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Casseurs et violences anti-policiers, braquage à deux pas de l'Elysée et doutes sur la sécurité à Roissy : mais à quoi sert donc le (3ème) prolongement de l'état d'urgence ?
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Un régime pour de belles jambes

L'Assemblée a voté jeudi 19 mai la prolongation de l'état d'urgence pour la troisième fois. Un paradoxe, dans un pays confronté à de nombreuses violences. Un paradoxe qui s'explique par la faible volonté d'utiliser les mesures que l'état d'urgence permet pourtant.

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

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Christian Georges

Christian Georges

Christian Georges travaille au sein des services de police judiciaire à Paris. Soumis au devoir de réserve, il s'exprime sur Atlantico sous pseudonyme.

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : L'Assemblée vient de voter une nouvelle prolongation de l'état d'urgence. Dans un contexte où l'actualité est particulièrement chargée en violences, lors des manifestations contre la loi el Khomri, ou avec un braquage avenue Montaigne à Paris, à deux pas de l'Elysée, qu'est-ce que cela va changer pour vous ?

Christian Georges : Je travaille pour les services de police judiciaire. L'état d'urgence a eu un impact sur notre travail durant la première phase, c'est-à-dire juste après les attentats. Les autres prolongations n'ont rien changé en revanche, car nous ne procédons plus à des perquisitions ou à des interpellations administratives.

Les affaires en lien avec l'état d'urgence sont celles en lien avec l'islamisme radical. Dans le cadre de l'état d'urgence, on aurait pu y associer tous les actes commis pendant ces manifestations d'une grande violence, mais il n'est pas permis d'appréhender en prévention comme nous le permettrait l'état d'urgence, s'agissant 'individus identifiés comme étant des casseurs ou appartenant aux Black-blocs". Nous devons attendre qu'ils aient commis les infractions. Nous sommes loin de la dictature que l'on nous reproche de mettre en place... L'état d'urgence n'est pas une réalité concernant les violences actuelles dont celles issues des manifestations contre la loi El Khomri.

Comment expliquez-vous qu'elle ne serve pas ? Et à quoi l'état d'urgence sert-il alors ?

Christian Georges : Je pense qu'il s'agit avant tout d'affichage. On montre les muscles, et effectivement on nous donne les moyens d'activer ces pouvoirs pour appréhender et interpeller en préventive, ce qui n'est pas négligeable à la veille de l'Euro 2016 ou encore du Tour de France. Mais elle ne semble pas être utilisable contre certains individus d'extrême-gauche qui emploient pourtant une très grande violence contre la société et contre les forces de l'ordre. J'en déduis qu'il est extrêmement difficile de faire appliquer certaines mesures permises par l'état d'urgence en France. Ce qu'il manque réellement, selon moi, c'est la volonté politique.

Alain Chouet : Ce n’est pas une surprise. Cette prolongation était attendue et pratiquement annoncée depuis plusieurs mois pour faire face aux menaces potentielles susceptibles de peser sur les grands rassemblements qui accompagneront les compétitions de foot-ball du mois de juin. C’est un contexte hautement symbolique, largement couvert par les médias du monde entier et qui pourrait être propice à la préparation d’actes terroristes. En perte de contrôle sur le terrain, l’Etat Islamique cherche par tous les moyens à mobiliser ses partisans en Europe et particulièrement en France pour mener des actions spectaculaires susceptibles de renforcer son prestige déclinant.

Dans de telles conditions, le maintien de l’état d’urgence jusqu’à la fin des grandes compétitions sportives – disposition qui permet aux services de police et de sécurité d’agir préventivement et plus rapidement qu’en temps ordinaire – trouve toute sa justification

Les perquisitions administratives et les assignations à résidence ont fortement baissé après le mois de janvier. A quoi sert-il concrètement aujourd'hui, alors que les violences semblent plutôt être en marge des manifestations contre la loi el Khomri ? Cette prolongation peut-elle vraiment servir au gouvernement pour prouver qu'il agit en faveur de la sécurité des citoyens et du territoire ?

Alain Chouet : Les perquisitions administratives menées et les assignations à résidence prononcées après les attentats de novembre ont porté leurs fruits et ont permis des arrestations et des saisies de matériel dangereux conséquentes. Le fait qu’elles puissent être déclenchées à tout moment sans procédure judiciaire préalable fait peser sur les éventuels candidats à des actions violentes une "loi permanente des suspects" qui peut décourager certains passages à l’acte. Si la violence des "casseurs" qui agissent en marge des revendications sociales est tout à fait inacceptable et doit être réprimée avec toutes les ressources de la loi, elle relève de l’état ordinaire du droit. Elle est sans commune mesure avec les dévastations potentielles de la violence terroriste qui reste une menace permanente importante et complexe pour laquelle l’état d’urgence fournit aux services de sécurité des outils de prévention et de répression utiles.

Quels bénéfices le gouvernement espère-t-il en tirer ?

Vincent Tournier : Toute la difficulté est que très peu de gens peuvent prétendre connaître tous les éléments du dossier. Quel est le véritable état de la menace ? Quels sont les risques d’attentats ? Le gouvernement exploite-t-il la peur des attentats pour son propre compte, notamment pour empêcher les contestations contre sa politique ? Très franchement, cette hypothèse est peu crédible. L’état d’urgence n’a eu aucun impact sur sa popularité : quel intérêt aurait-il à maintenir un dispositif inefficace ? En outre, les manifestations continuent et les casseurs s’en donnent à cœur joie. A la limite, on pourrait plutôt soutenir l’hypothèse inverse : le gouvernement a tellement peur d’être accusé d’instrumentaliser l’état d’urgence qu’il est encore plus laxiste, refusant même de mettre en œuvre les moyens qui sont pourtant à sa disposition.

Reste la question de fond : le gouvernement exagère-t-il les menaces ? Fait-il une sorte d’excès de zèle sécuritaire ? Il est vrai que, si on regarde les statistiques fournies par le gouvernement lui-même, les mesures qui sont prises dans le cadre de l’état d’urgence sont en nette diminution, par exemple les perquisitions, les saisies d’armes ou encore les assignations à résidence.Mais le ministre de l’Intérieur précise qu’il ne faut pas s’arrêter à une vision strictement statistique, et il n’a pas forcément tort. En toute logique, c’est dans les premières semaines que les policiers ont visité les endroits les plus sensibles, mis sous surveillance les individus les plus dangereux. Désormais, la traque et la surveillance deviennent plus complexes et les groupes terroristes prennent plus de précautions. De là à dire qu’il faut revenir à un état de droit classique serait prendre un risque considérable, surtout à l’approche des grands événements comme l’Euro ou le Tour de France. Le témoignage récent de Patrick Calvar, le responsable de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI),qui a été auditionné par l’Assemblée nationale le 10 mai dernier, confirme que le problème est loin d’être derrière nous. L’arrestation de RedaKriket le 24 mars dernier à Argenteuil a de quoi conforter cette inquiétude. Ce franco-algérien de 34 ans, délinquant engagé dans le djihad, a été arrêté en possession d’une grande quantité d’armes et d’explosifs. Manifestement, une attaque de grande ampleur était en préparation, mais le plus inquiétant est que cet individudit avoir agi sur les instructions d’un mystérieux commanditaire qui se trouverait à l’étranger. Il ne serait donc lui-même qu’un sous-fifre, ce qui veut dire que d’autres peuvent prendre sa place.Par ailleurs, le nombre de candidats au djihad a encore augmenté pour atteindre le chiffre de 1900. La dynamique de radicalisation n’est donc pas terminée. La prolongation de l’état d’urgence donne au gouvernement la possibilité d’agir rapidement en cas de découverte d’un nouveau réseau ou d’une nouvelle menace.

De même, l'opération Sentinelle ne peut pas sécuriser l'ensemble du territoire français. Dès lors, n'y a-t-il pas un risque de faire croire aux Français que des mesures censées les protéger ne le sont pas dans la réalité ? Quels sont les risques de prendre des mesures qui sont en partie des mesures d'affichage dans ce contexte ?

Vincent Tournier : L’opération Sentinelle fait partie des réponses qui ont été mises en place après les attaques de janvier 2015. Elle mobilise 10.000 soldats, dont 6.000 en Ile-de-France, afin de sécuriser les lieux publics ou sensibles.Il faut rappeler que, avant janvier 2015, seulement 1.500 soldats étaient dans la rue. Ce n’est donc pas une simple mesure d’affichage, d’autant que d’autres mesures sont prises, comme les exercices opérationnels en prévision d’attaques de grande ampleur ou l’instauration de plans d’intervention rapide, qui ont été annoncés par le ministère de l’Intérieur.

Tout ceci est-il suffisant pour sécuriser les installations et les personnes ? La réponse est évidemment non. Les possibilités de commettre des attaquesen France sont trop nombreuses, et puis les terroristes ne sont pas idiots, ils savent s’adapter en fonction des contraintes. De plus, la présence des forces de l’ordre crée un autre phénomène tout aussi inquiétant : l’existence de ce que l’on pourrait appeler un micro-terrorisme, qui se traduit par des attaques de faible ampleur contre des militaires dans la rue, que ceux-ci soient en uniformes ou en civil. La plupart du temps, ces attaques ne sont pas mentionnées par la presse nationale, mais elles sont préoccupantes car elles montrent que l’envie d’en découdre ne s’arrête pas à quelques activistes professionnels. 

Mais le vrai problème est ailleurs. Au-delà des questions sécuritaires, le problème est que, pour l’instant, la société française ne semble pas prendre collectivement conscience des défis qui l’attendent. Il existe même une sorte de déni collectif. La rapidité avec laquelle ont été oubliés les attentats est tout de même préoccupante. On aurait pu s’attendre à ce que ces événements fassent l’objet d’une réflexion collective bien plus approfondie. Les grands médias paraissent s’en désintéresser. Pourquoi, par exemple, les grandes chaînes de télévision n’ont-elles pas organisé une soirée thématique à l’occasion des 6 mois des attaques du 13-Novembre ? Il y a pourtant matière à débat : où en est l’enquête ? que sait-on des auteurs et de leurs réseaux ? Quelles sont les menaces ? Comment le gouvernement y répond ? Qui est notre ennemi ? Qu’est-ce que l’islamisme radical et comment le combat-on ?

Un autre signe inquiétant est la façon dont sont traités les victimes et leurs proches, lesquels se plaignent de ne pas être indemnisés rapidement, voire de devoir payer les impôts des personnes décédées, ce qui est révélateur d’une forme de cécité volontaire, comme si tout était fait pour écarter une réalité dérangeante. Le prochain attentat changera peut-être les choses, mais ce n’est pas certain car la capacité de résilience se renforce avec le temps, les grilles de lecture idéologique étant maintenant bien rodées. Or, cette relative indifférence risque d’avoir des effets en retour. Lors de son audition du 10 mai, Patrick Calvar disait qu’un autre risque est que des groupes d’extrême-droite prennent l’initiative de passer à l’action, notamment en cas de nouveaux attentats. L’absence d’une réponse politique ferme face à la crise actuelle, doublée du sentiment que les casseurs font la loi dans la rue, crée un contexte malsain et dangereux.

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