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Marre de jouer les patrons de l’Europe : comment la grosse fatigue de l’Allemagne pourrait sérieusement déstabiliser l’UE
©Pixabay

Plus grave qu’un Brexit ?

Référendum en Grande-Bretagne sur une sortie de l'UE, crise de l'eurozone, croissance anémique... Contraints d'endosser le rôle de leader de l'Europe, les dirigeants allemands sont fatigués par ces crises incessantes. La lassitude grandissante de cet hégémon réticent pourrait impliquer bien plus de problèmes pour l'UE que le Brexit.

Guillaume Duval

Guillaume Duval

Guillaume Duval est rédacteur en chef du mensuel Alternatives économiques, auteur de La France ne sera plus jamais une grande puissance ? Tant mieux ! aux éditions La Découverte (2015) et de Made in Germanyle modèle allemand au-delà des mythes aux éditions du Seuil et de Marre de cette Europe-là ? Moi aussi... Conversations avec Régis Meyrand, Éditions Textuel, 2015.

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Atlantico : Alors que l'Allemagne semble avoir pris le rôle d'un leader naturel au sein de l'Union européenne, notamment en raison de l'affaiblissement du couple franco-allemand, des échéances cruciales pour l'avenir de l'Union auront prochainement lieu (référendum sur le Brexit, référendum constitutionnel en Italie). Quelles conséquences pourraient avoir des résultats contraires aux attentes bruxelloises et allemandes sur le rôle et le statut de l'Allemagne au sein de l'Union ? L'Allemagne pourrait-elle faire preuve de lassitude par rapport à ce rôle de "leader" ?

Guillaume Duval : Le Brexit ne me semble pas être aujourd'hui l'hypothèse la plus réaliste. Quant au référendum constitutionnel en Italie, il me paraît peu probable qu'il échoue. 

Toutefois, dans l'hypothèse de résultats défavorables aux intérêts bruxellois, il me semble que les conséquences les plus immédiates et les plus fortes se feraient ressentir dans d'autres pays que l'Allemagne. En effet, en cas de Brexit, il y a un réel risque qu'une demande analogue de référendum soit formulée en France, aux Pays-Bas et dans les pays scandinaves.

En ce qui concerne l'Allemagne, il est indéniable qu'un Brexit affecterait les élites allemandes dans la mesure où elles ont pris l'habitude ces dernières années de s'allier franchement avec les Anglais pour imposer une approche libérale du marché intérieur. Par ailleurs, un Brexit serait un signal très fort envoyé à l'extrême droite allemande. Néanmoins, je ne pense pas que cela serait un choc pour l'Allemagne ni que son rôle au sein de l'Union serait remis en question dans l'immédiat. 

L'Allemagne est-elle vraiment, comme l'affirment Boris Johnson et les partisans du Brexit, dominatrice ? L'Allemagne d'Angela Merkel, souhaite-t-elle réellement (et peut-elle) diriger l'Europe ? 

Le principal problème de l'Allemagne, même si elle est de plus en plus dominante, est son incapacité et son absence de volonté à exercer ouvertement et à assumer un leadership. Assurer le leadership consiste à faire des concessions sur ses intérêts purement nationaux pour les intérêts de l'ensemble que l'on dirige, ce que l'Allemagne n'est absolument pas prête à faire. En effet, les dirigeants allemands continuent à penser leur responsabilité vis-à-vis du peuple allemand de manière quasi exclusive, ce qui nuit au fonctionnement de l'Europe. Les crises évoquées plus haut (Brexit, référendum constitutionnel italien) mais aussi la poursuite de la crise grecque, la crise des réfugiés etc. risquent de pousser davantage encore l'opinion publique allemande dans un sens isolationniste et l'amener à vouloir se retirer à son tour de la construction européenne. Bien qu'Angela Merkel ne soit, à mon sens, pas engagée dans une telle dynamique, la tentation existe néanmoins au sein de l'opinion publique allemande et risque de se renforcer précisément parce que l'Allemagne ne se pense pas comme devant être le leader de l'Europe dans son ensemble. 

Obliger l'Allemagne à diriger l'Europe, c’est-à-dire la forcer à prendre des responsabilités politiques qui correspondent à son poids démographique et économique, est un enjeu très important. L'Allemagne a pris ces responsabilités dans la crise des réfugiés comme dans la crise  de la zone euro, mais il est regrettable qu'Angela Merkel ait agi en dernier ressort. Tout se passerait mieux si la chancelière allemande n'agissait pas au dernier moment, lorsqu'elle est au pied du mur. 

Que se reprochent mutuellement l'Allemagne et le reste des états membres de l'Union ? Quels sont les grands dossiers pour lesquels les divergences de vue sont les plus fortes ? En quoi consistent-elles ? Quels changements devraient être adoptés, d'un côté comme de l'autre, pour permettre une véritable résolution des problèmes que rencontre l'Union ? 

Les dossiers de l'Union monétaire et de la gestion économique de la zone euro sont sources de nombreuses divergences. Le fait que la vision allemande se soit imposée a été à l'origine de la crise de la zone euro car cela a empêché d'avoir des éléments pour la résoudre. Certes, des changements très significatifs de l'architecture de la zone euro ont été imposés à l'Allemagne : Union bancaire, intervention de la BCE, mécanisme européen de stabilité (MES) mais cela n'a pas été sans contreparties puisque des concessions supplémentaires en matière d'austérité budgétaire et de rigidité des règles budgétaires ont dû être faites. Ce sont d'ailleurs ces concessions qui expliquent les difficultés actuelles de l'Europe à se redresser. 

Ces désaccords profonds sont ancrés encore aujourd'hui comme l'illustre le cas grec : la volonté allemande de ne pas accepter d'annulation de la dette grecque risque de faire rebondir toute la crise de la zone euro. A cette crise s'ajoutent les crises dans les relations avec le FMI et le réveil des problèmes espagnols et portugais. Ce dossier est donc encore loin d'être réglé. Sans parler du problème de la crise des réfugiés, dossier où la politique d'Angela Merkel a été très opposée à celle du reste de l'Europe et de la France en particulier. La question économique et la question des réfugiés ne sont pas indépendantes : si Angela Merkel avait accepté de desserrer l'étau de la politique budgétaire en Europe, cela aurait énormément facilité la gestion de la crise des réfugiés. Et d'autre part, si l'économie allait mieux dans le reste de la zone euro du fait d'un dynamisme retrouvé, alors le reste de la zone euro aurait accepté plus aisément d'accueillir les réfugiés. Ces deux crises se sont donc renforcées et ont renforcé les antagonismes entre l'Allemagne et le reste de l'Europe. Enfin, l'Allemagne est très opposée à la politique monétaire de la BCE quand celle-ci est plutôt soutenue par le reste de l'Europe.   

Pour résoudre toutes ces crises, il faudrait que l'Allemagne accepte d'avoir une politique budgétaire européenne moins restrictive, qu'elle accepte de s'endetter en commun avec l'Europe, qu'elle accepte d'aborder la question de l'annulation ou de la réduction des dettes des pays surendettés (et il ne s'agit pas uniquement de la Grèce, mais aussi de l'Italie, l'Espagne, le Portugal). Les questions économiques et budgétaires sont centrales. Mais pour régler ces problèmes avec les Allemands, d'autres questions plus politiques doivent être prises en compte, à savoir la démocratisation de la gestion de la zone euro. En effet, l'une des raisons pour lesquelles les Allemands refusent la solidarité et de sortir d'une logique de règle pour gérer la zone euro est liée au fait qu'ils considèrent que le fonctionnement n'est pas assez démocratique pour céder des souverainetés nationales. 

La question de la démocratisation de la zone euro est centrale, contrairement à ce que disent les Français, l'enjeu n'est pas le gouvernement économique de la zone euro mais la création d'un Parlement de la zone euro et l'instauration d'un contrôle démocratique des outils qui ont été mis en place, en particulier le MES. 

Les propositions de Nicolas Sarkozy en faveur de la création d'un ministre de l'Intérieur européen, d'un euro-Schengen et d'un renforcement de l'intégration politique dans ces domaines-là me paraissent plutôt pertinentes. Même si je ne m'inscrirais pas forcément dans une optique aussi fermée de lutte contre l'immigration que lui, il est indéniable que les difficultés à faire face au terrorisme et le problème des réfugiés peuvent amener à des abandons de souveraineté et à des progrès de l'intégration dans ces domaines.  

La France est-elle en situation de rééquilibrer le rapport de force au sein du couple franco-allemand ? Peut-on considérer que l'Allemagne aurait tout intérêt à voir la France "se réveiller" au niveau européen ? Quelles seraient les conditions d'un tel réveil ? 

Une des causes de la crise actuelle et des difficultés de l'Europe à en sortir est liée à l'absence de la France et à l'absence totale de politique européenne de François Hollande en termes de propositions vis-à-vis de l'Allemagne, pas forcément alternatives d'ailleurs, sur le futur et la réorganisation de l'Europe. Cela n'est pas uniquement la responsabilité de François Hollande qui finalement reflète l'état d'esprit des Français dans leur ensemble qui se pensent aujourd'hui comme des mauvais élèves de l'Europe, des gens qui n'ont plus leur mot à dire parce qu'ils se comportent mal. Or, c'est une erreur : la France n'a pas de responsabilité particulière dans la crise de la zone euro. Pour que le projet européen soit sauvé, il est temps que la France sorte de cet état d'amorphie. Pour son intérêt, et pour son futur, la France a plus que jamais besoin d'une Europe qui fonctionne et qui soit intégrée car l'époque de la France grande puissance est révolue. 

L'Allemagne a tout intérêt à voir la France se "réveiller". Dans la mesure où l'Allemagne refuse, pour des raisons historiques, d'exercer seule un leadership en Europe, elle a absolument besoin du couple franco-allemand ou d'un leadership partagé quelconque, pour continuer dans le projet européen. Si les pouvoirs en Europe ne sont pas rééquilibrés, le risque que l'Allemagne sorte à son tour de l'intégration européenne est réel. 

Propos recueillis par Emilia Capitaine

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