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Sarkozy le flingueur, le retour : comment l’ancien Président semble avoir intégré les bénéfices tirés par Trump de sa politique de la colère
©Reuters

La french Trump touch

Attaques sur ses rivaux, en public comme en privé, déclarations et propositions choc sur des sujets sensibles tels que l'Europe ou l'immigration... Nicolas Sarkozy a, semble-t-il, passé la seconde vitesse pour sa campagne pré-primaire. En misant sur les colères des Français, l'ancien Président ne cherche pas seulement à surfer sur le phénomène Donald Trump, mais aussi à retrouver le ton qui lui avait tant réussi.

Gérard Leclerc

Gérard Leclerc

Gérard Leclerc est un philosophe, journaliste et essayiste catholique. 

Il est éditorialiste de France catholique et de Radio Notre-Dame.

Il est l'auteur de l'Abécédaire du temps présent (chroniques de la modernité ambiante), (L'œuvre éditions, 2011). 

 

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Atlantico : Une analyse récente indique que la polarisation "négative" de la campagne de Donald Trump (propositions choc, dénigrement systématique des rivaux) permet de mobiliser fortement l'électorat, et notamment les abstentionnistes. Est-ce une stratégie payante selon vous ?

Maxime Tandonnet : La "politique de la colère" prêtée à Donald Trump consiste en effet à désigner des adversaires intérieurs, par exemple des minorités, et à utiliser un ton agressif vis-à-vis des concurrents parfois à la limite de l'insulte. Ce serait une manière de  récupérer la colère des électeurs, liée aux déceptions, aux frustrations, à l'irritation envers les élites et la classe dirigeante. Cette méthode n'a rien de bien nouveau. Elle consiste à se donner une popularité en désignant des boucs émissaires, généralement l'étranger, le bourgeois, le fonctionnaire... L'arme est à double tranchant. Elle peut permettre en effet de récupérer la colère d'une partie de l'électorat en la canalisant contre un groupe ou une personne. Mais en même temps, cette pratique comporte l'inconvénient de jeter un doute sur la crédibilité et le sérieux de celui qui la pratique. Elle peut avoir aussi pour effet de donner une image d'excitation et de méchanceté en particulier en France, pays imprégné de la tradition des droits de l'homme.  Dès lors, la "politique de la colère" peut être efficace à court terme dans les sondages ou bien pour obtenir une poussée électorale ponctuelle. Cependant, elle est à l'évidence insuffisante, voire  contre-productive pour gagner l'élection et prendre le pouvoir.

Quelques semaines après avoir qualifié la crise des migrants de "fuite d'eau" de l'Union européenne, Nicolas Sarkozy multiplie en coulisses les attaques envers ses adversaires de gauche (Hollande, Macron) comme de droite (Juppé, Fillon). L'ancien Président est-il, selon vous, en train de mener une sorte de "politique de la colère", comme le fait Donald Trump aux Etats-Unis, en misant sur le ressentiment des Français ?

Gérard Leclerc : Je pense en effet que c'est le cas. Il faut bien comprendre que le retour de Nicolas Sarkozy n'a pas été la marche triomphale qu'il espérait, et il affronte aujourd'hui deux problèmes : d'une part une demande de renouvellement du pays, et d'autre part le fait que tous les candidats de droite défendent à peu près le même programme libéral avec des mesures semblables sur l'ISF, la retraite à 65 ans, la baisse du nombre de fonctionnaires, etc.

A partir de là, il y a une nécessité pour lui de sortir de ce magma, de se différencier et donc quelque part de renverser la table. Je crois qu'il a ici deux sources d'inspiration pour sa méthode : premièrement Marine Le Pen, qui tape systématiquement sur l'immigration, l'Europe et les élites, et deuxièmement Donald Trump avec son parler "cash" qui a fait son succès, lui qui n'hésite pas à attaquer bille en tête ses adversaires et de façon très brutale.

Nicolas Sarkozy joue sur ces deux registres : se différencier et attaquer. Il attaque tout le monde. Il attaque François Hollande bien sûr, il n'y a pas un jour qui passe sans qu'il ne dénonce ses mensonges. Il l'a attaqué ce mardi dans Le Monde sur son effacement au sein de l'Europe. Il attaque également Alain Juppé, avec des allusions à peine voilées à son âge. Sur l'Europe, il reprend la formule de De Gaulle en fustigeant ceux qui sont assis sur leur chaise et crient "L'Europe, l'Europe, l'Europe !". Il attaque également Bruno Le Maire sur sa proposition de référendum, et enfin François Fillon, soit en "off" (quand il souligne le fait que c'est un traître pas étouffé par la reconnaissance…), soit sur son programme.

Maxime Tandonnet : Le président Sarkozy a la conscience aiguë de la fracture croissante entre le peuple et les élites dirigeantes. Cela ne date pas de Donald Trump car il parlait beaucoup de cette question quand il était à l'Elysée. En même temps, il est dans une position ambiguë entre l'envie d'incarner la révolte populaire et son appartenance à "l'establishment" comme disent les Américains. Son soutien au traité européen de Lisbonne en 2007, a été souvent interprété comme allant à l'encontre de la volonté populaire manifestée par le référendum de 2005. Toutefois, la plupart de ses prises de positions depuis vont dans le sens de la prise en compte du ressenti populaire. On a beaucoup retenu son expression les "fuites d'eau" au sujet de la crise migratoire européenne. Derrière, il y avait des propositions pour gérer un dossier difficile et complexe qui préoccupe les Français. De même, récemment il s'est clairement démarqué du discours dominant dans les médias et la presse en comprenant l'annulation du concert de rap prévu à l'occasion de la commémoration de Verdun.

Alors que le dépôt des candidatures pour la primaire de la droite aura lieu en novembre, à quoi peut-on s'attendre dans les prochains mois de la part de Nicolas Sarkozy ? Va-t-il persévérer dans cette stratégie, au risque de cliver encore un peu plus l'électorat de droite ? Comment pourrait-elle se traduire très concrètement ?

Gérard Leclerc : Nicolas Sarkozy fait le pari d'une primaire où ce sont d'abord les militants qui votent, et en particulier les militants qui lui sont acquis. Sa stratégie consiste à parler fort et à persévérer dans ce discours. Le fait de cliver ne le dérange pas, bien au contraire. C'est justement en mobilisant ce noyau dur de militants qu'il espère gagner la primaire. Il sera toujours temps après celle-ci d'adopter un discours plus présidentiel, consensuel. Il va taper fort, aussi bien sur ces thématiques que dans ses attaques contre ses adversaires. Il n'a pas vraiment le choix, en tout cas c'est sa stratégie. Il faut qu'il clive et se différencie des autres. C'est aussi un peu sa marque de fabrique, son côté énergique, voire agressif. C'est un discours qui rencontre un écho dans l'électorat de droite le plus mobilisé, celui qui votera à la primaire. Je pense donc qu'il continuera, même s'il changera sans doute de discours après la primaire.

Maxime Tandonnet : En réalité, s'il veut conserver toutes ses chances d'être désigné le candidat de la droite aux primaires de novembre, son choix me paraît limité. Il ne peut pas rivaliser avec Alain Juppé sur le terrain de celui-ci, la quête d'une posture consensuelle. A ce jeu, il ne peut être que perdant car son image n'est pas celle d'une personnalité consensuelle. L'équation est là aussi complexe car l'opinion publique est un phénomène contradictoire entre la tentation de la révolte et l'envie d'apaisement. Pourtant, la véritable chance de Nicolas Sarkozy, me semble-t-il, est d'exprimer la colère populaire, la défiance envers l'establishment, et le désir d'une refondation de l'Etat, de la société, de l'Europe. Il lui faut trouver un discours qui associe d'une part la révolte de l'opinion et d'autre part la crédibilité et le réalisme. Sur l'Europe, il a bien essayé. L'an dernier, son interview au Point sur la réforme de l'Europe était à la fois révolutionnaire et ambitieuse, voire hérétique au regard des dogmes bruxellois. Mais curieusement, il n'est plus revenu sur ses propositions pour s'en tenir à un discours redevenu conformiste.

Selon vous, cette posture relativement agressive est-elle naturelle chez Nicolas Sarkozy, ou bien est-elle dictée par la nécessité pour lui de rattraper son retard dans les sondages vis-à-vis d'Alain Juppé, personnalité beaucoup moins clivante aux yeux des Français ?

Gérard Leclerc : Il y a un petit peu des deux. C'est assez naturel chez lui, c'est le souvenir qu'on en a gardé : cette énergie très forte, cette façon de parler cash, de parler vrai et d'attaquer. C'est son image. C'est d'abord une posture naturelle. Cela dit, je pense qu'il est obligé de hausser le ton parce que pour l'instant, il n'est pas audible. Il a perdu du terrain, il est maintenant loin d'Alain Juppé et de son discours beaucoup plus modéré, tempéré et consensuel. Donc Nicolas Sarkozy essaye de se démarquer en retrouvant ce ton qui était le sien et qui a fait un temps son succès. Je ne pense pas que sur le fond il soit un extrémiste. On l'a vu d'ailleurs quand il était au pouvoir. Mais dans le discours et pour sa stratégie, il doit passer en par là pour l'instant.

Il va parfois très loin. Sur l'Europe, quand il prend l'exemple de la Hongrie et de la Pologne en disant que ce sont des démocraties qui fonctionnent... Quand on voit les atteintes à la presse en Hongrie et les atteintes à la Constitution en Pologne, c'est quand même étonnant de sa part ! C'est un discours très marqué, mais il pense que l'opinion publique actuelle est très remontée contre l'Europe, et il surfe donc sur son électorat le plus à droite.

Maxime Tandonnet : La position du président Sarkozy semble compliquée aujourd'hui même s'il garde toutes ses chances. Plus le temps passe, et plus les aspects positifs de son quinquennat s'éloignent des mémoires : défiscalisation des heures supplémentaires, impôt sur l'héritage, "peines planchers", etc. L'impopularité de l'actuel chef de l'Etat ne se traduit pas par un regain en sa faveur. Tout se passe comme si l'opinion avait envie d'oublier dix années malheureuses, 2007 à 2017, marquées par le chômage et le terrorisme, et de passer à autre chose. On ne sent pas aujourd'hui dans l'opinion, pour l'instant, un courant de fond en faveur de l'ex-président. La base militante qui le soutient chez les Républicains ne suffira sans doute pas à faire pencher la balance aux primaires ouvertes. D'autant plus que les sondages nationaux vont beaucoup compter. Le gagnant sera sans doute celui qui a les plus grandes chances de battre le candidat socialiste ou le Front national. Or, les sondages ne sont pas en faveur de l'ex-chef de l'Etat. Le président Sarkozy est donc au pied du mur. S'il veut présider la France de nouveau, il lui faudra tenir un discours d'une envergure exceptionnelle sur la France, sur l'Europe, le chômage et l'autorité de l'Etat, qui réponde à la détresse d'une partie de la population française tentée par l'abstentionnisme ou par les extrêmes. Sa véritable chance : incarner les classes populaires oubliées, mais sans excès, sans démagogie, en tenant le discours de la vérité. Pour l'instant, il ne paraît pas avoir encore trouvé le bon ton. Tout se jouera en septembre et octobre.

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