A Cannes, les stars et le luxe occultent les faiblesses d’un cinéma français sous perfusion de fonds publics<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
A Cannes, les stars et le luxe occultent les faiblesses d’un cinéma français sous perfusion de fonds publics
©

Atlantico Business

Le festival de Cannes est le cache misère du cinéma français, tout le monde brille, et festoie, mais tout le monde fait les comptes, et les comptes ne sont pas si brillants.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Voir la bio »

Pendant une dizaine de jours, le petit monde du cinéma va se gargariser de ses succès et de ses triomphes. Pour tous les professionnels qui vont monter les marches et déambuler sur la Croisette, le cinéma français est en bonne santé. L’industrie française, parce que c’est une industrie comme disait Malraux est même une de celles qui marchent le mieux dans le monde. Mais pour qui ? Pourquoi ?

Le cinéma français fabrique en moyenne 200 films par an, il en sort en salle (avec les productions étrangères) entre 15 et 20 par semaine qui attirent globalement plus de 200 millions d’entrées payantes.

Alors que dans la plupart des pays d’Europe, le cinéma est mort. En Italie, en Espagne, en Allemagne, la création qui était jusqu'à la fin du siècle dernier très dynamique, a pratiquement disparu. Les salles de cinéma qui étaient très nombreuses en Italie ont été transformées en parking ou en supermarché.

Au niveau mondial, il reste un cinéma indien (Bollywood) dont le marché est asiatique, le cinéma américain qui fabrique à New York et à Los Angeles des produits mondiaux et un cinéma français, qui reste très franco-français sauf rares exceptions.

Pour les économistes (qui restent ennuyeux dans ce monde de paillettes) le cinéma français va s’asphyxier par un excès d’offres subventionnées et par un déficit de qualité. De là à penser que l‘overdose de fonds publics ou quasi publics ne finance pas la qualité, il n’y a qu’un tout petit pas, que beaucoup sont prêts à franchir sous couvert d’anonymat, puisque tout le monde profite du système.

Les réalisateurs et personnels techniques qui peuvent travailler, les acteurs et les comédiens, sans parler des stars qui peuvent gonfler les cachets avec la complicité des producteurs. Il y a comme une omerta dans le cinéma pour ne pas dévoiler les vrais chiffres.

Allociné a publié à l'occasion de l’ouverture du festival de Cannes, le Top  des plus gros succès au box office français.

On trouve trois films français sur les dix plus forts. Le classement des gros succès est le suivant, et porte sur les films fabriqués dans le monde entier mais les plus regardés en France. La concurrence étant mondiale, c’est le bon indicateur.

1er Titanic avec 20,6 millions d’entrées en France, le film domine le box office français et mondial de toute l’histoire du cinéma. Il est sorti dans 50 pays, et a réalisé un chiffre d’affaires supérieur à 50 milliards de dollars pour un budget de production de 200 millions.

2e Bienvenue chez les Ch’tis avec 20,4 millions d’entrées, c’est une production française et même régionale, le deuxième film réalisé par Dany Boon pour améliorer l’image des gens du nord disait-il au départ. Le concept du film a été acheté dans le monde entier.

3e Intouchables avec 19,3 millions d’entrées, le succès de ce films français a été considérable en France et à l’étranger. Là encore, les droits du story board, du scénario, et de l'histoire ont été rachetés par des studios de Hollywood et même de Bollywood. Mais, le film est aussi compliqué à sortir sur les marchés étrangers tel quel. Il faut donc en refaire une réalisation.

4e La grande Vadrouille avec 17,2 millions d’entrées. Le film aura 50 ans cette année et il reste un des plus gros succès pour TF1, lors de ses rediffusions annuelles. Gérard Oury, le réalisateur, a écrit beaucoup d’autres grands succès avec ses acteurs fétiches qu’étaient Bourvil ou Louis de Funès, mais ces succès sont restés en France.

5e Autant en emporte le vent avec 16,7 millions d’entrées en France. Un autre film culte tiré d’un livre culte, 10 Oscars, mais un succès planétaire pour un budget qui représentait à l’époque (il y a plus d’un demi-siècle) 4 millions de dollars.

6e Il était une fois dans l’ouest, 14,8 millions d ‘entrées. Le film a été réalisé par un auteur italien Sergio Leone, mais qui s’était installé à Hollywood pour fabriquer toute une série de westerns qu’on appelait les westerns spaghetti. Ils ont tous connu un énorme succès mondial.

7Avatar, 14, 6 millions d’entrées, c’est le premier film bourré d’innovations techniques conçues par James Cameron, avant même la sortie de Titanic. Le film a couté 300 millions de dollars, ce qui en fait le film le plus cher du monde devant le Titanic.

8e Les dix commandements, 14, 2 millions d ‘entrées. Le chef d’œuvre et le plus gros succès de Cecil B. De Mille qui retrace la vie de Moïse.

9e Ben-Hur, 13,8 millions d’entrées. Encore un péplum que Hollywood a su fabriquer avec des moyens pharaoniques, mais le succès a été, là encore mondial.

10e Le pont de la Rivière Kwai, avec 13, 4 millions d’entrées qui retrace un des épisodes les plus fameux des guerres coloniales en Indochine avec en plus une musique qui est devenue un tube planétaireCe film est parti d’une histoire française écrite par un Francais Pierre Boulle qui est, par ailleurs, l’auteur de la Planète des singes.

La place du cinéma français n’est donc pas négligeable dans la dynamique de cette industrie mondiale, mais cette place est fragile parce que ce cinéma a du mal à trouver son public au niveau international. Peut être parce que cette industrie est construite sur un système économique très particulier.

D’abord, les produits français s’exportent mal. Le cinéma d’auteur comme disent les professionnels français ne séduit pas la masse des spectateurs mondiaux. On est capable de faire "les Ch’tis" mais pas Titanic. On est capable d’inventer des histoires, des émotions mais la réalisation doit être retravaillée et marketée aux Etats-Unis.

Ensuite, le cinema français produit énormément de films mais des films qui ont du mal à trouver des débouchés. Sur les 200 films produits chaque année, moins de la moitié trouve une diffusion en salle. Les productions françaises couvrent 30% seulement du marché français.

Enfin, ce qui explique à la fois le dynamisme et les fragilités, le cinéma français est très aidé. Ça n‘est pas contradictoire.

1.     Ce sont les télévisions qui financent le plus clair des productions françaises et qui garantissent une diffusion antenne. Les télévisions (Canal, TF1, France télévisons, Arte) sont obligées dans le cadre de leur cahier des charges d’investir dans le cinéma mais en plus, elles achètent des programmes pour remplir leur grille. Ce systeme fonctionne très bien mais il est a bout de souffle. Le temps où les télévisions vont se rebeller contre ce système de contraintes n’est pas très loin. Un signe qui ne trompe personne. Canal plus, le plus gros financier du cinéma a abandonné la couverture quotidienne du festival de Cannes cette année.

2.     Le système est également aidé directement par l’Etat qui redistribue la majeure partie des taxes perçues à la diffusion (l’avance sur recettes).

3.     Enfin, cette industrie bénéficie à plein du système des intermittents du spectacle qui coûte très cher aux caisses d’assurances chômage.

Si on ajoute à toutes les contraintes techniques, les mutations vers les séries télévisées, le changement des modes de diffusion et un système de financement qui est encore aujourd’hui très protégé, on a peine à croire que l’avenir soit complètement serein.

L’avenir du cinéma dépend de l’offre, de sa qualité. Or nous sommes en retard par rapport au développement des séries TV qui rencontrent un grand succès et sur lesquelles travaillent beaucoup les studios de Hollywood.

L’avenir dépend beaucoup de la diffusion. Le parc des salles de cinéma en France s’est énormément rénové (en partie grâce aux aides publiques), mais les diffuseurs ne sont pas des philanthropes. Ils veulent remplir leurs salles, et les films français qui remplissent les salles sont encore peu nombreux.

L’avenir dépend enfin de la culture des professionnels du cinéma qui n’ont pas toujours su marier leurs exigences esthétiques avec les contraintes commerciales.

Le cinéma français se porte bien, mais il est dopé par trop de financements quasi publics. Ça ne pourra pas durer.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !