Christiane Taubira courtisée par François Hollande : mais à quel jeu jouent le chef de l’exécutif et celle qui a claqué la porte du gouvernement il y a quelques mois à peine ?

Atlantico : Après s'être affiché avec Christiane Taubira aux côtés du révérend américain Jesse Jackson pour la journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition, François Hollande multiplie les appels du pied en direction de son ex-ministre de la Justice. Il a notamment déclaré : "Oui, elle me manque, mais je sais que là où elle est, elle est toujours la même" et un proche de l'ancienne Garde des Sceaux a confirmé qu'"elle est très sollicitée, notamment par l'Élysée". Le président de la République essaie-t-il de s'assurer son soutien pour 2017 ? Quelles chances a-t-il de l'obtenir, alors qu'elle a claqué la porte du gouvernement sur "désaccord majeur" il y a quelques mois à peine ? 

Jean-Daniel Lévy : Déjà, nous pouvons dire que Christiane Taubira est une personnalité qui compte dans la vie politique et qui est présente dans l'esprit des Français. D'après les sondages, 65 % des sympathisants de gauche lui font confiance, ce qui en fait la personnalité préférée de son camp. Elle est en deuxième position parmi les sympathisants du Front de gauche et parmi ceux du PS. Les Français, notamment de gauche, ont une très bonne image de Taubira. Elle est une caution de ce que peut être la gauche aujourd'hui. Le deuxième point marquant est qu'elle porte des valeurs auxquelles les sympathisants de gauches sont globalement attachés. Elle a su incarner le ministère de la Justice, défendre des thématiques égalitaires et prendre en compte les phénomènes de société et leurs conséquences sur les individus. Enfin, elle avait une verve et la capacité de porter haut et fort des discours qui n'étaient pas forcément tenus par les autres responsables de la gauche. Elle a donc un environnement d'opinion favorable.

François Hollande se souvient de l'Histoire. Il sait que l'éparpillement des voix de la gauche est nuisible à la qualification au second tour. Lionel Jospin en a été victime en 2002, où Taubira était également candidate. Si elle ne l'est pas cette fois et qu'elle porte des valeurs qui sont complémentaires à celles d'Hollande, le soutien de l'ex-ministre pourrait être un enjeu de poids.

Pour le moment Taubira ne ferme pas la porte au président. Lorsqu'elle a quitté le gouvernement, elle ne l'a pas réellement attaqué. Le message était plus tourné en direction de Manuel Valls que de François Hollande.

Bien qu'elle se laisse approcher, le ralliement de Christiane Taubira à François Hollande ne semble pas si évident. Elle a notamment décliné la proposition de Christophe Cambadélis d'intégrer sa "Belle alliance populaire". Selon Le Parisien, François Hollande aurait également proposé à l'ex-ministre la direction de la Bibliothèque nationale de France (BNF). Elle aurait refusé, ne souhaitant pas être tenue par le devoir de réserve. Christiane Taubira aurait-elle des ambitions personnelles pour 2017 ? Peut-elle espérer rassembler la gauche de la gauche, de Mélenchon à Montebourg ?

Ce qui est certain, c'est que Taubira est une voix. C'est une femme politique qui est indépendante et possède une forte personnalité. Elle l'a montré en changeant de formation politique de rattachement et en ayant une expression très libre. Pourtant, Taubira n'a pour le moment montré aucune ambition présidentielle. Elle n'a rien structuré en vue de cette échéance. Pour finir, la figure morale qu'elle incarne ne lui permet pas de pouvoir escompter une forme de dynamique électorale, malgré l'opinion favorable dont elle bénéficie. 

Politiquement, elle n'est pas sur la même ligne que Mélenchon ou Montebourg. Elle n'a pas la même vision de la société et de ce que seraient les rapports de force que Mélenchon. Elle n'a même pas le même rapport au langage que lui. Ensuite, quand ils étaient au gouvernement ensemble, il n'y a pas eu de forme de solidarité entre Taubira et Montebourg.

La candidature de Christiane Taubira à la présidentielle de 2002 est souvent présentée, avec celle Jean-Pierre Chevènement, comme la principale cause de l'élimination de Lionel Jospin au premier tour. François Hollande a-t-il peur de la voir jouer à nouveau les troubles-fêtes d'ici mai 2017 ? Cherche-t-il surtout à empêcher son ancienne ministre de nuire à ses ambitions personnelles ? Dans quelle mesure ses craintes pourraient-elles être justifiées ?

Ce qui est certain, c'est que l'éclatement ne permet pas la qualification de la gauche à une élection. Nous l'avons vu à la présidentielle de 2002. Plus récemment la division de la gauche aux élections départementales et régionales lui a été néfaste. Le deuxième aspect, c'est que la question du projet est essentielle. Certes, il y avait un éclatement des candidatures de gauche en 2002, mais Jospin ne portait pas un projet qui donnait envie à l'ensemble de la société française. Le plus intéressant dans la situation actuelle, c'est que nous avons une gauche affaiblie, qui n'a pas intérêt à la multiplication des candidatures. Un autre enjeu pour François Hollande est de motiver les électeurs dès le premier tour à voter pour lui, plutôt que pour une candidature alternative.