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Pourquoi les obsédés du déni de démocratie du 49.3 pourraient utilement se soucier du problème largement aussi grave que posent les ordonnances
©Reuters

Armes du gouvernement profond

Les ordonnances constituent-elles l’outil favori auquel le gouvernement profond a recours pour modifier selon ses souhaits le fonctionnement économique, politique et réglementaire, de la société française? L’exemple de la réforme de l’audit, qui est en cours, permet de poser à nouveau la question.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Les ordonnances, le vrai sujet de la démocratie

Nos députés, très tournés vers leurs micro-problèmes et peu intéressés par les sujets d’intérêt général, se préoccupent beaucoup du 49-3 dont certains demandent la suppression au titre de la démocratie. Dans la pratique, le 49-3 est un épiphénomène (puisque son utilisation est très limitée et contingentée) par rapport à une arme beaucoup moins démocratique: l’ordonnance.

Celle-ci permet en effet au gouvernement de recevoir, de la part de l’Assemblée (c’est-à-dire volontairement) une habilitation pour légiférer sur un sujet donné à la place du Parlement. Une fois les textes adoptés, ceux-ci doivent être validés en bloc par l’Assemblée. Cette technique permet de faire passer des pans entiers de textes légaux sans véritable contrôle démocratique. Cette absence de contrôle est (insistons sur ce point) volontaire de la part des représentants du peuple : elle revient à déléguer au gouvernement la tâche de légiférer.

Comme par hasard, cette délégation intervient d’ordinaire sur les textes les plus techniques et les plus "impactants", tout spécialement sur les transpositions de directives communautaires, qui sont devenues les moteurs essentiels de la législation en Europe.

Le cas de la réforme de l’audit

Prenons un exemple brûlant : la réforme de l’audit des entreprises. Imposée par une directive communautaire, cette réforme est intervenue en droit français par l’effet de l’ordonnance du 17 mars 2016.

Le sujet est en apparence très technique. Dans la pratique, il est fondamental pour la vie des entreprises et pour la croissance économique. Il porte sur l’encadrement opérationnel des entreprises par les experts-comptables et les commissaires aux comptes. Concrètement, il pose la question simple du : comment doivent être contrôlés les comptes des entreprises ? Faut-il durcir ou non ce contrôle ?

Encore une norme qui tue la concurrence

Ce point est intéressant parce qu’il montre comment une norme "politiquement correcte" (personne ne peut raisonnablement soutenir qu’il ne faut pas de comptabilité transparente) est un puissant instrument pour tuer en silence la concurrence ou pour javéliser des pans entiers de l’activité économique. Il suffit pour cela d’étendre l’usage de la norme à des acteurs qui seront incapables de l’appliquer, tout simplement parce qu’elle n’est pas appropriée à leur réalité ou aux difficultés qu’ils posent.

Pour tous ceux qui pensent qu’une concurrence émiettée (ou trop nombreuses) fait mauvais genre, imposer une norme inapplicable pour les petites entreprises permet en effet de passer un "coup de Javel" sur un sol impropre. L’ordonnance du 17 mars 2016 est de celles-là : elle donne l’occasion au gouvernement profond qui est à la manoeuvre d’imposer aux petits acteurs de l’économie française des obligations réglementaires nouvelles, inventées par les plus grands et pour les plus grands. Le résultat de cette extension est simple : les "petits" sont tétanisés et peu à peu tués par la norme qu’ils doivent appliquer alors qu’elle est disproportionnée.

L’exemple des mutuelles et des "entités d’intérêt public"

Dans le cas de la réforme de l’audit, le coup est venu des "entités d’intérêt public" qui sont soumises à un contrôle des comptes renforcés, c’est-à-dire à une procédure lourde dont le coût est extrêmement pénalisant pour les petites entreprises. L’ordonnance de mars 2016 n’a pourtant pas hésité à y inclure toutes les petites mutuelles, qui ne comptent parfois que quelques salariés.

Ce choix, qui ne repose sur aucune rationalité ni justification économique, n’a qu’un seul but : diminuer le nombre de mutuelles en poussant celles-ci à se regrouper. Le gouvernement profond souhaite en effet "simplifier" ce secteur et transformer le jardin anglais actuel (avec près de 700 mutuelles) en jardin à la française (avec moins de 50 acteurs).

Pour y parvenir, toutes les ordonnances sont bonnes. Elles permettent d’imposer des normes inapplicables par les petits et accessibles seulement aux grandes entités.

Gouvernement profond et libéralisme fantasmé

Ces quelques remarques ponctuelles rappellent que l’Union européenne est loin d’être une entité néo-libérale comme certains le prétendent. En réalité, elle constitue un champ de normes proliférantes au service des grandes entreprises, dans le seul objectif de réduire la concurrence. Le gouvernement profond s’en sert d’ailleurs très bien pour améliorer ses marges de rentabilité en "nettoyant" la concurrence émiettée, et même en la javellisant grâce à ce formidable instrument de domination qu’est l’Etat.

Cet article a initialement été publié sur le blog d'Eric Verhaeghe 

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