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Impôt sur le revenu : pourquoi le calendrier officiel de mise en œuvre du prélèvement à la source est totalement irréaliste
©D.R.

Paroles, paroles, paroles

Annoncée par Michel Sapin comme opérationnelle en 2018, le prélèvement à la base du revenu ne serait pas pour un temps si proche. En cause : une élection présidentielle et la lourdeur de notre système.

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier est Avocat, fondateur & coordinateur pédagogique du diplôme Start-up Santé (bac+5) à l'Université Paris Cité. Il est également Président de l'UNPI 95, une association de propriétaires qui intervient dans le Val d'Oise. Il est titulaire du Master 2 droit fiscal, du Master 2 droit financier et du D.E.S. immobilier d’entreprise de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Le délai de mise en place du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu prévu pour janvier 2018 par Michel Sapin est critiqué car considéré comme beaucoup trop optimiste. De plus, le report du vote de ce projet, au mois d'octobre 2017 semble suggérer un enterrement du projet par l'exécutif. Quels sont les obstacles concrets à la mise en place d'une telle réforme ? Le calendrier annoncé par le gouvernement est il crédible ?

Thomas Carbonnier : Après la loi sur le travail qui a failli se casser les dents sur les syndicats, voici la future loi fiscale qui risque de se casser les dents sur le mille-feuille fiscal français !

En effet, le prélèvement de l’impôt sur le revenu à sa source existe déjà en France pour certains types de revenus. Il  en va ainsi des prélèvements sociaux concernant certains revenus tels que les plus-values immobilières (retenue à la source par l’office notariale) ou encore sur des revenus de capitaux mobiliers (retenue à la source par l’établissement bancaire par exemple).

Les revenus de source étrangère font également, en principe, l’objet d’une retenue à la source. C’est notamment le cas des dividendes versés par des entreprises étrangères à des résidents fiscaux français. Certains revenus de source étrangère ayant déjà fait l’objet d’une taxation à l’étranger, ils bénéficient d’un crédit d’impôt français. Parfois, ils ne bénéficient pas d’un crédit d’impôt français mais sont exonérés d’impôt en France mais ces revenus sont quand même pris en compte pour le calcul de l’IR… 

Pour les contribuables ayant des revenus fonciers déficitaires à imputer sur les revenus salariaux, la retenue à la source pourrait conduire à une restitution d’IR en fin d’année… Autrement dit, pour les contribuables ayant des revenus du patrimoine, une retenue à la source sera effectuée mais, en fin d’année, l’administration fiscale pourrait être amenée à émettre un chèque à leur profit au titre du trop perçu !

Cette réforme s’annonce d’une complexité telle que beaucoup français risquent de ne pas la comprendre. Le gouvernement se creuse donc la tête pour éviter d’aboutir à une situation susceptible de rappeler le bouclier fiscal, situation dans laquelle le fisc devait régulièrement restituer de l’argent à certains contribuables… !

Philippe CrevelDepuis 40 ans, toutes les majorités ou presque ont annoncé le passage du système purement déclaratif avec un an de décalage entre le moment de perception des revenus et le moment du paiement des impôts à un système comportant une retenu à la source. Si, depuis 40 ans, ce passage n’a pas été réalisé, cela est du à des oppositions au sein de Bercy et à la complexité du processus.

Le Gouvernement de Manuel Valls s’est compliqué la tâche en décidant de conserver en état l’impôt sur le revenu tout en y intégrant la retenue à la source. De ce fait, il faut gérer l’année de transition qui aboutit à changer d’assiette fiscale et surtout de modifier les règles de perception. Aujourd’hui, c’est le foyer fiscal qui règle soit par tiers, soit par mensualité l’impôt sur le revenu ; demain, ce seront les employeurs pour chacun des membres du foyer qui devront acquitter le montant de l’impôt sur le revenu en fonction d’un taux qui leur sera communiqué par l’administration fiscale. A la différence des cotisations sociales ou de la CSG où les taux sont identiques pour tous, le taux de l’IR évoluera en fonction de la situation familiale et en fonction de la rémunération des autres membres du foyer. Il faudra donc instituer une communication permanente entre les employeurs et Bercy… En Allemagne, il n’y a pas de quotient conjugal ou de quotient familial. Les revenus sont imposés séparément. Les charges supportées par le foyer et ouvrant droit à des avantages fiscaux sont retenues dans le cadre d’une déclaration annuelle. L’impôt sur le revenu français qui est déjà une véritable usine à gaz risque de l’être encore bien davantage avec la retenue à la source qui est pourtant en soi une bonne idée. Compte tenu des nécessités de réaliser des logiciels de paiement d’’impôt sur le revenu qui devront être acquis par les entreprises ou à défaut de prévoir une application sur le site du ministère de l’Economie destinée à toutes les entreprises, la possibilité d’instituer la retenue à la source pour 2018 apparaît un pari risqué. Il l’est d’autant plus que son adoption ne sera effective qu’au mois de décembre 2016 avec l’adoption de la loi de finances pour 2017. En optant pour un tel calendrier, c’est la méthode "après moi le déluge".

L'exécutif a déjà du, à plusieurs reprises, faire face à la censure du Conseil Constitutionnel. Le prélèvement à la source est il à même de faire réagir le conseil constitutionnel, notamment en ce qui concerne la rupture d'équité devant l'impôt à propos de l'existence d'une année "blanche" sur le plan fiscal, et dont les conséquences seront diverses selon les contribuables ? D'autres points sont ils en question ?

Thomas Carbonnier : L’impôt sur le revenu représente environ 30% des recettes fiscales de l’Etat. L’impôt sur les sociétés représente, quant à lui, pas moins de 24% des recettes ! Croyez-vous vraiment que le budget français va faire cadeau de 54% de sa recette fiscale ?!! La vraie question est de savoir : combien de contribuables français vont croire au Père Noël fiscal ?  

Croyez-vous vraiment que le Conseil Constitutionnel va accepter que l’Etat renonce à plus de 50% de ses recettes fiscales ?!! Au-delà des aspects de technique purement fiscale, ce scénario n’est absolument pas crédible. De manière réaliste, il y a tout lieu de croire que l’impôt dû au titre de l’année "blanche" serait payé de manière échelonnée dans le temps, éventuellement sur plusieurs années. 

Philippe Crevel : Actuellement, des revenus font déjà l’objet de retenues à la source. Ce sont en particulier les revenus financiers issus par exemple des contrats d’assurance-vie. Il faut signaler que le contribuable à le choix entre un prélèvement forfaitaire qui varie de 35 à 7,5 % et l’imposition dans le cadre du barème de l’impôt sur le revenu. Cela n’a pas été jugé inconstitutionnel. Pour l’année de transition, le Gouvernement devra veiller à éviter les effets d’aubaine en prévoyant une imposition spéciale des revenus exceptionnels (plus-values mobilières ou immobilières, cessions d’entreprises…). Les mécanismes adoptés devront être assez équitables et ne pas aboutir à une sur-taxation ou à une sous-taxation. Dans notre système fiscal, il y a déjà des dispositifs pour traiter les revenus exceptionnels avec des mécanismes de lissage.

Qu'en est-il du facteur politique ? Quel rôle vont jouer les élections présidentielle et législatives de 2017 ? En prenant en compte la calendrier électoral, une telle réforme est réellement réalisable en fin de quinquennat ? Quel pourrait être son objectif politique ?

Thomas Carbonnier : Le grand prestidigitateur à lunettes noires épaisses a encore mis au point un nouveau tour de magie fiscale ! Une fois de plus, l’illusion s’annonce très puissante. Il serait injuste et manquer de respecter que de ne pas reconnaître un tel talent de ne pas saluer un tel artiste !

Il y a peu de chances que la mesure soit effective avant la fin du quinquennat. Elle est en réflexion de plusieurs années et, pour l’instant, le flou absolu règne sur les contours précis de réforme fiscale. Seul le temps nous dira ce qu’il en adviendra réellement. 

En attendant, il s’agit d’une véritable annonce alléchante pour tous les électeurs qui ne croient plus dans les vertus égalitaires et sociales de l’impôt. Bien entendu, cette mesure arrive en fin de quinquennat pour tenter de sauver la côte de popularité du Président. Toutefois… si nous faisons l’élection présidentielle demain, croyez-vous vraiment que l’électorat de gauche irait massivement voter pour un candidat de droite et que le Président sortant serait battu à 65% contre 35% ? Personnellement, je n’y crois pas. 

Dans de telles conditions, le Président sortant a tout intérêt à rester sur une annonce vague et floue, laissant croire à chacun qu’il aura un vrai cadeau fiscal… mais que personne ne s’y trompe, il faudra bien payer l’addition d’une manière ou d’une autre. La seule possibilité de contre balancer un vrai cadeau fiscal serait de supprimer des dépenses, c'est-à-dire de supprimer de nombreux postes de fonctionnaires. Quelqu’un souhaite-t-il être témoin, de son vivant, de la révolution française ?

Philippe Crevel : Le passage à la retenue à la source est évidemment une réforme de début de quinquennat. En l’adoptant en fin de parcours, François Hollande peut certes affirmer qu’il a respecté un de ses engagements mais surtout il transfère le bébé et l’eau du bain à ceux qui seront au pouvoir après le mois de mai 2017. Dans les faits, il n’a respecté qu’à moitié sa promesse. En effet, il était initialement prévu fusionner la CSG et l’IR avec en contrepartie l’abandon du quotient conjugal. Compte tenu de l’ampleur des transferts entre contribuables et d’un risque de mitage du bon impôt, la CSG, par le mauvais, l’IR, le Président de la République a coupé la poire en deux. Le calendrier retenu est surréaliste. En effet, avec une adoption fin 2016, il n’y aura qu’une seule année pour faire élaborer et publier les dispositions réglementaires, développer les outils informatiques et former les entreprises. Qu’une réforme qui concernera plus de 17 millions de salariés et plusieurs millions d’entreprises ne donne pas lieu à des simulations, à des tests sur plusieurs mois ne peut aboutir qu’à des bugs. Il est évident que le Gouvernement qui sortira des urnes au milieu de l’année prochaine n’aura guère envie se faire harakiri avec une réforme fiscale qu’il n’aura même pas supervisé. Il y a donc une très forte probabilité que l’application de la  retenue à la source soit différée….

Sur un plan électoral,  la retenue à la source ne devrait rien rapporter au pouvoir en place. En effet, il ne faut pas oublier qu’il n’y a qu’un contribuable sur deux qui paie l’IR. Par ailleurs, l’instauration de la retenue à la source sera anxiogène pour les dirigeants de PME quand les salariés n’en verront la couleur qu’en 2018. Ce serait dommageable qu’à travers cette mise en œuvre alambiquée, l’idée de la retenue à la source soit dénaturée et le cas échéant abandonnée après 2017. En effet, avec des carrières professionnelles de plus en plus heurtées, la taxation en temps réel des revenus est une source de simplification pour les contribuables qui n’auraient plus besoin de constituer des réserves pour payer leurs impôts. Pour éviter une bérézina, il faudrait engager une véritable simplification de l’impôt sur le revenu avec un double mouvement, un élargissement de l’assiette et une réduction de la progressivité. Il faudrait revenir à 40 % voire à 38 % sachant que le taux de la CSG est de 7,5 % et celui de la CRDS est de 0,5, prélèvements qui s’ajoutent de fait à l’IR.

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