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Attentats à Bagdad : ce lourd tribut que l’Irak continue à payer à la guerre menée par l’Etat islamique sur son territoire pendant que tout le monde a les yeux rivés sur la Syrie
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Théâtre des opérations

Ce mercredi 11 mai, Bagdad a été frappée par un triple-attentat suicide, le plus meurtrier depuis le début de l'année 2016. Un événement qui n'a rien d'exceptionnel dans un pays qui subit des attaques terroristes revendiquées par l'Etat islamique à répétition.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Ce mercredi, trois attaques suicide revendiquées par l'Etat islamique ont tué au moins 80 personnes à Bagdad. Quelles étaient les cibles de ces violences terroristes ? Alors que l'attention de l'opinion et des médias est quasi exclusivement tournée vers la Syrie, pourquoi selon vous, ces attentats de mercredi à Bagdad ont-ils fait parler d'eux ? 

Alain Rodier : Quatre véhicules suicide ont frappé le 11 mai la capitale irakienne causant la mort de plus de 94 personnes. Le nombre des tués pourrait augmenter car de nombreux blessés (150) sont dans un état critique. Ces actions coordonnées visaient les quartiers chiites de Sadr City, Kadhimiyah, Hurriyah et Jamiyah. C’est effectivement l’action terroriste la plus meurtrière en un jour mais les attentats ont lieu très régulièrement le nombre officiel des victimes civiles recensées à Bagdad en avril étant de 232 tués et 642 blessés. La première action visait un marché bondé et les autres ont eu lieu à hauteur de barrages de police. Un commando a été neutralisé par ailleurs. Daech a revendiqué ces opérations qui ciblaient des chiites considérés comme des "apostats" (traîtres à l’islam).

L'Irak traverse depuis un mois une grave crise politique. Quelle en est la nature et qui en est à l'origine ? Dans quelle mesure les attentats de mercredi pourraient-ils compromettre l'avenir politique de l'actuel Premier ministre, Haïder al-Abadi ? 

La population irakienne est excédée par le fait que l’institution politique et l’administration restent extrêmement corrompues. Le Premier ministre Haïder al-Abadi tente d’établir un gouvernement de technocrates pour remplacer les ministres des partis jugés responsables de cet état de fait. Par là même, il s’attire l’hostilité de ces mêmes partis qui font tout pour le torpiller.

Même l’homme de la rue chiite ne semble plus avoir confiance, ce qui explique les mouvements populaires de protestation qui ont lieu régulièrement depuis des mois à Bagdad. Le chef religieux Moqtada al-Sadr -qui avait théoriquement pris sa retraite politique en 2014- a emmené un important mouvement de protestation qui a même pénétré jusqu’à l’intérieur de la zone verte, le quartier surprotégé du gouvernement et des ambassades. A noter que le général irakien chargé de la défense de cette zone a baisé la main à Moqtada al-Sadr et a laissé entrer ses partisans sans opposer la moindre résistance. Même le parlement a été momentanément occupé, les protestataire reprochant aux députés de faire de l’obstruction à la nomination de nouveaux ministres.

Suite à l'intervention américaine et à la prise par l'Etat islamique d'un tiers du territoire irakien, les tensions entre chiites et sunnites ont été exacerbées. En quoi l'arrivée au pouvoir d'Haïder al-Abadi a-t-elle permis une pacification des relations entre les communautés musulmanes ? Quel est le risque que ces tensions soient aujourd'hui réactivées ? 

Il est parfaitement exact que les relations entre les chiites et les sunnites sont exacerbées depuis l’invasion américaine de 2003 et surtout, après la gestion de la situation qui a amené les chiites aux manettes en rejetant systématiquement les sunnites qui constituaient l’ossature des organismes sécuritaires. La gestion des affaires par Nouri al-Maliki, premier ministre jusqu’en 2014, a été particulièrement catastrophique. Il a nommé nombre d’incompétents corrompus à des postes clefs, en particulier dans l’armée ce qui explique en partie l’effondrement de cette dernière lors de l’offensive de Daech en 2014. Il a été forcé de quitter le pouvoir, les Américains mettant beaucoup d’espoir dans son successeur al-Abadi. Mais la marge d’initiative de ce dernier était (et reste) très limitée. Il est en effet soumis à l’influence iranienne qui est toujours prépondérante. Pour ne pas compliquer mon explication, je ne citerai que le problème kurde et les velléités d’indépendance de cette communauté.

Les succès militaires remportés sur Daech ont été célébrés à grand renfort de publicité (la reprise de Tikrit, du Sinjar, de Ramadi, etc.). L’annonce de l’offensive devant permettre la libération de Mossoul est régulièrement d’actualité. Le Major général américain Gary Volesky se montre très optimiste. Pour lui, les forces irakiennes font de "grands progrès", ne sont plus qu’à 35 à 40 kilomètres au sud de Mossoul et "reprennent un village tous les jours". C’est oublier un peu vite que les forces de Daech sont très manoeuvrantes, que son commandement évite les pertes jugées inutiles (et donc ne défend pas pied à pied des positions considérées comme non stratégiques) et surtout, capables de redoutables contre-attaques qui font perdre pied très rapidement aux unités irakiennes. C’est en ce moment le cas à Ramadi où le couvre-feu a été rétabli par les autorités tant la situation est chaotique.

Personnellement, je ne pense pas que l’armée irakienne qui ne parvient pas à être motivée pourra progresser beaucoup plus avant. Quant aux Kurdes au nord, ils défendent leurs positions mais n’ont pas la puissance nécessaire pour se lancer dans une vaste offensive vers le sud.

Nous sommes donc en face d’un État séparé en trois entités, un Chiistan, un Sunnistan et un Kurdistan. C’est un peu la même problématique qu’en Syrie. La communauté internationale met en avant pour ces deux pays une solution "fédérale" qui est aussi défendue par les pouvoirs en place à Bagdad et à Damas. Le problème réside dans le fait que la réalité du terrain est fondamentalement différente. La recomposition des États et de la frontière entre l’Irak et la Syrie héritée des accords Sykes-Picot conclus il y a un siècle est en marche. Et personne ne maîtrise réellement la situation.

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