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57% des Européens de 16 à 30 ans se sentent marginalisés par la crise : comment l’abandon de sa jeunesse par l’UE pourrait lui être fatale
©Reuters

Jeunes européens abandonnés

Un sondage réalisé par le Parlement européen dresse un constat alarmant : la majorité des jeunes Européens se sentent exclus économiquement et socialement. Cette dépression dont souffre la jeunesse ne sera pas sans conséquences pour l'avenir de l'Union.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : D'après un sondage réalisé par le Parlement européen auprès d'Européens âgés de 16 à 30 ans, une majorité de jeunes estime avoir été marginalisée par la crise économique et sociale (57%). Ce résultat masque des disparités profondes entre les pays du Sud où les scores sont très élevés (93% en Grèce, 86% en Espagne) et les pays baltes ou encore l'Allemagne (qui enregistre le plus faible score : 27%). En quoi cette perception s’avère t elle, ou non, justifiée ? 

Christophe Bouillaud : Cette perception d’une marginalisation et ces disparités énormes correspondent tout à fait aux réalités économiques que vivent les jeunes dans les différents pays. Le taux de chômage des jeunes et plus généralement le taux de croissance de chaque pays semblent se refléter dans ces données. De fait, ce sont partout les nouveaux entrants sur le marché du travail qui ont le plus souffert de la crise depuis 2008. 

Quelles pourraient être les conséquences, tant politiques que pour l'avenir du projet européen, de la dépression dont souffre la jeunesse ? 

Il faut noter que ces données indiquent que le sentiment de marginalisation, s’il est majoritaire en Europe, n’est pas du tout général. Des pays échappent à ce syndrome. Cela veut dire que le vécu de la crise tel qu’il sera conservé dans les mémoires va être très différent selon les pays. Les jeunes Allemands ou Danois garderont plutôt un bon souvenir de ces années 2010, cela ne sera pas le cas pour les jeunes Grecs, Portugais, Espagnols, Français, etc.Cela ne présage  pas du tout de la formation d’une identité européenne commune, bien au contraire, toute la crise constitue une déconstruction de cette dernière, et ce sondage en est encore une illustration. Par ailleurs, plus la situation économique perçue est mauvaise, plus les jeunes sont tentés de s’intéresser à l’offre politique de partis non traditionnels. On voit bien cet effet à l’œuvre dans toute l’Europe du sud. Il y a une rupture des héritages politiques entre générations, et je ne pense pas que les forces politiques traditionnelles qui ont perdu de potentiels jeunes électeurs dans ces années de crise soient jamais capables de les récupérer vraiment. De possibles fidélités sont cassées à tout jamais. Cela va rendre l’électorat très volatil dans ces pays. Enfin, il est probable que ces conditions vécues dans les années de socialisation politique déterminent la perception générale du monde social. On sait que les enfants de la crise de 1929 et de la guerre sont restés attachés toute leur vie à la recherche de la sécurité matérielle, qu’inversement les enfants du boom des années 1950-60  et de la révolution culturelle des années 1960 sont en moyenne des gens plus ouverts sur le monde et moins inquiets de leur sort que le reste de la population. Il est donc probable que les générations socialisées pendant l’actuelle grande crise soient marqués à vie par celle-ci.

Inversement, selon un sondage IFOP consacré à l'idée que les Français se font de leur situation personnelle, les jeunes sont les plus enclins à répondre favorablement (67% des 18-24 ans et 60% des 25-34 ans indiquent que cela va mieux, alors que les plus de 65 ans ne sont que 30%). Comment expliquer ce paradoxe ? 

Il me semble qu’il s’agit là simplement d’un effet d’âge, ne serait-ce que parce que les jeunes sont le plus souvent en très bonne santé et bénéficient d’un optimisme biologique lié à leur âge. En fait, il ne faut pas confondre le jugement qu’une personne donne sur elle-même et celui qu’une personne donne sur la société qui l’entoure. Les jeunes Français peuvent ainsi répondre à 66% dans le sondage du Parlement européen que les jeunes sont marginalisés socialement et économiquement par la crise et en même temps répondre à 62% dans celui de l’IFOP que, pour ce qui les concerne personnellement, "cela va mieux". Dans le sondage IFOP, on remarquera d’ailleurs qu’ils sont beaucoup moins optimistes pour la société française que pour eux-mêmes. Ils sont alors seulement 18% à être optimistes. C’est un grand classique des sondages, bien connu par exemple sur la différence entre la situation économique personnelle et la situation économique du pays. La seconde est en général jugée pire que la première. A dire vrai, seul le jugement des individus sur la situation économique générale a des effets politiques certains. En pratique, cela veut dire que les jeunes Français sont indéniablement selon ces deux sondages très dépités par la condition actuelle de la société française. Ce n’est pas vraiment un scoop. 

De quelle façon le Parlement européen peut il réagir aux résultats de cette enquête ? Tant du côté des institutions européennes que des dirigeants politiques, a-t-on pris la mesure de la situation réelle de la jeunesse ? 

Théoriquement, oui, la jeunesse est censée être une priorité des autorités européennes et nationales, et d’ailleurs le sondage du Parlement européen pose la question de la connaissance par les jeunes de la ‘Youth Guarantee’ (garantie pour la jeunesse) qui est censé être la pierre européenne apportée à l’édifice de l’insertion professionnelles des jeunes. Personnellement, j’aurais tendance à penser que ces politiques sectorielles en direction de la jeunesse ont une efficacité totalement marginale par rapport aux grandes politiques macroéconomiques et structurelles qui déterminent si un pays est frappé ou non par le chômage de masse. Les problèmes de la jeunesse à s’insérer sur le marché du travail, et aussi à y trouver un travail intéressant et stable, ne devraient être qu’un rappel aux dirigeants européens qu’ils ont préféré depuis 2008 sauver les banques et les épargnants sans réfléchir aux conséquences de leurs choix sur le marché du travail. De fait, l’augmentation du chômage, liée aux stratégies de "dévaluation interne" pour rétablir la compétitivité, les balances commerciales et les comptes publics des pays européens en déficit, a été vécue par les élites européennes comme un mal nécessaire pour redresser les économies. Ce sacrifice de la jeunesse de la plupart des pays, dont le nôtre, et cette acceptation du chômage comme une amère potion à prendre sur recommandation de la BCE et de la Commission européenne doivent être radicalement remis en cause, ou alors il faut s’attendre à une perte de légitimité encore plus profonde de l’Union européenne dans certains pays membres. Quand les jeunes auront compris qu’ils ont eu leur jeunesse gâchée pour rétablir des comptes, ils ne le pardonneront guère à ceux qui auront été à la source de ces décisions. Il suffit pour s’en convaincre de voir le score électoral minable fait auprès des jeunes Italiens par un Mario Monti lors des élections politiques de février 2013

Propos recueillis par Emilia Capitaine

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