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Machinerie Badawi : le jour où mon mari m'a appelé pour me dire qu'il avait été condamné à 7 ans de prison et 600 coups de fouet à cause de son blog
©Reuters

Bonnes feuilles

En juin 2012, Raïf Badawi, 28 ans, est arrêté et jugé pour apostasie et insulte à l’islam. Son crime : avoir prôné sur Free Saudi Liberals, blog qu’il a créé, la libéralisation du royaume saoudien - notamment le droit d’être athée. La justice le condamne à une peine de dix ans d’emprisonnement, assortie de mille coups de fouet. Aujourd’hui, Ensaf Haidar, son épouse depuis 2002, dénonce l’injustice et les sévices infligés à son mari. Exilée à Sherbrooke (Québec) avec ses trois enfants, elle en appelle aux responsables internationaux. Extrait de "Mon combat pour sauver Raïf Badawi", d'Ensaf Haidar, aux éditions l'Archipel 2/2

Ensaf Haidar

Ensaf Haidar

Ensaf Haidar est née à Jazan, en Arabie Saoudite. En 2002, elle épouse Raif Badawi contre la volonté de sa famille. Depuis l’embastillement de son mari, elle a fui son pays avec ses trois enfants pour s’installer à Sherbrooke, au Québec. Depuis lors, soutenue par Amnesty International, elle se bat pour obtenir sa libération, mobiliser l’opinion et interpeller les responsables politiques.

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Dans la procédure de cassation, un tournant s’était produit, porteur d’un certain espoir. En janvier 2013, le tribunal civil de Djeddah avait transféré le dossier au tribunal pénal de la ville, avec la justif cation suivante : Raïf n’ayant pas vilipendé l’islam dans ses articles ou sur son blog, l’accusation d’apostasie ne pouvait être maintenue. Si bien que le tribunal civil n’était plus compétent en cette affaire.

Je pus respirer un peu. Walid aussi était soulagé.

— Tu verras, Ensaf : un jour, nous nous retrouverons tous ensemble et nous rirons de cette histoire absurde, me dit-il. Ne te laisse pas abattre !

J’essayais. Je me donnais aussi beaucoup de mal pour encourager Raïf. Entendant dire partout que le jugement serait certainement révisé, je m’autorisai même un optimisme relatif. Je finissais par faire montre d’impatience : quand ce nouveau juge allait-il enfin prononcer le jugement qui mettrait fin au martyre de Raïf ?

On en était là au mois de juillet. La veille au soir, j’avais eu la possibilité de parler à Raïf.

— Demain, c’est l’heure de vérité, m’avait-il dit. Souhaite-moi bonne chance !

— Je nous le souhaite à tous deux. Toutes mes pensées seront avec toi. Je suis certaine que tout ira bien.

Je ne pus dormir de la nuit tant j’étais excitée. Le jour qui s’annonçait serait celui où se jouerait notre destin. Soit l’innocence de mon mari serait reconnue, il serait libéré et nous pourrions recommencer à mener une vie normale après cette longue odyssée, peu importe où. Soit… mais je préférais ne pas envisager cette seconde éventualité. Je ne cessais de me tourner et de me retourner dans mon lit. Heures interminables… Bientôt, me disais-je, les oiseaux se mettront à chanter dans le jardin. Je saurai alors que le jour décisif a commencé.

Ce jour me parut aussi long que la nuit qui l’avait précédé. Raïf ne m’appela que le soir. Je tentai de deviner, au son de sa voix, si les nouvelles étaient bonnes ou mauvaises. Mais elle me parut, comment dire… circonspecte.

— Comment cela s’est-il passé ?

— Très bien, me dit-il. Enfin, correctement.

— Ont-ils cassé le jugement ?

— Oui.

Soupir de soulagement.

— Mais ils en ont prononcé un nouveau contre moi : six cents coups de fouet et sept ans d’emprisonnement. Je ne m’y attendais pas du tout. Ses paroles me frappèrent comme si je venais de recevoir moi-même le premier coup. Ils voulaient fouetter Raïf ? Six cents fois ? Quel homme de chair et d’os pourrait le supporter ? Cela revenait à le battre à mort !

— Mais… ce n’est tout de même pas possible… Comment osent-ils seulement ? bredouillai-je.

— Je suis désolé, Ensaf. Je ne m’y attendais pas non plus. Je t’en prie, pardonne-moi : cela me fait tellement mal que vous ayez à endurer cela, toi et les enfants.

On aurait dit qu’il s’excusait du supplice qu’on lui infligeait. Raïf tentait de se maîtriser, mais il se mit à pleurer. Je pleurai avec lui. Ce cauchemar allait-il durer toujours ?

Walid manifesta la même amertume. 

— Crois-moi, me dit-il, je n’aurais jamais cru cela possible. Mais nous n’avons pas le droit de baisser les bras.

— Que veux-tu dire ?

— Qu’il faut nous pourvoir à nouveau en cassation. On ne peut tout de même pas accepter ça !

Je lui donnai raison. Il fallait exploiter la moindre possibilité de libérer Raïf. Sans quoi, ils le battraient à mort. Raïf réagit de manière moins optimiste.

— Walid est un bon avocat et je suivrai ses recommandations, me dit-il. Nous ferons ce qu’il nous dit de faire.

Toutefois, sa voix trahissait une évidente inquiétude.

— De quoi as-tu peur ? lui dis-je. La sentence ne pourra pas être pire. — Inch’ Allah…

— Ça ne coûte rien d’essayer !

— Oui, essayons.

Puis il se tut, songeur

Extrait de "Mon combat pour sauver Raïf Badawi", d'Ensaf Haidar, aux éditions l'Archipel, mais 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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