logique ; une croissance 0. Le gâteau ne grandit plus, et la croissance des revenus s'est arrêtée pour tout le monde. Une politique de relance de la demande, visant à atteindre l'équilibre entre capital et travail, permettrait ainsi de corriger le tir. Et de voir les revenus du travail progresser sur le même rythme que les revenus de capitaux.

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