Pourquoi la Chine pourrait bien devenir trop vieille avant d'être assez riche pour le supporter<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Pourquoi la Chine pourrait bien devenir trop vieille avant d'être assez riche pour le supporter
©Reuters

Bonnes feuilles

Après avoir quitté les campagnes chinoises pour Pékin, ils sont plus d’un million à peupler les sous-sols insalubres de la capitale. Enchaînant les petits boulots, les Mingongs - les ouvriers migrants - sont forcés de vivre sous terre. Venu des quatre coins du pays ce peuple avance sans états d’âme à la recherche d’une vie meilleure. Il a fini par adopter le surnom dont il a été affublée: les Shuzu, la "tribu des rats". Extrait de "Le peuple des rats" de Patrick Saint-Paul, aux éditions Grasset. 1/2

Patrick Saint-Paul

Patrick Saint-Paul

Patrick Saint-Paul est correspondant en Chine du Figaro depuis 2013, après avoir couvert le Sierra Leone, le Libéria, le Soudan, la Côte d’Ivoire, l’Irak, l’Afghanistan, le conflit israélo-palestinien et l’Allemagne. 

Voir la bio »

Zheng et Liu partagent un dortoir au deuxième sous- sol avec trois autres couples a‚ectés à l’entretien de la résidence. Des armoires métalliques, contenant leurs eff‚ets personnels, séparent la pièce de 20 mètres carrés en quatre chambrettes occupées par un lit superposé et une petite table de nuit. Une entrée, équipée de quelques chaises et d’un téléviseur, fait o„ce de salon commun.  Le lieu ne déborde pas d’intimité. Lorsque la voisine de chambre, vautrée sur son lit, regarde sa série télévisée favorite, haussant le volume pour entendre malgré ses problèmes d’audition et riant à gorge déployée à chaque bon mot de son héros préféré, les trois autres familles sont condamnées à participer.

Leur voisin, un petit homme trapu au crâne dégarni et aux mains puissantes, qui fume des cigarettes à la chaîne malgré ses 62  ans, a débarqué de son village de Weidong dans la province du Heilongjiang, où il cultivait du maïs, il y a deux ans. Il touche une petite retraite mensuelle de 800 yuans, parce qu’il a cotisé à la caisse des paysans. Mais sa femme ne perçoit rien. Le couple, qui possède une maison de 100 mètres carrés sur ses terres, est venu travailler à Pékin a‚n de faire des économies et ne pas dépendre de sa descendance.

« Nous ne voulons pas devenir des boulets pour nos enfants. Nous arrivons à mettre de côté 30 000 yuans par an, dit le solide paysan. Mais je ne sais pas combien de temps encore ils nous garderont ici. Autant dire que s’il nous arrive un problème de santé sérieux, nous n’irons pas loin avec notre pécule.

— Vous voulez vraiment casser le mythe du retraité chinois qui voyage à l’étranger et dépense de l’argent pour ramener des cadeaux, plaisante- t-on.

—  Voyager à l’étranger, s’étrangle de rire le paysan à la retraite. Jamais je n’ai même osé en rêver. Je n’ai même pas de quoi visiter la Cité interdite. Mais mon ‚ls a un bon job dans l’informatique et ce sera peut- être possible pour lui. »

De très nombreux Chinois sont condamnés à travailler après l’âge de la retraite en raison du faible niveau des pensions. Et le problème n’est pas près de se résoudre. Car la Chine pourrait devenir vieille avant d’être riche  : le pays le plus peuplé du globe est aussi confronté à un vieillissement rapide de sa population amplifié par les effets de la politique de l’enfant unique. Résultat  : la Chine doit s’atteler à cette question bien avant les autres économies émergentes. Le gouvernement chinois prépare une réforme des systèmes de pensions et devrait relever l’âge du départ à la retraite pour la première fois depuis cinquante ans. Il a récemment annoncé qu’un plan détaillé de réformes serait présenté au plus tard en 2017. Mais pas avant, à défaut de « consensus sociétal sur cette question ». Pourtant les experts sont unanimes à dénoncer l’urgence de la situation. « Pourquoi attendre cinq ans pour le plan et encore cinq ans pour sa mise en vigueur ? s’interroge Yao Yang, professeur à l’université de Pékin. En 2022, le déficit de financement des pensions deviendra un immense problème. Il faut commencer à appliquer la réforme progressive dès maintenant, car la génération des baby- boomers arrive à l’âge de la retraite et leur nombre est considérable. »

A Pékin, les retraités comme Zheng et Liu sont très nombreux à travailler pour un salaire de misère. Le carrefour du grand magasin Wu Mart de Beiqijia, un faubourg du nord de Pékin, l’un des points de rassemblement de la capitale pour l’embauche d’ouvriers illégaux à la journée, frôle l’émeute chaque fois qu’un véhicule ralentit.  Le regard a…ûté, les vieux mingong fondent sur les voitures tels des oiseaux se battant pour une miette de pain. Un employeur potentiel vient d’abaisser sa vitre électrique, attirant des nuées de candidats en bleu de travail, avant de repartir en trombe après avoir embarqué un trentenaire costaud. Des dizaines de sexagénaires regagnent bredouilles le trottoir. La détermination de ces jeunes retraités est intacte. Trouver un emploi pour combler une pension misérable est pour eux une question de vie ou de mort.

Extrait de Le peuple des rats de Patrick Saint-Paul, publié aux éditions Grasset, mai 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici


En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !