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SOS droite en état de marche : comment le quinquennat où il n'y avait pas eu d'opposition a transformé les socialistes en leurs propres (et pires) ennemis
©Reuters

Perdant-perdant

Présidence du parti, primaire... Durant plus de quatre ans, nombreux auront été les dossiers ayant suscité des tensions internes à droite. Une situation qui a empêché Les Républicains de jouer leur rôle d'opposition au gouvernement de François Hollande, laissant le champ libre au FN et favorisant la naissance d'une opposition au sein de la majorité, incarnée par les frondeurs.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Depuis le début du quinquennat Hollande, la droite ne semble pas avoir joué réellement son rôle d'opposition face à François Hollande. A-t-elle suffisamment travaillé à élaborer un argumentaire ou des contre-propositions ? A-t-elle été trop accaparée par ses tensions internes, d'abord liées à la présidence du parti puis à la primaire ? Quelles sont les causes profondes de cette situation ? S'agit-il d'un manque de leadership ? 

Christophe de Voogd : Toutes vos questions appellent une réponse affirmative. Je coche donc toutes les croix ! D'abord la dépression naturelle post-défaite puis le combat Fillon-Copé ont fait perdre 18 mois à la droite. Ensuite le retour de N. Sarkozy n'a pas été aussi aisé qu'il le pensait et son leadership reste limité à l'appareil LR, les autres grandes voix gardant leur totale indépendance, perspective des primaires oblige. Ensuite, la droite a eu tort de ne pas faire très vite le bilan du précédent quinquennat qui a ses ombres et ses lumières : résultat, la gauche lui ressort tous les jours un bilan truqué et tronqué, comme sur les chiffres du chômage sans cesse manipulés, ou la sécurité, comme si la baisse des effectifs policiers il y a 5 ans expliquait les violences des casseurs aujourd'hui. Mais plus fondamentalement encore, la droite souffre sauf exceptions d'une faiblesse rhétorique par rapport à la gauche depuis Mitterrand : argumentaires faibles, mauvaise maîtrise des techniques du débat. Et son long complexe est encore présent face au "politiquement correct", notamment la thématique de "l'égalité" que la gauche manie avec une redoutable habileté, d'autant que les médias partagent les mêmes référents. Toutefois il me semble que les choses sont en train de s'améliorer, au moins parmi les grands candidats à la primaire.

Jean Petaux : Vous êtes peut-être un peu sévère dans votre appréciation du comportement de la droite sur son rôle de force politique d’opposition. Sur un certain nombre de sujets (je pense au débat parlementaire sur la loi Taubira dite "du mariage pour tous"), certains élus ont été particulièrement remarquables et remarqués dans leur rôle d’opposant : Hervé Mariton par exemple y a gagné une vraie notoriété qui lui a permis, seul, de se présenter à la présidence de l’UMP et d’y faire un score tout à fait honorable. Mais sans doute avez-vous raison, il s’agit plus de comportements individuels que d’une forme organisée et structurée d’opposition. L’agenda politique qui a été celui de l’UMP puis du parti Les Républicains, n’a pas été "un fleuve tranquille", en effet. De l’annulation des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy à l’affaire des enregistrements clandestins du sieur Patrick Buisson, en passant par la mise en cause de l’ancien trésorier Eric Woerth au détour de l’un des volets de l’affaire Bettencourt jusqu’à ce que le tribunal de Bordeaux ne l’innocente, en ajoutant la lutte fratricide Copé-Fillon puis l’affaire Bygmalion entraînant la démission de Jean-François Copé jusqu’à l’élection d’un nouveau président de l’UMP et le changement de nom du parti, on a envie de dire : "quel chantier !". Un chantier autocentré sur le nombril de la droite républicaine, fonctionnant en vase clos mais sur la place publique et fondé sur un principe redoutablement efficace : l’auto-alimentation.

Pour relativiser les "ennuis" de la droite, il suffit de se replonger dans l’absence quasi-totale du PS sur la scène politique nationale après sa déroute de 1993 jusqu’à la victoire par surprise aux législatives du printemps 1997. Quatre ans de quasi-vide sidéral ou d’ECG plat où Lionel Jospin était représenté aux Guignols de l’Info sous les traits de "Yo-yo au pays des idées" au volant de sa petite voiture jaune et rouge cherchant désespérément une ou deux idées à présenter aux Français. A l’automne 1995, pendant les grandes grèves qui paralysent Paris et l’Île-de-France, le PS est totalement absent des écrans radars de la vie politique : le mouvement social se développe en-dehors de lui. Quelques années plus tard, entre 1997 et 2002, c’est la droite qui est aux "abonnés absents". Les élections européennes de 1999 sont un désastre pour le RPR et deux ans plus tard le parti du président de la République réussit même l’exploit de perdre Paris aux municipales de 2001. On pourrait encore multiplier les exemples. Citons un dernier : le lamentable Congrès de Reims pour le PS, en 2008, où Martine Aubry et Ségolène Royal s’accusent mutuellement de tricherie et où Manuel Valls, soutien de la seconde, menace de traîner la première devant les tribunaux… Ambiance garantie ! Plutôt que d’être une opposition solide et alternative au sarkozysme triomphant, le PS tournait le dos à l’extérieur et s’enfonçait dans ses luttes intestines. 

Pourtant, au-delà d’une situation plutôt "classique" qui veut que l’opposition, en France et depuis une vingtaine d’années, soit assez silencieuse et surtout faiblement travailleuse, on peut ajouter un élément circonstanciel aggravant pour la droite française aujourd’hui : la présence de Nicolas Sarkozy dans le jeu politique interdisant d’une part qu’un bilan sincère, "froid" et complet soit réalisé sur son quinquennat en 2007 et 2012, et sa présence dans la course pour 2017 empêchant l’émergence d’un nouveau leader qui entraînerait (à la Chirac, modèle 1981) tout le parti vers une victoire prochaine. Crise du leadership générée par un leader charismatique qui ne se retire pas de la scène : ce n’est pas l’absence de leaders potentiels qui pose problème au parti "Les Républicains", c’est le trop-plein de successeurs alors que la succession n’est pas ouverte…

Par ailleurs, François Hollande et Manuel Valls ont été accusés par la gauche de la gauche de mener une politique "de droite"', sur les terrains sécuritaire et économique notamment. S'agissait-il d'une stratégie visant justement à empêcher la droite de jouer son rôle d'opposition ? Quel a été l'impact de cette "triangulation" menée par l’exécutif dans l'affaiblissement de l'opposition ? 

Christophe de Voogd : La triangulation est en effet une ressource politico-rhétorique habile. Mais elle présente d'une part le risque de vous aliéner votre propre camp : on l'a vu pour les lois Macron, El Khomri, et la déchéance de nationalité. D'autre part, là encore un contre-argumentaire était très facile à mettre en place : ni sur la sécurité, ni sur l'économie, la politique du gouvernement n'est convaincante. Un seul exemple : le "ça va mieux": je n'ai toujours pas entendu un leader de l'opposition poser cette très simple question : ça va mieux par rapport à quand ? Certainement pas par rapport à 2012, qui est pourtant la référence politique pertinente. Le gouvernement n'a fait que réparer, et seulement en partie, ses propres erreurs de 2012-2014, tant dans le domaine de la sécurité que de l'économie. Pensons simplement à la politique fiscale ou à la lutte contre la délinquance. Les Français, d'après les derniers sondages, ne semblent d'ailleurs pas dupes.

Jean Petaux : La gauche de la gauche dit ce qu’elle veut et cherche, sans y parvenir, à trouver soit des explications, soit des responsables (soit les deux en même temps) à la situation actuelle. L’idée non pas d’un complot mais d’une trahison par rapport à ce qui a été "vendu" en 2012 est désormais bien ancrée dans la rhétorique politique de l’opposition de gauche au tandem Hollande-Valls. La réalité est bien plus prosaïque que cela. En dehors du "fameux" discours du Bourget et du "j’ai un ennemi, il n’a pas de visage, il ne se présente pas à la présidentielle… c’est le monde de la finance", en-dehors de cette péroraison plus ou moins inspirée par Aquilino Morelle qui était le directeur de campagne aux primaires d’Arnaud Montebourg, François Hollande n’a jamais dit autre chose que ce qu’il a mis en œuvre depuis son élection : une politique social-libérale, basée sur l’offre, encadrée par les règles d’orthodoxie financière de la Commission de Bruxelles (règles que la France a fait adopter en son temps et sur lesquelles elle s’est "assise" pendant plus de 20 ans…). Donc François Hollande, candidat le plus situé à droite aux "primaires citoyennes" (mis à part Jean-Michel Baylet (MRG) et Manuel Valls qui obtient tout juste 5% des suffrages au premier tour), met en place une politique de droite. Il le fait en plus avec celui qui incarne complètement "l’aile droite" du PS. Tout cela est plutôt dans l’ordre logique de l’enchaînement des faits. Ce n’est pas pour "asphyxier" la droite que le gouvernement a mené une politique "sécuritaire" ou "économiquement libérale", ce sont les circonstances qui ont amené à faire des choix politiques orientés vers plus de sécurité et un soutien à la politique de l’offre. Circonstances provoquées par les attentats de janvier et novembre 2015 mais également, précédemment, par la nécessité de frapper vite et fort au Mali contre AQMI ou (et cela n’a pas abouti) en Syrie contre Bachar el-Assad lors de l’utilisation avérée d’armes chimiques, par ce dernier, contre son peuple. Circonstances aussi qui ont amené une rigueur économique renforcée du fait de la nécessité imposée par Bruxelles de revenir sous la barre des 3% de déficit budgétaire.

Que ces choix aient gêné l’opposition de droite aux entournures, c’est évident. Mais il reste à celle-ci deux atouts majeurs et elle a tout intérêt à s’en servir. D’une part elle peut considérer que toutes les mesures prises sont des "mesurettes" et des "pseudo-réformes" (autrement dit elle peut faire de la surenchère, c’est l'une des joies de l’opposition), d’autre part elle peut aussi faire passer le message que "quitte à faire une politique de droite, autant que ce soit la droite elle-même qui la conduise et la mette en place".

A l'inverse, dans quelle mesure cette absence d'opposition de la part du camp adverse a-t-elle affecté le jeu démocratique ? En se laissant aller à devenir sa propre opposition, la gauche a-t-elle vraiment tiré les bénéfices de l'absence d'opposition à droite ? Qu'y a-t-elle vraiment gagné, sachant qu'elle a été systématiquement éliminée dans les urnes ? La véritable opposition est-elle devenue invisible, puisque reléguée en-dehors du champ médiatique ?

Christophe de Voogd : Il n'est pas sain que l'opposition soit si longtemps absente. Les Anglais, champions de la démocratie libérale, le savent d'où leur institutionnalisation de l'opposition à travers le "shadow cabinet". De fait, le champ libre laissé aux divisions internes de la gauche, faute d'ennemi externe, est lourd de danger pour le pouvoir. Si une multiplication des candidatures à gauche se concrétise, le sort de F. Hollande sera scellé. Car la tendance de fond est très claire : la gauche est très minoritaire dans le pays. D'où les désastres aux élections intermédiaires. Ce qui n'exclut pas, comme en 2012, une victoire par défaut de cette même gauche, par rejet de la droite : celle-ci n'a nullement un boulevard mais une partie très serrée devant elle, entre le FN, la gauche et ses propres divisions, ou plutôt rivalités internes.

Jean Petaux : La gauche de gouvernement n’a pas été systématiquement éliminée dans les urnes depuis 2012. Aux élections municipales de 2014, la droite républicaine n’a pas vraiment réalisé le "grand chelem" attendu. Si certaines villes sont passées de gauche à droite (Toulouse, Rouen, Angers, Périgueux, Pau, etc.), d’autres sont restées ancrées au PS (Nantes, Rennes, Poitiers, Dijon, Lille, Lyon et Paris bien sûr…). Les élections départementales et régionales de 2015, annoncées comme devant être deux véritables déroutes pour les candidats portant casaques de la majorité gouvernementale actuelle, n’ont pas été si catastrophiques que cela. Certes, dans deux régions (et non des moindres) le PS et ses alliés n’ont aucun représentant et ont disparu de l’assemblée régionale, mais ce même PS et ces mêmes alliés ont sauvé 5 régions (Bretagne, ALPC, MP-LR, Bourgogne-Franche-Comté et Centre-Val-de-Loire). La droite l’a emporté, mais elle ne préside que 7 régions métropolitaines… 7 à 5 : en guise de déroute électorale, il y a pire. En réalité, la gauche de gouvernement et la droite républicaine font jeu égal… Avec un troisième bloc : celui de l’extrême-droite. Cette configuration en trépied laisse ouverte beaucoup d’hypothèses pour les échéances électorales futures.

C’est une toute autre configuration que celle que l’on connaît en Allemagne par exemple avec le principe de la "Grande Coalition" qui a tendance à "renvoyer" à l’extérieur du jeu parlementaire toute opposition. Mais, in fine, avec un mode de scrutin législatif totalement aberrant qui exclut de la mécanique parlementaire près d’un quart de l’électorat en n’offrant que deux sièges de députés au FN, le résultat politique est aussi désastreux que celui généré par une situation de "Grande Coalition". Il est même bien plus gênant pour le gouvernement qui se retrouve avec une opposition parlementaire multiple et composite (majoritairement à sa droite et marginalement sur sa gauche) et une opposition extra-parlementaire, celle du FN, privée de représentation…

Dans une interview accordée récemment au Monde, Nicolas Sarkozy explique son retour par le fait qu' "après l'affrontement Fillon-Copé, la voix de l'opposition était atone, ce qui laissait au Front national un monopole face à la politique de François Hollande." En quoi cette absence d'opposition de la droite a-t-elle conforté le FN dans son rôle de premier opposant au gouvernement ? Est-il trop tard pour s'attaquer à ce monopole ?

Christophe de Voogd : Nicolas Sarkozy a raison mais il en est, pour les raisons exposées plus haut (refus du bilan, retour tardif et moyennement réussi) aussi en partie responsable. Le FN a été certes la grande force d'opposition pendant 3 ans mais son opposition visait autant, sinon plus, la droite avec le thème de l'UMPS. Mais là encore, n'oublions pas l'opposition croissante depuis 2 ans de la gauche de la gauche. De plus les choses changent : le silence de Marine Le Pen est à cet égard peut-être une erreur, comme le pense son père, car elle laisse le champ libre aux candidats de la droite qui ont désormais des discours forts et cohérents, y compris contre les thèses du FN. Qui sait, la droite est -elle peut-être en train de se réveiller de son long sommeil rhétorique ? 

Jean Petaux : Il faut lire les pages du dernier livre de Jean-Louis Debré pour remettre les derniers propos de Nicolas Sarkozy en perspective. Ce qui est extraordinaire avec l’ancien président de la République, c’est que d’une part il n’est pas encombré par un "surmoi" écrasant, et que d’autre part il est passé maître dans l’art du "conte de faits" (que d’aucuns nomment "story telling"). Nicolas Sarkozy raconte à peu près n’importe quoi pourvu que cela le serve et justifie, à un instant donné, tel ou tel de ses choix. De ce point de vue, pour un entomologiste de la chose politique, c’est une sorte d’idéal-type : celui de l’acteur politique qui invente une réalité, la construit et fait en sorte que l’on "achète" cette histoire. Nicolas Sarkozy sortant de sa retraite dorée, abandonnant femme et fillette, contre son gré, mais vaillamment, tel un héros de film catastrophe hollywoodien pour, une dernière fois, sauver la droite, sauver la France, sauver l’Europe et, "why not ?", la planète. C’est Bruce Willis seul contre un astéroïde qui va détruire la Terre ; Tintin contre les faux-monnayeurs de l’Île Noire et Red Adair, le pompier volant, seul contre les  puits de pétrole en feu. Tel Cincinnatus, il serait bien resté à cultiver son jardin, mais, une dernière fois, on vient le chercher pour sauver Rome. Personne ne croit raisonnablement à cette histoire, mais là n’est pas l’essentiel : Nicolas Sarkozy se met en scène et alimente ainsi sa propre machine à gagner. Ce "moi ou le chaos" (autrement dit le FN) peut très bien fonctionner dès lors que Nicolas Sarkozy va apparaître progressivement, face à et contre ses rivaux dans la course des primaires, comme le plus fringant, le plus vaillant, le plus convaincant et le plus à-même d’éliminer dès le premier tour Marine Le Pen, comme il l’a fait sans coup férir en 2007 et en 2012. En se présentant de plus en plus comme "le rempart contre le Front", Nicolas Sarkozy tient un axe fort de sa campagne des primaires. A condition que les électeurs se laissent tenter… et "achètent" cette histoire une nouvelle fois ! "Just for fun !"…

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